Corée du Sud - Biennale

Biennale d’art contemporain

14e Biennale de Gwangju, l’art à l’heure coréenne

Par Rémy Jarry, correspondant en Asie · Le Journal des Arts

Le 16 mai 2023 - 1020 mots

GWANGJU / CORÉE DU SUD

Résolument dans l’air du temps, l’édition 2023 met cependant en lumière les angles morts ethnoculturels, sexués et générationnels de la scène contemporaine.

Gwangju, Corée du Sud. Sous le titre « souple et faible comme l’eau » (soft and weak like water), la 14e Biennale de Gwangju fait référence par son thème au Dao de Jing, le classique du taoïsme attribué à Laozi. Cette référence est particulièrement inspirée lorsque l’on prend conscience de l’importance de la pensée taoïste pour les artistes d’Asie de l’Est jusqu’à l’époque moderne. Le Dansaekhwa, célèbre mouvement artistique coréen, n’y fait d’ailleurs pas exception, à l’instar des « gouttes d’eau » du peintre Kim Tschang-Yeul. Pour la commissaire de l’exposition, Sook-Kyung Lee, il ne s’agit cependant pas d’être ethnocentré : la première œuvre à accueillir les visiteurs dans le hall principal est The Spirit Descended (Yehla Moya) (2022), installation multimédia de Buhlebezwe Siwani. La jeune artiste sud-africaine y explore les « esprits » qui résident dans les éléments naturels. L’une des vidéos est projetée sur un large bassin empli d’eau produisant un effet scénique puissant. L’artiste lituanienne Emilija Skarnulyte sublime quant à elle la symbolique du yin-yang avec Æqualia (2023), installation vidéo tournée aux confluences des eaux laiteuses du Rio Solimões et des flots noirs du Rio Negro en Amazonie.

Cet ancrage taoïste informe également l’approche curatoriale de la biennale. Sook-Kyung Lee en a décliné le thème en quatre parcours complémentaires : halo lumineux (« Luminous Halo »), voix ancestrales (« Ancestral Voices »), souveraineté temporaire (« Transient Sovereignty ») et temps planétaires (« Planetary Times »). Même si l’on y perd la métaphore de l’eau, ces itinérances s’accordent avec le Tao (la Voie) en évitant de fixer unilatéralement le sens. À cet égard, So Long, and Thanks for All the Fish (2023), l’installation d’Anne Duk Hee Jordan, est exemplaire. Tirée de sa série « Artificial Stupidity (AS) » (2016-), ses « créatures » futuristes dévoient jusqu’à l’absurde les prototypes high-tech de la robotique et des nouvelles technologies. Et cet attrait pour la contradiction et l’espièglerie d’entrer en dialogue avec un autre grand texte taoïste : le Zhuangzi.

Un cadre coréen

Plus célèbre biennale de Corée du Sud qui en compte désormais une dizaine, Gwangju est également la plus ancienne de tout le continent (la Biennale de Shanghaï fut créée l’année suivante, en 1996). Ayant réalisé l’essentiel de sa carrière à la Tate à Londres, Sook-Kyung Lee bénéficie d’une expertise interculturelle ad hoc. À cet égard, la société sud-coréenne reste très androcentrique et les inégalités femmes-hommes perdurent. Plus sensible encore en Asie qu’en Occident, la question de la visibilité des femmes ne pouvait être ignorée : on compte ainsi une nette majorité de femmes parmi les artistes exposés. Sook-Kyung Lee a équilibré sa sélection d’artistes coréennes connues internationalement, comme Minjung Kim et Soun-Gui Kim, avec des compatriotes qui le sont moins : Chang Jia ou Oum Jeongsoon. Cette dernière est d’ailleurs la première lauréate du Prix Park Seo-Bo lancé cette année à l’initiative du peintre. Quant à Chang Jia, son installation cérémonielle et incantatoire est indéniablement l’une des œuvres les plus fortes de la biennale. Ses 12 roues en bois, ornées de plumes et disposées en cercle, sont bercées par les chœurs médiévaux coréens chantés par des voix féminines. Intitulée Beautiful Instrument III (Breaking Wheel) (2014-2023, cette installation fait écho au chamanisme coréen, une tradition distinctivement matriarcale dans la péninsule.

