Analyse

Art et finance, les liaisons dangereuses

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 septembre 2005 - 571 mots

Les professionnels du marché de l’art redoutent l’explosion de la bulle immobilière.

Après la vague d’attentats du mois de juillet à Londres, certains professionnels du marché de l’art ont déballé les habituels scénarios catastrophe. Le marché de l’art en Grande-Bretagne risque-t-il de se refroidir ? La question se pose d’autant plus que, d’après une enquête d’Artprice, l’Angleterre s’avère plus dynamique que le mastodonte américain sur plusieurs fronts. Entre avril 2000 et avril 2005, l’indice de l’immobilier y a progressé de 92,3 % contre 50,5 % aux États-Unis, et celui de Fine Art de 69,4 % contre 28,2 % ! Depuis le début de l’année, le pays joue même les premiers de la classe, avec 38,2 % de parts de marché sur le segment des beaux-arts contre 37,3 % pour les États-Unis.
Pour l’heure, les professionnels peuvent mettre des mouchoirs sur leurs angoisses. Si la Bourse a légèrement vacillé au lendemain des attentats, l’appétit des collectionneurs ne s’est pas démenti. Pour preuve, le succès de la vente Champalimaud (38,9 millions de livres sterling) chez Christie’s Londres les 6 et 7 juillet. Malgré l’impossibilité d’utiliser des téléphones portables, la flamme des enchérisseurs, perceptible à la veille des attentats, s’est confirmée après les explosions.
Comme l’indique une autre enquête d’Artprice comparant les cours boursiers, immobiliers et artistiques, les plaques architectoniques du marché de l’art et de la finance tendent de plus en plus à se détacher. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’indice Fine Art d’Artprice a retrouvé plus rapidement ses bons niveaux antérieurs que la Bourse. Lorsque, entre octobre 2002 et janvier 2003, l’indice Dow Jones a fléchi de 4 %, le marché de l’art a connu une embardée de 7,6 % aux États-Unis. L’œuvre d’art est un « produit » plus indépendant du tissu économique qu’une action, valeur purement spéculative amenée à se déprécier si l’entreprise qu’elle incarne traverse une mauvaise passe. La dévaluation boursière s’avère d’ailleurs immédiate. En revanche, les maisons de ventes publiques peuvent filtrer suffisamment l’offre pour que l’on ne mesure pas d’essoufflement de prix. Ce constat vaut surtout pour l’art contemporain, où un artiste défaillant face à l’épreuve des enchères est écarté des vacations suivantes. Autre conclusion d’Artprice, l’investissement dans l’art reste plus porteur qu’en Bourse. Entre avril 2000 et avril 2005, les cours britanniques, américains et français ont chuté respectivement de 19,2 %, 5 % et 33,7 %, alors que le marché de l’art s’est pourtant montré florissant. Les liens entrel’art et la finance ne sont toutefois pas aussi distendus que l’on voudrait le croire. De manière indirecte, la vitalité boursière de 1999-2000 a dopé le marché de l’art américain avec l’arrivée massive des spéculateurs boursiers.
Si la bulle boursière de 2000 a explosé sans laisser de séquelles sur le marché de l’art, les spécialistes redoutent aujourd’hui une explosion de la bulle immobilière, dont l’incidence pourrait être autrement plus dommageable. On l’a vu à la fin des années 1980, la crise immobilière avait provoqué l’important retrait des acheteurs nippons des salles de ventes et une chute des prix de 50 % sur certains segments. Rappelons que la bonne santé de la pierre depuis moins d’une décennie a aussi conduit vers l’art les nouveaux magnats de l’immobilier, comme l’Américain Steve Wynn ou l’Allemand Aby Rosen. Pour l’heure, les spécialistes exorcisent tout cataclysme en évoquant un « atterrissage en douceur » des prix de l’immobilier. Confiance lucide ou politique d’autruche ? L’avenir nous le dira.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°220 du 9 septembre 2005, avec le titre suivant : Art et finance, les liaisons dangereuses

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