Fiscalité

2023 : L’année de la refonte de la TVA sur l’art

Par Lukasz Stankiewicz · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2024 - 2440 mots

La réforme de la TVA qui entrera en application en 2025, affecte, de manière particulièrement positive les marchands français. Avec les déficits budgétaires dans de nombreux de pays, se pose la question de la hausse des impôts dans les prochaines années.

Si les réformes profondes de la fiscalité propre au marché de l’art sont d’habitude rares, l’année 2023 a fait exception à cette règle. À l’écoute des inquiétudes exprimées par les professionnels à la suite de l’adoption d’une directive européenne de 2022, la loi de finances pour 2024 a procédé à la plus importante refonte du régime de TVA sur les œuvres d’art depuis la transposition de la 7e directive TVA de 1994. C’est une réforme dont le marché de l’art français sort gagnant même s’il lui faudra attendre 2025 pour en profiter. En revanche, le cadre de la fiscalité générale est resté stable dans l’échantillon des pays analysés même si les difficultés des finances publiques un peu partout, auxquelles la France n’échappe pas, laissent augurer des hausses d’impôts à venir. Ainsi, un alourdissement de la fiscalité des particuliers a été acté au Royaume-Uni mais aussi, subtilement, à Singapour, de même qu’une hausse de la TVA en Suisse et, de nouveau, à Singapour.

Fiscalité du patrimoine des particuliers

Seules la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent encore une imposition annuelle de la fortune globale même si les œuvres d’art ne sont pas systématiquement imposables. En Espagne, cet impôt – dont l’État central ne fixe qu’un cadre – relève des communautés autonomes qui peuvent en aménager les règles, voire décider de ne pas le prélever. Cependant, en 2022, le législateur espagnol a adopté une contribution exceptionnelle nationale sur la fortune portant sur les années 2022 et 2023, qui vient d’être pérennisée à compter de 2024. Son régime et notamment son barème sont, en substance, un décalque des règles de l’impôt régional. Le montant de ce dernier vient d’ailleurs s’imputer sur le montant de la contribution exceptionnelle pour éviter la double imposition. La contribution nationale vise donc essentiellement à inciter les communautés autonomes à imposer effectivement la fortune. Ainsi, celle de Madrid, qui auparavant ne levait pas d’impôt sur la fortune de ses résidents, a décidé de mettre fin à l’exonération qu’elle pratiquait pour percevoir une recette qui, sinon, reviendrait au gouvernement national.

La fiscalité successorale française, qui ne prévoit pas d’exonération pour les œuvres d’art, figure toujours parmi les plus lourdes notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant significativement réduit en 2012 et non revalorisé depuis (100 000 €), en dépit de l’inflation. La fiscalité successorale varie fortement entre les États. Un nombre important d’entre eux ne l’applique pas du tout ou, en tout cas, pas en ligne directe (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, certains cantons suisses…) alors que d’autres États, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes (4 ou 8 % en Italie). Dans certains États, les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français, mais généralement c’est sous réserve d’abattements plus généreux, qui permettent d’exonérer une part importante des successions (Royaume-Uni : 325 000 £, soit 380 000 € ; Allemagne : 400 000 €). Rappelons que, en 2017, les États-Unis ont doublé l’abattement applicable sur la masse successorale avant partage, qui s’établit désormais à 13,6 millions de dollars (il est indexé sur l’inflation, soit 12,7 M€). Plus rarement, quelques législations offrent un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (Espagne, Allemagne, Italie). Si les donations sont généralement imposées comme les successions, une illustration contraire est donnée par la Belgique où les donations mobilières, dont celles des œuvres d’art, sont faiblement taxées à l’inverse des successions.

Fiscalité des revenus des particuliers

Le montant de la charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste, en comparaison internationale, élevé mais pas forcément exceptionnel, plusieurs États atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…). Par ailleurs, la fiscalité des plus hauts revenus a été récemment alourdie au Royaume-Uni où la limite de la tranche marginale d’impôt sur le revenu de 45 % a été abaissée, à partir d’avril 2023, de 150 000 à 125 140 livres sterling – 175 000 € à 146 000 € – et à Singapour qui a introduit, à partir de 2024, deux nouvelles tranches à 23 % et 24 % (au-delà de 1 million SGD, env. 688 000 €) à la tranche jusqu’alors marginale de 22 % (au-delà de 320 000 SGD).