Cette sororité s’étend bien au-delà des frontières et suit l’expertise de la commissaire pour les artistes aborigènes comme Mayunkiki (Aïnou, Japon), Yuma Taru (Atayal, Taïwan), Betty Muffler (Watarru, Australie). Avec les Amérindiens Alan Michelson (Mohawk), Sky Hopinka (Ho-Chunk), Tanya Lukin Linklater (Alutiiq), Noé Martínez (Huastec) et la rom Małgorzata Mirga-Tas, ces artistes déclassent de fait la question de la nationalité.

Sook-Kyung Lee porte en outre une attention particulière aux jeunes générations : plus de la moitié des artistes exposés sont nés après 1970, et plus d’un quart après 1980. Ce relatif jeunisme prend toute son importance dans les sociétés extrême-orientales où le principe de séniorité prévaut toujours. Née en 1991 en Chine et benjamine de la biennale, Pan Daijing propose ainsi Scale Figures (2022-2023), une installation « opératique » qui explore les relations physiques et psychologiques entre son, espace et performance.

À noter que le patrimoine de Gwangju est également valorisé : le Musée national de Gwangju expose La Danse (2022), sculptures en aluminium de l’artiste cambodgien Sopheap Pich en hommage à Matisse, et A Song About Samoa-Moana (Pacific) (2022), peintures sur papier en forme de kimonos de Yuki Kihara, artiste d’origine japonaise et samoane. Tandis que le temple bouddhiste de Mugaksa accueille Realm of Reflections (2016-2022), une magnifique série d’œuvres céramiques circulaires, tels des miroirs ternis, de Liu Jianhua.

Et des pavillons nationaux…

En marge de la biennale, neuf pavillons nationaux sont également proposés au public. La France est au rendez-vous avec une nouvelle version du pavillon français de la 59e Biennale de Venise (2022) : Les rêves n’ont pas de titre, de Zineb Sedira. Autre point commun avec Venise : la présence d’un pavillon ukrainien qui accentue la résonance géopolitique de la biennale.

La Chine est présente mais pas les États-Unis, alors que la Corée du Sud est un allié historique du pays. Toutefois, les habitants de Gwangju ont longtemps nourri un vif anti-américanisme, accusant le pays d’avoir soutenu l’ancien dictateur Chun Doo-Hwan pendant le soulèvement démocratique de Gwangju en 1980 à la suite de son coup d’État. C’est Chun qui a commandité le massacre du 18 mai 1980, dont la raison d’être de la biennale est d’honorer la mémoire des victimes… Pour sa prochaine édition qui aura lieu dès 2024, en septembre probablement, la Biennale de Gwangju escompte 20 pavillons, avec peut-être un nouvel équilibre des nations. D’ici là, la ville accueillera sa 10e Biennale du design, le 7 septembre prochain, rattrapant ainsi le retard accumulé par les années de pandémie.

Ajout 11 mai 2023

Pour sa 15e édition prévue en septembre 2024 et dont la direction artistique vient d’être confiée à Nicolas Bourriaud, la Biennale de Gwangju escompte 20 pavillons, avec peut-être, cette fois, un nouvel équilibre des nations. D’ici là, la ville accueillera sa 10e biennale du design dès le 7 septembre prochain, rattrapant ainsi le retard accumulé par les années de pandémie. 

14e Biennale de Gwangju,
jusqu’au 9 juillet, Gwangju, Corée du Sud, www.gwangjubiennale.org/en/index.do

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°611 du 12 mai 2023, avec le titre suivant : 14e Biennale de Gwangju, l’art à l’heure coréenne

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