Corée du Sud - Foire & Salon

Frieze et Kiaf confirment la montée en puissance de Séoul

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 23 septembre 2022 - 1066 mots

SÉOUL / CORÉE DU SUD

Le partenariat réussi entre la foire d’origine anglaise et le salon local Kiaf illustre les ambitions de la Corée du Sud sur le marché de l’art.

Vue de l'édition 2022 de la Kiaf Séoul. © Korea International Art Fair
Vue de l'édition 2022 de la Kiaf Séoul.
© Korea International Art Fair

Séoul (Corée du Sud). Vue de Paris, l’entente stratégique entre Kiaf, foire présente à Séoul depuis 2002, et Frieze, dont c’était la première édition en Corée, a de quoi surprendre. Les deux foires ont été organisées simultanément sur deux étages du Coex, un vaste centre d’exposition dans le quartier chic de Gangnam au sud de Séoul. Kiaf (Korea International Art Fair) a ainsi consenti à avancer ses dates habituelles de la mi-octobre à début septembre. Deux espaces satellites s’ajoutent à ce dispositif ambitieux : « Kiaf Plus », extension centrée sur les artistes émergents et l’art numérique (NFT compris) et organisée sur un site annexe de Gangnam, ainsi que « We Connect Art & Future », exposition installée au sein de l’aéroport international d’Incheon. Les badges et billets d’entrée offraient un accès commun à l’ensemble des sites.

Rassemblant près de 300 exposants (164 galeries pour Kiaf, aux deux tiers coréennes, et 120 pour Frieze dont une douzaine étaient coréennes et une autre douzaine, communes à Kiaf), la formule a convaincu le marché avec un volume de ventes soutenu tout au long des six jours d’activité. Dans leur grande majorité, les acheteurs furent sud-coréens, conformément au positionnement stratégique des deux foires qui en font leur cœur de cible.

Ces acheteurs ne forment toutefois pas un groupe homogène : une segmentation générationnelle se dessine entre les seniors, très fortunés mais discrets sur leurs acquisitions, et les « MZ » [terme coréen désignant les milléniaux et la génération Z] dont les choix artistiques surmédiatisés orientent de plus en plus le marché de l’art. Très commentée, la présence de RM, membre du groupe de K-pop BTS et ostentatoire collectionneur d’art, illustre parfaitement ce nouvel ascendant catalysé par les réseaux sociaux.

L’art coréen plébiscité

Le soft power sud-coréen et l’aura de Séoul ont également attiré les visiteurs étrangers comme John Dodelande, entrepreneur et collectionneur d’art asiatique, ainsi que Justine Alexandria Tek, directrice du Yuz Museum Shanghai fondé par son défunt père Budi Tek. S’y ajoutent d’influents collectionneurs d’origine coréenne tel Peter Kahng, mécène new-yorkais très investi dans la promotion des artistes asiatiques auprès des musées américains.

Sans surprise, les artistes coréens ont été plébiscités avec une prime aux plus internationalisés d’entre eux. La galerie Johyun a ainsi vendu deux séries d’œuvres récentes de Lee Bae (né en 1956) respectivement à 42 000 euros pour les plus petits formats et 85 000 euros pour les plus grands. À noter que cette fourchette encadre un niveau de prix stratégique : jusqu’à 43 500 euros (60 millions de wons), les œuvres d’artistes vivants sont exemptées de TVA en Corée du Sud. Le pays ne prélève par ailleurs aucun droit d’importation sur les œuvres d’art (hors photographies, multiples et NFT).

