Justice

Bien comprendre la récente décision de justice concernant l’héritage d’Hergé

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 10 juin 2015 - 650 mots

LA HAYE (PAYS-BAS) [10.06.15] - La cour d’appel de La Haye a débouté Moulinsart SA, le 26 mai 2015, de l’ensemble de ses demandes contre une association en s’appuyant sur un contrat de 1942 aux termes duquel Hergé aurait cédé l’ensemble de ses droits à l’éditeur Casterman. Les effets ne sont pas aussi tranchés qu’on veut bien le croire.

La nouvelle fait grand bruit depuis le 6 juin dernier et la révélation par le journal néerlandais NRC Handelsblad de la décision du 26 mai 2015 de la cour d’appel de La Haye (Pays-Bas) concernant le litige opposant la société Moulinsart à l’Association Hergé Genootschap, éditrice de deux revues à faibles tirages destinées à ses quelques membres et reproduisant sans autorisation des extraits de l’œuvre d’Hergé.

La décision, perçue par nombre de commentateurs et tintinophiles exaltés comme un soulagement, prend essentiellement appui sur un contrat signé en 1942 par Georges Rémi, plus connu sous le pseudonyme d’Hergé, que l’Association Hergé Genootschap a opportunément exhumé et produit à l’audience. Dans ce contrat Hergé cédait aux Etablissements Casterman « le droit exclusif de publication de la série des Albums LES AVENTURES DE TINTIN » notamment.

L’existence de ce contrat, que la société Moulinsart n’a pas réussi à écarter des débats, pourrait remettre en cause l’économie de l’exploitation des droits patrimoniaux de l’artiste. En d’autres termes, beaucoup de commentateurs ont annoncé que la société Moulinsart ne serait plus fondée à demander des droits aux multiples acteurs qui exploitent, d’une manière ou d’une autre, les personnages d’Hergé.

En l’espèce devant la cour d’appel de La Haye, ce contrat a fait échouer la demande en contrefaçon de droits d’auteur et de marque de Moulinsart visant l’Association néerlandaise. La cour conforte ainsi la décision de première instance qui avait déjà débouté, en février 2014, Moulinsart au regard de l’exception de courte citation.

L’histoire qui se créée aujourd’hui autour de ce contrat voudrait que le document ait été remis à la défense de l’association par un spécialiste anonyme de l’œuvre d’Hergé. Egarée, perdue, sciemment cachée, la précieuse pièce aurait ressurgi pour la première fois depuis tant d’années. L’histoire est séduisante, mais sans doute trop romancée. Pour s’en convaincre, et sans être initié aux arcanes de la tintinophilie, il suffit de se reporter à la déclaration de Louis Delmas, directeur général de Casterman, qui en janvier 2011 énonçait sans détour à nos confrères du Figaro que « Quand Hergé a signé son contrat, en 1942, il nous a cédé ses droits d’édition jusqu’en 2054. » Par ailleurs, l’article 9 du fameux contrat stipule que « Monsieur Georges REMI reste propriétaire de ses ouvrages mais il garantit aux Etablissements Casterman, pour lui ou ses ayants droit, le droit de les rééditer aux conditions générales ci-dessus stipulées. » L’affaire ne paraît donc guère aussi limpide qu’il n’y paraît. Et cela d’autant plus qu’un tel document a pu faire l’objet d’avenants divers notamment au regard de l’interdiction de la cession globale des œuvres futures, consacrée tant en France qu’en Belgique par la jurisprudence, puis par le Code de la propriété intellectuelle et la Loi relative au droit d’auteur.

Et si la charte imposée à tous les utilisateurs, quelle que soit leur importance et leurs moyens, par Moulinsart SA, les contraignants à reverser des droits pour l’exploitation de l’œuvre d’Hergé a été déclarée nulle par la cour d’appel, il convient de rappeler que l’héritière de Georges Rémi, sa veuve Fanny Rodwell, demeure toujours investie du droit moral de l’artiste et peut ainsi contrôler le respect dû à l’œuvre d’Hergé. Enfin, au regard de la manne financière représentée par les ventes d’album de Tintin, les relations entre Casterman, qui pourrait être seule investie des droits sur les albums, et Moulinsart SA ne joueront pas nécessairement au profit de ceux souhaitant librement adapter sans autorisation les aventures du reporter, qui ne pourront nullement se prévaloir en dehors des frontières des Pays-Bas de la présente décision.

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Le musée Hergé à Louvain-la-Neuve en Belgique - Architecte Christian de Portzamparc (2009) © Photo Peripatetic - 2013 - Licence CC BY-SA 3.0

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