Ventes aux enchères

Fonds Aristophil : retour sur une dispersion-fleuve

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2022 - 956 mots

PARIS

Plus de 80 % des lettres et manuscrits de la collection ont été dispersés à ce jour en quatre ans pour un total de 67 millions d’euros, ce qui n’a toutefois pas permis aux victimes de l’escroquerie de récupérer plus de 10 à 15 % de leur mise. De son côté, la justice suit son cours.

Carnet de croquis de Delacroix "Album d’Angleterre : vues de Londres" préempté par le musée du Louvre. © Artcurial
Carnet de croquis de Delacroix « Album d’Angleterre : vues de Londres » préempté par le musée du Louvre.
© Artcurial

Paris. Depuis maintenant quatre ans, des vacations dispersant le fonds Aristophil sont organisées à la suite du scandale qui a éclaté en 2014. Ces ventes ont été ordonnées par le tribunal de commerce après que la société Aristophil – spécialisée dans le commerce de manuscrits et autographes – a été liquidée et que son fondateur, Gérard Lhéritier, a été mis en examen pour escroquerie en bande organisée et blanchiment pour fraude fiscale en 2015. La société proposait aux investisseurs de devenir propriétaires (en pleine propriété ou en indivision) de lettres et manuscrits prestigieux, avec promesse de rendement à hauteur de 8 % par an, promesse jamais honorée. Dans cette affaire, ce ne sont pas 18 000 personnes, comme on l’a cru au départ, mais 35 000 qui ont été flouées « et le préjudice n’est pas de 850 millions mais de 1,2 milliard d’euros », précise Guy Grandgirard, responsable juridique de l’Association de défense des consommateurs ADC France, qui gère quelque 750 dossiers liés au litige.

Quatre maisons de ventes ont été nommées par le tribunal pour disperser les œuvres des indivisions (préalablement dissoutes et regroupées par thématique), soit Artcurial, Drouot Estimations, Ader et Aguttes – cette dernière étant également chargée de la dispersion des contrats Amadeus (contrats individuels) et de la vente judiciaire.

À ce jour, 47 vacations ont été orchestrées pour un total de 67 millions d’euros frais compris. « Il en reste, pour 2022 et 2023, entre six et huit [à organiser]», précise Sophie Perrine, commissaire-priseuse chez Aguttes. Cette dispersion ne comprend pas les revendications adressées par l’État, soit environ 3 000 documents, pour l’instant immobilisés.

Parmi les lots phares, outre le manuscrit d’Albert Einstein et Michele Besso sur la théorie de la relativité vendu 11,6 millions d’euros le 23 novembre 2021 par Aguttes en partenariat avec Christie’s (1), figurent le livre d’Heures Petau, vers 1495 (4,3 M€, juin 2018) ; le manuscrit médiéval « contant les Faiz et conquestes d’Alexandre » [le Grand], vers 1470-1480, illustré par Quinte-Curce (832 000 €, décembre 2017), ou encore celui d’Ursule Mirouët, roman de Balzac (1,2 M€). La Bibliothèque nationale de France (BNF), les bibliothèques municipales ainsi que les musées et maisons d’écrivain ont été très actifs afin d’enrichir leurs collections puisque, à ce jour, 303 préemptions ont été comptabilisées. Ainsi, la Ville de Charleville-Mézières (Ardennes) a préempté pour le Musée Rimbaud le poème « Patience. D’un été » d’Arthur Rimbaud (187 500 €, juin 2018, Drouot Estimations), tandis que le Louvre a préempté « Album d’Angleterre : vues de Londres », un carnet de croquis de Delacroix (344 500 €, avr. 2019, Artcurial, [voir ill.]). L’État n’a, lui, acquis que deux lots (de gré à gré) : le manuscrit des 120 journées de Sodome, 1785, du marquis de Sade (4,5 M€) ainsi que Poisson soluble et les deux manifestes du Surréalisme d’André Breton (2,7 M€) entrés à la BNF en juillet 2021 – ils avaient préalablement été qualifiés de « trésors nationaux ».

« Les ventes ont très bien marché avec seulement 10 % maximum de lots ravalés par vacation », se félicitait Claude Aguttes fin décembre, ajoutant : « D’une manière générale, nous vendons un peu plus cher que le prix auquel Aristophil avait acquis ces œuvres. Par exemple, le livre Petau, adjugé 4,3 millions, l’avait été à 2,3 millions en 2011. En tout cas, je suis fier du travail accompli. Nous sommes partis de six camions avec 135 000 feuilles à trier et il n’y a eu ni pertes, ni annulation de vente. »

Les sommes ainsi récoltées vont ensuite aux épargnants floués, leur permettant de récupérer une partie de leur mise. Mais dans quelles proportions ? « Nous vendons en moyenne à 10 % du prix auquel les investisseurs ont acheté. Certains, en fonction de la thématique des œuvres, ont récupéré moins que cela. En règle générale, les indivisions – dont la majorité concernent des œuvres littéraires – récupèrent moins que ceux qui ont acheté des œuvres scientifiques ou musicales », observe Sophie Perrine. D’après Guy Grandgirard, « la vente des œuvres permet aux victimes de ne récupérer qu’au mieux 15 % de leur mise de départ, ce qui est logique car Aristophil avait fait anormalement monter les prix. Maintenant, ceux-ci sont revenus à la normale ». Il y a loin avant que les personnes flouées ne soient entièrement indemnisées…Pour cela, il faut attendre l’extinction des différentes actions devant les tribunaux. « Me Delomel, l’avocat de l’ADC France, va demander les 85 % restants [2], plus les dommages et intérêts ainsi qu’un pourcentage sur la somme correspondant aux intérêts d’un placement normal. Cela s’appelle “la perte de chance” », précise le responsable juridique.

La procédure pénale est toujours en cours, le dossier étant désormais entre les mains du procureur qui devra dire qui parmi les personnes mises en examen (dont Gérard Lhéritier) est renvoyé devant le tribunal correctionnel. La procédure civile concerne les contrats Amadeus : des actions devant le tribunal judiciaire de Paris sont en cours contre la CNA, une compagnie d’assurances britannique censée couvrir les fautes éventuelles des courtiers chargés de placer les contrats. « Si tout se passe bien, ces actions devraient se terminer dans le courant de l’année », annonce Guy Grandgirard. Concernant les indivisions, la procédure civile en cours a été suspendue, le temps qu’une procédure annexe, liée au notaire, soit bouclée.

(1) Vente judiciaire sur ordonnance du tribunal de commerce de Paris, Selarl Aguttes et Perrine. (2) Correspondant à la différence d’avec la mise de départ des épargnants. Elle est demandée auprès des assureurs pour les contrats Amedeus. Pour les indivisions, c’est au fonds de garantie des notaires qu’il sera fait appel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : Fonds Aristophil : retour sur une dispersion-fleuve

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