Confirmant la tendance, les œuvres de Nam June Paik (1932-2006), Lee Ufan (1936) et Haegue Yang (1971), proposées respectivement par les galeries Gagosian, Kamel Mennour et Chantal Crousel, ont facilement trouvé preneur. Outre Lee Ufan, les autres artistes du mouvement Dansaekhwa, comme Kim Tschang-yeul (1929-2021) et Park Seo-bo (1931), séduisent toujours autant les collectionneurs et musées coréens. À cet égard, il convient de souligner le rôle-clé des musées sur le marché, qu’ils soient privés ou publics. Adossées à des grands groupes comme Samsung (Leeum Museum of Art) ou Amore-Pacific (APMA), les collections privées s’intègrent souvent à la stratégie globale d’investissement de leur maison mère (chaebol). Quant aux musées publics, ils bénéficient du soutien relativement généreux des pouvoirs publics, y compris en province comme l’illustre la politique d’acquisition ambitieuse de l’Ulsan Art Museum. La notoriété internationale des biennales de Gwangju et Busan (cette dernière inaugurée le 3 septembre) complète cet écosystème d’« économie mixte » très favorable au marché de l’art contemporain.

Les stars occidentales aussi

Plus surprenant, les artistes des pays voisins furent moins représentés, malgré quelques exceptions comme Ai Weiwei (1957), Ding Yi (1962), Yoshimoto Nara (1959), Chiharu Shiota (1972) et Yukimasa Ida (1990). En revanche, l’appétence des collectionneurs coréens pour les stars occidentales du marché reste soutenue malgré des prix en nette hausse. Hauser & Wirth demandait 2,8 millions d’euros pour une toile de George Condo (1957) de 2022, et Skarstedt 850 000 euros pour une sculpture de Kaws (1974) de 2020, des pièces vendues dès le vernissage. Les œuvres d’Ugo Rondinone (1964) furent également très prisées sur le stand de Kamel Mennour alors que la galerie Gladstone a vendu l’ensemble des sculptures qu’elle présentait à 260 000 euros pièce. Par ailleurs, les deux foires furent également des succès sur le plan de la fréquentation avec un total de 70 000 visiteurs et d’interminables files d’attente tout au long du week-end, y compris sur certains stands.

Frieze a parfaitement réussi son implantation séoulienne. Côté Kiaf, le bilan est plus mitigé. Après une édition 2021 jugée exceptionnelle, certains exposants historiques de la foire ont constaté une stagnation de leurs ventes, malgré un prix médian sensiblement inférieur à celui de Frieze. Ils redoutent également une intensification de la concurrence au profit des galeries internationales surreprésentées par la foire londonienne, avec le risque de reléguer Kiaf au rang de foire secondaire, à l’instar d’Art Central face à Art Basel Hong Kong. Ces craintes sont renforcées par la multiplication des succursales de galeries occidentales à Séoul, à l’exemple de Thaddaeus Ropac, Esther Schipper et Barbara Gladstone au cours des douze derniers mois alors qu’Emmanuel Perrotin vient d’inaugurer un second espace dans la capitale.

Même si le marché reste soutenu par la solide croissance économique du pays depuis 2021, sa faible fiscalité (contrairement à l’immobilier et aux cryptomonnaies) et les investissements importants du gouvernement dans le domaine de l’art et de la culture, la marge de progression n’est pas exponentielle sur le long terme.

À l’échelle internationale, l’association Frieze-Kiaf consacre toutefois l’ascension de Séoul sur le marché de l’art, dont la percée reflète les mouvements tectoniques en cours sur le continent asiatique. Jadis hors d’atteinte, Hongkong voit ses avantages concurrentiels disputés sur le premier marché comme sur le second. Les ambitions croissantes de Seoul Auction et K-Auction, les deux leaders nationaux, ainsi que l’intensification de l’activité des autres maisons de ventes internationales (Christie’s et Sotheby’s en tête) accompagnent cette ascension. Les performances d’Art Busan en mai 2023, foire réputée pour son dynamisme commercial, donneront un éclairage complémentaire sur le statut et le potentiel de croissance de la Corée du Sud.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°595 du 23 septembre 2022, avec le titre suivant : Frieze et Kiaf confirment la montée en puissance de Séoul

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