Par un arrêt du 11 juillet, la cour d’appel de Paris a privilégié la destruction de l’œuvre plutôt que l’apposition de la mention « reproduction » sur cette toile contrefaisante signée Marc Chagall.
Paris. Les sanctions de destruction d’œuvre prévues à l’encontre des personnes responsables de contrefaçons iraient-elles parfois trop loin ? La question est loin d’être anodine en ce qu’elle anime les prétoires depuis quelques années. Aussi convient-il de relever un arrêt de la cour d’appel de Paris du 11 juillet 2025 qui sème un peu plus le doute.
Un collectionneur a présenté au Comité Marc Chagall une œuvre intitulée Bouquet et village (Les fleurs sur Saint Jeannet) (1968-1972) et signée en bas à droite « Marc Chagall » aux fins d’authentification. Le comité a estimé l’œuvre contrefaisante et en a proposé la destruction. Naturellement, le collectionneur a résisté à cette demande au profit de l’apposition visible et indélébile de la mention « reproduction ». Face à ce refus, les ayants droit de Chagall, titulaires des droits d’auteur, ont alors fait procéder à une saisie-contrefaçon et demandé que l’œuvre litigieuse leur soit remise aux fins de destruction.
Le 15 septembre 2023, le tribunal judiciaire de Paris a débouté les ayants droit. En effet, lorsque les juges caractérisent la contrefaçon, ils peuvent ordonner la destruction de l’œuvre litigieuse sur le fondement de l’article L. 331-1-4 du code de la propriété intellectuelle. Cependant la simple détention d’une œuvre contrefaisante ne figure pas sur la liste de cet article qui ne vise que l’édition, le débit, l’exportation, l’importation, la reproduction, la représentation ou la diffusion d’une œuvre en violation des droits de l’auteur. Dès lors, aucun texte ne permettait de condamner le collectionneur à la destruction de l’œuvre puisqu’il n’avait commis aucun acte de contrefaçon.
Bien que conforme aux principes du droit d’auteur, cette solution n’était pas sans paradoxe : marquée du sceau de la « reproduction », l’œuvre non authentique est susceptible de réapparaître à plus ou moins long terme sur le marché. À dire vrai, il aurait été souhaitable d’indiquer « reproduction illicite ». Cette solution permettrait d’éviter l’assimilation entre la contrefaçon – à savoir la « reproduction illicite » mentionnée dans l’article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle – et la « reproduction licite » – celle faite dans le respect des droits patrimoniaux et notamment avec l’accord des ayants droit prévu par l’article 9 du décret « Marcus » du 3 mars 1981. Tout cela explique probablement le mécontentement des ayants droit, qui ont fait appel.
Le 11 juillet 2025, la cour d’appel de Paris leur a donné raison et a reconnu un acte de contrefaçon puisqu’en « présentant un tableau qui correspond à une contrefaçon de la peinture […] non seulement au comité Chagall mais surtout à un commissaire-priseur, et donc manifestement avec l’intention de la vendre, [le propriétaire] a communiqué l’œuvre au public et porté atteinte au droit de représentation de l’auteur au sens de l’article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle ». L’acte de contrefaçon caractérisé, les juges avaient toute latitude pour se prononcer sur les mesures réparatrices. Ces derniers ont donc retenu une destruction de l’œuvre car « cette mesure ne présent[e] pas au regard des circonstances de la cause un caractère disproportionné et constitu[e] la seule de nature à répondre à l’impératif général de lutte contre la contrefaçon et à garantir que le tableau litigieux soit définitivement écarté de tout circuit commercial afin de ne pas compromettre à nouveau les droits d’auteur attachés à l’œuvre de Marc Chagall ».
La solution, aussi louable soit-elle pour la préservation des artistes, n’est pas sans critiques quant à l’affirmation d’un acte de représentation illicite. La représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque. Or la Cour de justice de l’Union européenne précise, depuis un arrêt du 7 décembre 2006, que le public « vise un nombre de personnes assez important » et que, par essence, le public ne peut être assimilé à des professionnels qui vont faciliter la communication au public, à l’image de l’intermédiaire qu’est le commissaire-priseur. Aucune vente n’ayant eu lieu, il paraît encore plus délicat de retenir un acte de contrefaçon fondé sur une représentation à un public. La simple apposition de la mention « reproduction » serait bien suffisante, comme l’a déjà jugée la Cour de cassation le 24 novembre 2021 à propos d’une autre toile faussement signée « Marc Chagall ».
Cependant, le bât blesse en ce qui concerne la destruction de l’œuvre contrefaisante car susceptible de porter atteinte au droit de propriété. Le 3 novembre 2021, la Cour de cassation, à propos des destructions de faux dessins d’Amedeo Modigliani qui avait été proposés à la vente, a pu rappeler que celles-ci étaient « justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi qui est de garantir, pour l’avenir, que ces objets seront définitivement écartés de tout circuit commercial qui serait de nature à compromettre de nouveau les droits de propriété intellectuelle méconnus par l’auteur du délit durant le temps de la prévention ». Ainsi, en confirmant la destruction de l’œuvre contrefaisante de Chagall qui n’a jamais été présentée au public, les juges d’appel n’induiraient-ils pas une ingérence dans la propriété d’autrui, impliquant une satisfaction équitable en dépit de la poursuite d’un but légitime ? Une question intéressante sur laquelle la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore eu, à notre connaissance, à se prononcer.
Face aux diverges entre les juridictions du fond, la Cour de cassation va devoir trancher le nœud gordien, car la lutte contre les contrefaçons et les faux est un combat nécessaire. Mais celle-ci peut se mener seulement dans le respect des droits fondamentaux dont doivent pouvoir bénéficier l’ensemble des justiciables. Le lecteur avisé ne manquerait pas une visite du Musée de la contrefaçon à Paris et du Musée national des douanes récemment rouvert à Bordeaux.
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Doit-on détruire une contrefaçon d’œuvre d’art ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Doit-on détruire une contrefaçon d’œuvre d’art ?





