Bibliophilie

Enchères impériales

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2008 - 776 mots

Drouot a été le théâtre d’une grande bataille d’enchères pour la bibliothèque impériale de Dominique de Villepin

PARIS - La dispersion de la « Bibliothèque impériale de Dominique de Villepin » a levé une armée d’enchérisseurs le 19 mars à Drouot sous le marteau de Frédéric Chambre, vice-président de la maison de ventes Pierre Bergé & associés (PBA). Le montant de la vente s’élève à 1 126 230 euros, soit le double de l’estimation. Seuls 22 lots sont restés invendus sur les 325 présentés. Plus de 200 bibliophiles, de passionnés d’Histoire ou de l’épopée napoléonienne, en grande majorité des particuliers français et européens, ont enchéri sur des lots dont le prix de la plupart d’entre eux était a priori abordable, car estimé quelques centaines d’euros. L’effet « provenance Villepin » a gonflé les cotes. Au final, 110 adjudicataires, vainqueurs d’une féroce bataille d’enchères pour les livres et autographes sur l’Empire, ont emporté les lectures érudites de l’ancien Premier ministre.
« La collection était magnifique en raison de l’état des ouvrages et de son contenu cohérent, avec une prime à la provenance. Dominique de Villepin est vraiment un historien bibliophile. Nous sommes loin de l’apparat et du “show off”, commente l’expert Benoît Forgeot. Les livres et autographes ont été choisis avec discernement. Il n’y avait pas de rebuts, pas une lettre qui ne soit sans intérêt. Tout cela a joué sur le succès de la vente. » Et d’ajouter : « C’était une vente ouverte, non pas la collection d’un amateur anonyme. Un choix assumé par l’intéressé de se mettre ainsi à nu. Il y a beaucoup de panache dans cette démarche, avec à la clé le risque d’un jugement dur du public. » Estimée 25 000 euros, une rare édition originale de l’Adolphe (1816) de Benjamin Constant, dans une reliure d’époque parfaitement conservée, a été adjugée 28 460 euros. La plus forte enchère a été portée sur le « maître livre » de la légende napoléonienne, soit l’édition originale du Mémorial de Sainte-Hélène (1823) par le comte de Las Cases, vendue 38 750 euros contre une estimation haute de 20 000 euros. Cet ensemble de 12 volumes était enrichi de précieux documents autographes. Seconde enchère de la dispersion, un décret d’élévation aux titres de comte ou de baron de l’Empire, manuscrit de cinq pages daté du 28 octobre 1808, signé « Nap » à deux reprises par l’Empereur et estimé au mieux 10 000 euros, s’est envolé à 34 700 euros avant sa préemption par les Archives de France. Dominique de Villepin l’a immédiatement offert à l’État français. Parmi les 12 autres préemptions, certaines étaient attendues comme celle de l’édition originale De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations (1796), par Mme de Staël, pour 17 075 euros (deux fois l’estimation basse), au profit de la Bibliothèque nationale de France. Ses riches annotations par Pierre Louis Rœderer en font un exemplaire unique et exceptionnel.

Villepin valeur ajoutée
Au vu de la flambée générale des prix, les libraires ont rapidement abandonné leurs espoirs d’achats. Spécialiste de l’Empire auprès de qui Villepin avait réalisé nombre de trouvailles, Fabrice Teissèdre, de la librairie Clavreuil, est un des rares marchands à avoir emporté quelques lots pour son propre commerce. « Les prix étaient vraiment soutenus et, pour un professionnel, il était difficile d’acheter à ce niveau », note-t-il. Pour exemple, l’exemplaire du maréchal Soult de l’édition originale des Études sur Napoléon (1841) par le lieutenant-colonel de Baudus, avait été acheté chez lui il y a cinq ans pour 1 200 euros. Proposé 1 500 à 2 500 euros à la vente Villepin, l’ouvrage est monté à 7 500 euros !
Au terme d’une demi-journée de vente au pas de charge (85 lots à l’heure), les enchérisseurs les plus frustrés ergotaient sur la valeur ajoutée de la provenance Villepin apportée à des ouvrages en majorité assez communs. L’édition originale en français de De la guerre (1849-1851) par le général Charles de Clausewitz, livre courant qui ne vaut guère plus de 1 500 euros en librairie, a trouvé preneur à 4 360 euros. Cet exemplaire du plus fameux traité de stratégie militaire est devenu celui de l’homme politique français qui a refusé la guerre en Irak ! De même, les très répandues Constitutions de l’Empire (1805-1807) ne valent-elles pas les 9 700 euros d’adjudication si l’on tient compte de leur provenance Talleyrand, lequel a en quelque sorte précédé Villepin au poste de ministre des Affaires étrangères ?

BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE VILLEPIN

- Expert : Benoît Forgeot
- Résultats : 1,1 million d’euros
- Nombre de lots vendus/invendus : 313/22
- Lots vendus : 93 %
- Nombre de préemptions : 13

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Enchères impériales

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