Art contemporain

France-Corée

Dansaekhwa est à Kerguéhennec

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2016 - 751 mots

Le Domaine présente, outre Lee Bae et Shim Moon-seup, huit artistes réunis sous une certaine pratique du monochrome, liant la matérialité de la peinture à une quête de spiritualité.

KERGUÉHENNEC - La Corée dans le Morbihan : autrement dit la rencontre est-ouest de deux opposés géographiques. L’exposition est d’ailleurs intitulée « KM* 9346. La création coréenne s’invite en Morbihan » en rappel des kilomètres qui séparent les deux lieux et des initiales de Koréa et Morbihan. Organisée en partenariat avec le GMoMA (Gyeonggi Museum of Modern Art, près de Séoul), dans le cadre de l’Année France-Corée 2015-2016 dont elle est l’un des moments forts, elle présente dix artistes. Lee Bae (1956) occupe la chapelle du Domaine de Kerguéhennec, Shim Moon-seup (1943), les écuries et la cour d’honneur, tandis que huit créateurs sont réunis dans le château sous le titre « Dansaekhwa, l’aventure du monochrome en Corée, des années 70 à nos jours ». L’exposition, qui montre ce mouvement pour la première fois en France, est même la première en Europe à lui porter un regard institutionnel – certes, le Palazzo Contarini-Polignac l’a mis en lumière lors de la Biennale de Venise 2015, mais la manifestation était principalement organisée par la galerie Kukje de Séoul.

Communauté d’esprit
Mais au fait, « Dansaekhwa » c’est quoi ? Traduit littéralement, le mot signifie « une seule couleur », soit, par commodité, « le monochrome coréen ». Plus qu’un mouvement artistique, au sens strict du terme, il s’agit d’une génération d’artistes ayant émergé à la fin des années 1960-début des années 1970 et qui ont été intelligemment regroupés au début des années 2000 par l’historien et critique d’art Yoon Jin-sup. Dansaekhwa est donc une construction récente, une invention a posteriori, que légitiment par ailleurs une communauté de pensée et des caractéristiques formelles partagées : au-delà de la monochromie, le principe de répétition (du geste ou du motif), l’importance accordée à la texture, à la matérialité de la peinture, le rapport à la nature et la spiritualité. Rien de moins. Dès la première salle, consacrée à l’un des leaders, Park Seo-bo (né en 1931), deux grands tableaux noirs sont réalisés à l’aide de ce fameux papier coréen hanji qu’il humidifie, teinte de couleurs, applique sur toile avant de le peigner, strier et sécher. La couleur, beige ou kaki,  et le relief – celui de la peinture appliquée derrière la toile, la transperçant, avant d’être lissée en surface – sont aussi au centre des œuvres de Ha Chong-hyun (1935), dans la salle adjacente. Suivent, dans des blancs crème, les aplats combinés aux subtils froissements de fibre de papier sur toile de Chung Chang-sup (1927-2011) ; les noirs durs sur toile écrue de Yun Hyong-keun (1928-2007) ; les hallucinants papiers journaux, anthracites, saturés et usés par le passage répété du stylo à bille de Choi Byung-so (1943) ; les toiles aériennes comme animées par le vent et les ondes de Lee Kang-So (1943) ; les troublants petits carrés sériels de Chung Sang-hwa (1932) ; et, comme en point d’orgue, les vibrations, dignes d’un Rothko, des blancs illuminés de Lee Dong-youb (1946-2013).

Avec un artiste par salle et un tableau par mur, le parcours, d’une grande intensité, augmentée par une lumière entièrement naturelle, crée une sensation de puissance, de suspension à la fois dans le temps et dans l’espace, et en conséquence de plénitude absolue. Des impressions que l’on retrouve avec l’installation de Lee Bae, justement intitulée « Suspens », pour laquelle il fait pendre du plafond un énorme fagot de charbon de bois affleurant un monticule en kaolin, rappel des tumulus bretons ou coréens. Mort et vie, sépulture et élévation, renaissance et éternité du charbon, l’œuvre insuffle une énergie et une densité caractéristiques des préoccupations de l’artiste. La terre, la nature, la vitalité, le rythme des cycles sont également au centre des sculptures de Shim Moon-seup qui parlent toujours de présence, de rapport à leur environnement (ici aussi bien en extérieur qu’à l’intérieur des écuries), prolongent Dansaekhwa en trois dimensions et le perpétuent en l’ouvrant à une deuxième puis une troisième (avec Lee Bae) génération d’artistes.

Grâce à une pertinente sélection d’œuvres et un accrochage rigoureux, l’ensemble est une magnifique et convaincante introduction à ce mouvement. Olivier Delavallade, le directeur du Domaine de Kerguéhennec, « rêve qu’une institution encore plus importante prenne le relais pour organiser une plus grande exposition ». À bon entendeur…

KM* 9336

Commissaires : Olivier Delavallade, Domaine de Kerguéhennec ; Choi Eun-joo du GMoMa ; Lee Ji-won, commissaire indépendante
Nombre d’œuvres : une quarantaine

KM* 9346. La création artistique coréenne s’invite en morbihan

Jusqu’au 5 juin, Domaine de Kerguéhennec, 56500 Bignan, tél. 02 97 60 31 84, www.kerguehennec.fr, château et écuries du mercredi au dimanche 12h-18h, parc, tlj 8h-21h, entrée libre. « Lee Bae », dans la chapelle jusqu’au 6 novembre. Catalogues, Dansaekhwa, 20 €, Shim Moon-seup, 15 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°455 du 15 avril 2016, avec le titre suivant : Dansaekhwa est à Kerguéhennec

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