Galerie

Entretien avec Emmanuel Perrotin

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2002 - 1160 mots

Représentant des artistes tels que Bernard Frize, Maurizio Cattelan ou Mariko Mori, Emmanuel Perrotin fait partie des premiers galeristes à s’être installé en 1997 rue Louise-Weiss, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Il commente l’actualité.

Nous venons de vivre un séisme politique avec la présence du candidat Front national au second tour de l’élection présidentielle. Qu’elle a été votre réaction à cette annonce ?
J’ai envoyé une centaine de SMS, et je me suis retrouvé au milieu des adolescents à manifester le dimanche soir. Autour de moi se trouvait également une majorité de personnes ayant mauvaise conscience de ne pas avoir voté. Je pense que ceux qui ont voté extrême gauche et qui étaient présents dans la manifestation n’avaient pas mauvaise conscience et d’ailleurs, ils n’avaient pas de raison de l’avoir. Aucun indicateur ne les a prévenus, tout le monde a été stupéfait de ce résultat. J’ai mauvaise conscience de ne pas avoir invité au mois de décembre certains de mes amis à aller s’inscrire sur les listes électorales. J’espère que Jacques Chirac obtiendra 85 % des voix parce que, de toute façon, le vote Chirac ne voudra plus rien dire. C’est donc la meilleure stratégie pour tous les démocrates. J’ai été assommé. Il y a eu un côté surréaliste parce que c’est la même personne qui m’a appelé pour m’annoncer les résultats de l’élection que celle pour le World Trade Center. C’était ce même sentiment d’impuissance, d’injustice, et là, en l’occurrence, de honte totale. J’ai aussi été atterré d’apprendre que beaucoup des 18-24 ans avaient voté Le Pen. C’est à ne plus rien comprendre.

Vous fêtez les cinq ans de la rue Louise-Weiss. Vous avez été l’un des six premiers à venir y installer votre galerie. Quel bilan tirez-vous de ces cinq années ?
Nous avons été perçus comme des “gogos” en allant nous installer dans le XIIIe arrondissement, avant que cela n’apparaisse comme un succès. Nous avons voulu marquer l’accent sur notre activité, sur le fait de montrer de jeunes artistes, dans un contexte où les gens visiteraient les galeries sans se soucier du nom de l’artiste ou du marchand. Les cinq ans marquent une interrogation légitime pour chacun : le réservoir des locaux disponibles dans le quartier est très limité. S’il y a eu une seule erreur dans notre stratégie, c’est sur le potentiel du XIIIe. Il a cependant énormément d’arguments, comme l’absence d’embouteillages, la possibilité de se garer facilement, des locaux qui n’ont pas beaucoup de charme mais qui sont pratiques, une émulation et une solidarité des galeries. Mais ce que l’on fait facilement à six, il est plus difficile de le faire à dix. Et puis, pour que je puisse disposer de 300 m2, je suis obligé d’avoir deux espaces. Pourtant, je ne peux pas me permettre de faire une exposition de mes artistes tous les trois ans, et espérer entre-temps vendre des pièces sur photos. Je suis obligé de montrer les œuvres de mes artistes en permanence. Or, ce que je retiens de mon deuxième espace, que j’ai depuis deux ans, c’est que dans ce showroom, je donne un compte rendu partiel de mon activité. Et je vends beaucoup plus à l’arrière de la galerie que pendant la durée des expositions. Je m’occupe aussi de produire des œuvres. J’ai 170 m2 d’ateliers à Aubervilliers et des réserves. La fragmentation de tous ces espaces rend mon activité extrêmement compliquée. Le Marais et la Bastille ont une chance que n’a pas le XIIIe, c’est ce réservoir d’espaces. Quand nous avons visité ces locaux en 1997, nous n’imaginions pas que trois ans après nous voudrions tous nous agrandir, et que cinq après nous aurions le sentiment qu’il n’y avait plus assez de locaux. Mais nous suivons l’évolution de nos artistes et certains commencent à être extrêmement chers. Le pari difficile à remplir est d’apparaître comme un galeriste pouvant vendre des œuvres entre 200 et 400 000 dollars dans une boutique du XIIIe arrondissement. On se coupe peut-être de collectionneurs pour qui l’apparat compte. Dans tous les cas, le XIIIe et le Marais, c’est fantastique.

Vous êtes membre du bureau du Cofiac, qui sélectionne les galeries pour la Fiac, et responsable du secteur “Perspectives” qui réunit les jeunes galeries. La liste des galeries participant à l’édition 2002 vient d’être arrêtée. Quels sont les changements ?
L’année dernière, nous avons fait ce choix tactique contraire à la plupart des foires internationales, à savoir de réduire le nombre de galeries. Cet effet a été extrêmement bénéfique puisque la foire est apparue de bien meilleure qualité. Or, souvent, l’on retient plus ce que l’on a pas aimé que l’inverse. Une première phase de renouvellement a eu lieu l’année dernière. Certaines galeries internationales sont venues ou revenues. Cette année, nous avons réussi à insuffler une envie de venir chez certaines galeries. Nous culminons à treize galeries américaines, soit presque un record pour une foire européenne. Il commence à être difficile de rentrer à la Fiac et cela ne fait pas forcément que des heureux. Jusqu’ici, les galeries étrangères, pour assurer le “i” de internationale, étaient sélectionnées sans forcément beaucoup d’enthousiasme. Cette année, nous avons Gebauer, Esther Schipper, Anton Kern, Andrew Kreps, Tanya Bonakdar, Gavin Brown, Leo Koenig, Michael Janssen, Hauser & Wirth... Mais peut-être ont-ils compris qu’il fallait deux foires puissantes en Europe, et non pas laisser le pouvoir à une seule. Le secteur “Perspectives” ne réunira que trois galeries françaises pour onze étrangères. “Perspectives” a permis de faire rentrer un grand nombre de jeunes galeries qui comptent parfois déjà au niveau international. Nous espérons beaucoup de “Perspectives” cette année, qu’il devienne un enjeu. Sur le papier, la foire doit être bien meilleure que lors de ses cinq dernières éditions. Dans le secteur contemporain, les galeries françaises ont moins peur de se confronter à la concurrence internationale. Elle ne font plus systématiquement croire qu’il n’y a pas assez de clients en France, que le marché est tout petit, pour le conserver. Le marché français est important, c’est même l’un des plus puissants du monde. Nous avons d’excellents collectionneurs privés et publics. La Fiac a toutes les chances de redevenir l’une des premières foires en Europe, grâce notamment à l’attraction de Paris, avec les centres d’art, les fondations, les galeries.

Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
J’aime beaucoup l’exposition d’Olafur Eliasson au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Mais j’ai en même temps été déçu par son côté rétrospectif. Je suis toujours embêté qu’un artiste si jeune fasse d’ores et déjà une exposition rétrospective. Cela le place d’emblée dans une position où créer n’est plus forcément l’enjeu : il peut déjà capitaliser sur cinq ou six pièces. Mais, l’exposition est tout de même très belle. Une autre exposition que je n’ai vue que par maquette interposée va être des plus spectaculaires, celle de Takashi Murakami en juin à la Fondation Cartier, sa première grande monographie en Europe. Mais elle sera certainement à contre-courant des goûts de la critique française.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : Entretien avec Emmanuel Perrotin

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