Concernant les plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, la France offre au contribuable un choix entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession à un taux de 36,2 %, comprenant l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention. Cette faculté d’arbitrage représente un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique mais, de toute façon, ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Suisse, Singapour, Hongkong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus en Allemagne, Luxembourg…). On relèvera que le Royaume-Uni taxe désormais plus lourdement les plus-values de cession de biens meubles incluant les œuvres d’art. Avant avril 2023, seules les plus-values excédant 12 300 livres sterling (14 000 €) par an étaient imposées. Cette limite a été abaissée à 6 000 livres sterling, à partir d’avril 2023, et à 3 000 livres sterling, à partir d’avril 2024.

Fiscalité directe des entreprises

Le taux français de l’impôt sur les sociétés de 25 %, une donnée importante pour les marges des intermédiaires du marché de l’art, se situe désormais dans une fourchette moyenne internationale. On retrouve ce taux de 25 % en Belgique, en Espagne et, à partir d’avril 2023, au Royaume-Uni qui appliquait jusqu’à cette date un taux de 19 % établi grâce aux baisses successives engagées depuis 2010. Aux États-Unis, depuis la réforme entreprise sous la présidence Trump en 2017, le taux de l’impôt fédéral plafonne à 21 %.

En France, la loi de finances pour 2024 est revenue sur le calendrier de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui fut une promesse électorale d’Emmanuel Macron et devait être effective en 2024. Cet impôt de production dont on ne trouve d’équivalent qu’en Italie (IRAP) frappe la valeur ajoutée, qui est un solde intermédiaire entre le chiffre d’affaires et le bénéfice. Cette assiette est donc plus large que le bénéfice et il arrive parfois que même des entreprises déficitaires soient exposées à la CVAE. Pour 2023, le taux maximal de CVAE a déjà été baissé de moitié à 0,375 % poursuivant ainsi la baisse de 1,5 à 0,75 % initiée par la loi de finances pour 2021. Avec le nouveau calendrier, pour 2024, le taux marginal sera de 0,28 % puis baissera chaque année jusqu’à la disparition de cet impôt désormais prévue pour 2027. Rappelons que si la plupart des artistes sont exonérés de CVAE en tant qu’ils sont exonérés de cotisation foncière des entreprises (CFE), les deux impôts étant liés, ce n’est pas le cas des galeristes ni d’autres intermédiaires du marché de l’art.

La TVA

Si les règles françaises en matière de TVA ont toujours été favorables aux acteurs du marché de l’art, du moins en comparaison européenne, elles le deviendront encore plus à partir du 1er janvier 2025. Déjà, et encore pour les opérations entreprises en 2024, les deux taux spécifiques au marché de l’art français (5,5 % sur l’importation des œuvres d’art et les ventes directes des artistes) sont parmi les plus bas de l’Union européenne (UE), ce à quoi s’ajoute la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir, sous certaines conditions, la TVA (au taux de 20 %) sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente. Évidemment, pour favorables qu’elles soient, ces règles ne résistent pas à la comparaison avec Hongkong (pas de TVA du tout) ou avec des ports francs existant dans certaines juridictions (Genève, Singapour…), même si dans leurs cas il s’agit juste d’une sorte de suspension de TVA. Par ailleurs, comme symptôme d’un besoin accru de recettes publiques partout, on relève une hausse de TVA, à partir de 2024, à Singapour où le taux est désormais de 9 % (contre 7 % avant 2023), mais aussi en Suisse où il passe de 7,7 à 8,1 %. Ces hausses concernent également les œuvres d’art.

En France, cependant, les professionnels du marché de l’art peuvent sabrer le champagne car, mis au pied du mur par l’adoption par l’UE de la directive du 5 avril 2022 modifiant la directive TVA de 2006, le législateur français a retenu parmi les différentes options de transposition possibles, déjà analysées dans ces colonnes [dans le numéro 607 daté du 17 mars 2023], l’option la plus favorable pour le marché de l’art, et qui est plus favorable encore que le système en vigueur jusqu’à la fin 2024 (la réforme sera effective à partir de 2025).

Le changement, qui représente aussi une simplification, ce qui est plutôt rare pour une réforme fiscale, peut se résumer en une phrase : généralisation du taux réduit de TVA, de 5,5 %, à toutes les livraisons d’œuvres d’art, d’objets de collection et d’antiquités relevant du régime général, c’est-à-dire imposables sur le prix de vente total, et – pour oser cette expression – la marginalisation du régime de la « marge » applicable aux mêmes livraisons.

