Foire & Salon

Art Paris Art Fair : La Corée, tradition et actualité

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2016 - 1281 mots

PARIS

L’Année France-Corée est l’occasion pour la foire de proposer un focus sur un pays qui n’a jamais cessé, depuis la fin des années 1980, d’entretenir des liens forts avec l’Hexagone. Retour sur l’histoire.

Lorsqu’il est arrivé, en tant que commissaire général, à Art Paris Art Fair début 2012, Guillaume Piens a d’emblée voulu en faire « une foire européenne orientée vers l’Est, c’est-à-dire aussi bien l’Europe centrale et orientale que le Moyen-Orient et l’Asie ». En 1993, la Russie était ainsi le premier pays invité d’honneur de cette foire parisienne de printemps. Suivront la Chine en 2014, l’Asie du Sud-Est avec Singapour comme tête de pont en 2015. Et cette année la Corée du Sud, l’un des temps forts de l’« Année France-Corée » et le dernier volet ouvert dans cette direction puisque l’« intention [du salon] est de passer maintenant à d’autres scènes, avec dès l’année prochaine l’Afrique subsaharienne », annonce Piens.

Mettre « La Corée à l’honneur », selon l’intitulé de ce focus confié à la commissaire Sang-A Chun, n’a rien d’étonnant tant le pays du Matin-Calme est depuis longtemps – près de trois décennies, soit bien avant la Chine à la fin des années 1990 –, l’une des scènes importantes sur le plan international, aussi bien du point de vue de sa création que de son marché. Les institutions publiques comme les fondations privées y sont nombreuses, de même que ses manifestations. En témoignent ses biennales, à commencer par celle de Gwangju, la plus ancienne, lancée dès 1995, et à ce titre la première biennale d’art contemporain en Asie.

Déjà en 1996 à la Fiac
La présence de la Corée dans une foire parisienne n’a rien, non plus, d’inédit : déjà en 1996, elle était le pays invité d’honneur de la Fiac (Foire internationale d’art contemporain), qui en raison de travaux de réfection du Grand Palais avait depuis deux ans déménagé sous une tente dressée quai Branly. Quinze galeries coréennes y participaient, parmi lesquelles Ci-Gong de Daegu (dirigée par le défunt Lee Tae), la galerie Jo Hyun de Busan, Kukje et Gana de Séoul. Bien avant cette date, Gana était une habituée du Grand Palais où elle venait régulièrement depuis 1988. S’ouvrira même à Paris, en 1995, la galerie « Gana-Beaubourg », au 3 de la rue Pierre-au-Lard, à deux pas du Centre Pompidou. Elle fermera en plusieurs étapes et définitivement en 2008.

Cette émergence de la scène coréenne dans les années 1980 avait pour origine la naissance des premières avant-gardes au milieu des années 1950, début des années 1960. Et ce dans le contexte politique difficile de l’époque. Rappelons que les deux plus grands artistes coréens reconnus sur la scène internationale depuis déjà longtemps sont Lee Ufan (né en 1936 à Kyangnam) et Nam June Paik (né en 1932 à Séoul et mort à Miami en 2006), qui avaient quitté la Corée, fuyant la guerre entre le Nord et le Sud. Le premier ira s’installer au Japon en 1956 où il sera l’un des fondateurs en 1969 du fameux mouvement Mono-ha. Quant au second, régulièrement considéré comme le pionnier de l’art vidéo, il s’installera à New York en 1964, après avoir également quitté la Corée, en famille en 1950, pour aller d’abord à Hongkong puis lui aussi au Japon. La décennie 1970 verra apparaître un balbutiement de démocratisation du pays qui ira crescendo jusqu’en 1987 avec la première élection démocratique. Le pays commence alors à prospérer jusqu’à connaître dans les années 1990 ce fulgurant développement économique, souvent considéré comme un modèle de réussite et qui fait aujourd’hui de la Corée la 12e puissance mondiale. Le début de ces années 1970 voit émerger une génération d’artistes composée de Lee Ufan, Park Seo-bo, Ha Chong-hyun, Chung Sang-hwa… Ils ont été regroupés en 2000, par le critique et historien de l’art Yoon Jin Sup, dans un mouvement historique créé donc a posteriori baptisé « Dansaekhawa » (le monochrome coréen), auréolé aujourd’hui d’une reconnaissance internationale et bénéficiant d’un important intérêt économique.

L’une des dates clés de cette ascension de la Corée sera bien évidemment l’organisation, en 1988, des Jeux olympiques de Séoul, qui vont tout débloquer. Dans le cadre de ces Jeux sera même organisée, sous le commissariat de Pierre Restany et Gérard Xuriguera, « L’Olympiade des Arts », un symposium de sculptures rassemblant 200 œuvres installées de façon pérenne sur le parc olympique de sculptures.
À partir de cette époque, de nombreux jeunes artistes coréens viennent s’installer en France. En 1991, une trentaine d’entre eux fondent, à l’initiative notamment de Lee Bae et Kwun Sun-cheol, l’association Sonamou et créent l’« Artsenal », un regroupement d’ateliers, une véritable ruche même, aménagée dans une usine désaffectée de chars AMX à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Un an auparavant, Lee Ufan avait déjà acheté son atelier parisien, où il passe encore une partie de son temps. L’image très attractive de Paris ne s’est jamais édulcorée depuis, puisque l’on estime aujourd’hui à environ 400 ou 500 le nombre d’artistes ou d’étudiants en arts plastiques coréens présents dans la capitale ou sa proche banlieue.

À partir des années 2000, le développement économique coréen (aujourd’hui au ralenti) s’est accompagnée d’une formidable dynamique sur le plan culturel, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et ce dans tous les domaines, jeux vidéo, cinéma, musique – de la « k-pop » (koréan pop) aux labels et groupes indépendants de la scène électronique – jusqu’aux arts plastiques, une scène soutenue activement par les galeries.

Une représentation imparfaite à Art Paris
Des galeries coréennes, Art Paris Art Fair ne rend pas suffisamment compte avec seulement sept représentants dont les deux plus anciennes, Gana Art et Park Ryu Sook, ont été fondées en 1983. À la décharge de la foire parisienne, il faut préciser que les grosses pointures comme Kukje préfèrent venir à la Fiac ; que la foire Art Basel Hong Kong, programmée à la même période, du 24 au 26 mars, et plaque tournante en Asie, constitue une forte concurrence ; et enfin que pour les jeunes galeries un déplacement à Paris est un investissement important.

Si la représentation des galeries n’est pas vraiment significative, en revanche, celle des artistes offre un bel éventail de la création coréenne, tant formelle que générationnelle, depuis une bonne cinquantaine d’années. Car ce ne sont pas moins de soixante-dix artistes coréens environ qui sont représentés au Grand Palais dans de nombreuses galeries françaises ou internationales, de Thessa Herold avec Ungno Lee à Françoise Livinec qui expose six artistes. C’est que cela fait longtemps qu’un grand nombre de galeries parisiennes représentent de façon permanente des artistes coréens : depuis 1994, Baudoin Lebon a travaillé avec huit artistes et il en soutient cinq actuellement (notamment Kim Tschang-yeul, Oh Sé-yeol, Chae Sung-pil) ; Jacqueline Moussion présentait déjà en 1993 Shim Moon-seup, qui fait aujourd’hui à nouveau partie de ses artistes ; RX compte dans ses rangs depuis près d’une décennie Lee Bae et Bae Bien-u ; Maria Lund expose régulièrement Lee Jin-woo et Min Jung-yeon. Elles sont toutes présentes cette année sous la verrière. Sans parler des galeries Kamel Mennour et Emmanuel Perrotin, lesquelles ne participent pas à la foire mais défendent respectivement Lee Ufan et Park Seo-bo.

Comment expliquer cette tendance ? Elle est d’une part liée à cette forte tradition de la présence d’artistes coréens en France et, comme le précise le galeriste Baudoin Lebon, à « l’inventivité et à la spécificité de la création coréenne, avec des artistes qui travaillent sur le long terme, bien loin des effets feu de paille, ce qui nous intéresse en tant que galeriste ». Il est par ailleurs évident que représenter des artistes coréens est aussi une façon de s’ouvrir une porte avant de l’élargir à toute l’Asie du Sud-Est.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : Art Paris Art Fair : La Corée, tradition et actualité

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