La généralisation du taux réduit de 5,5 % entraîne la suppression du taux intermédiaire de 10 %, devenu inutile, applicable aux assujettis-utilisateurs, à savoir les entreprises qui ont acheté des œuvres d’art en tant qu’immobilisation et non en tant que négociants en œuvres d’art. La réforme simplifie également la situation des artistes. Aujourd’hui, bénéficient du taux réduit les seules « livraisons d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit ». Dès 2025, l’application du taux réduit ne sera plus réservée aux livraisons « directes » par l’artiste, personne physique, mais s’appliquera aussi, mécaniquement, aux livraisons par les sociétés contrôlées par l’artiste et dans lesquelles il exerce son activité.

Tant que le taux réduit reste à 5,5 % et le taux normal à 20 %, la pratique devrait logiquement délaisser le régime de la marge, sauf dans des hypothèses particulières (il faut souligner que le taux normal de 20 % continuera à s’appliquer dans le régime de la marge). Ce régime est par ailleurs profondément remanié. Disparaît ainsi le régime de marge forfaitaire, égal à 30 % du prix de vente, applicable lorsque le prix d’achat est non déterminable ou non significatif. Avec le nouveau système de taux, il ne présentait quoi qu’il en soit plus d’intérêt. Surtout, la conformité de ce régime avec la directive TVA, qui ne l’envisageait pas, a été sérieusement mise en doute, de sorte que sa suppression a pu paraître opportune pour le législateur. Disparaît également l’option pour le régime de la marge consécutive à une acquisition soumise à un taux réduit de TVA (actuellement, les importations, l’acquisition à un artiste…). Rappelons que l’option en question est devenue incompatible avec la directive TVA telle que modifiée par directive « taux » de 2022. C’est cette suppression annoncée qui a suscité l’inquiétude des professionnels du marché de l’art en février 2023 à laquelle le législateur a finalement répondu plus que favorablement car la future application du taux réduit de 5,5 % sur le prix total de revente et la déduction corrélative de la TVA subie à l’achat sera plus intéressante que l’application du taux de 20 % sur la marge bénéficiaire même diminuée du montant de la TVA non déductible à l’achat (car, il faut le rappeler, la déduction de la TVA subie à l’achat de la TVA collectée sur la revente est interdite dans le régime de la marge).

Pour autant, le régime de la marge n’est pas supprimé pour les livraisons d’objets d’art, de collection et d’antiquité en général. Pour les revendeurs, il demeure d’ailleurs toujours le régime de droit commun en cas d’acquisition à un particulier ou à un professionnel qui n’a pas facturé la TVA sur le prix total (artiste bénéficiant de la franchise de TVA, revendeur ayant appliqué le régime de la marge…). Cette non-suppression s’explique par des raisons juridiques – ce régime est prévu par la directive TVA –, mais aussi pragmatiques. Certes, dans la majorité des cas, le régime de la marge ne présentera, en principe, plus d’avantages par rapport au régime général (à savoir, taux de 5,5 % sur le prix de vente total), même dans le cas le plus courant de revente à un particulier établi en France ou dans un autre État de l’UE. Le revendeur devrait donc systématiquement opter pour le régime général dans ce cas de figure.

Il subsiste cependant au moins un cas – en effet, nous en avons identifié un – où le régime de la marge conserverait un intérêt résiduel lorsqu’il est applicable de plein droit. En substance, en cas de revente à un particulier dans un autre État membre de l’UE, lorsque le vendeur organise le transport à destination de l’acheteur, le revendeur peut dans certains cas devoir facturer la TVA du pays de destination (régime de « ventes à distance »), lorsque le régime général s’applique. Or, avec le taux français sur la marge de 20 %, il semblerait alors qu’un taux de 6 % ou plus dans l’État de destination suffise pour que le régime de la marge français produise un résultat plus favorable que l’option pour le régime général associé au régime européen des ventes à distance. Le régime de la marge conserverait dès lors un certain, certes bien limité, intérêt pratique qui serait à mettre en balance avec les lourdeurs propres à ce système (gestion de lots hétérogènes, etc.). Pour le reste, le régime de la marge serait, en quelque sorte, mis en sommeil dont il pourrait facilement se réveiller un jour en cas d’augmentation du taux réduit de TVA plus forte que celle du taux normal.

Il sera maintenant intéressant d’observer comment les autres États européens se positionneront par rapport à la directive « taux » de 2022 dont le délai de transposition expire fin 2024. Le choix fait en France suscite en tout cas un grand intérêt (et envie) de la part des professionnels du marché de l’art, que ce soit en Italie, en Belgique ou en Allemagne.

Lukasz Stankiewicz est professeur des universités, agrégé de droit public, université Jean-Moulin Lyon III, directeur du Centre d’Études et de Recherches Financières et Fiscales (CERFF), Équipe de droit public de Lyon (EA 666)

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : 2023 : L’année de la refonte de la TVA sur l’art

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