Albert Baronian, galeriste

« À l’époque, l’art était un engagement »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 avril 2009 - 799 mots

Albert Baronian ouvre sa première galerie en 1973 à Bruxelles. Il s’associe en 2002 avec Edmond Francey pour ouvrir un espace sous le nom « Baronian-Francey ».

Vous fêterez en juin plus de trente-cinq ans d’activité avec une exposition organisée à la Centrale électrique, à Bruxelles : « Nothing is permanent ». Quels sont les grands changements que vous avez remarqués en trois décennies ?
Lorsque j’ai commencé, il y avait en Belgique très peu de galeries d’art contemporain, à peine deux d’avant-garde et à vocation vraiment internationale. Le public était alors très rare, constitué de vrais amateurs pour lesquels l’art était une aventure intellectuelle. Depuis une dizaine d’années, les choses ont changé. L’art a toujours été dans le système capitaliste, mais la valeur économique a commencé à prendre le dessus. Aujourd’hui, une vraie industrie s’est greffée à ce monde. Je suis surpris par le manque de culture des gens. De nos jours, « ça fait bien » d’acheter de l’art contemporain, il ne faut pas manquer les grands rendez-vous sous peine de passer pour un ringard. À l’époque, l’art contemporain était un engagement. On pensait que cela modifiait le regard. C’était peut-être naïf. Maintenant, une grosse partie du marché est constituée de fabricants d’objets, de machines à produire.

Vous sentiez-vous plus à l’aise dans l’ancien monde ?
Dans l’autre monde, j’étais plus proche de mes idéaux, mais je m’adapte. Je vis mieux dans le monde actuel car les premières années avaient été économiquement très difficiles.

De tous les artistes que vous avez exposés, seul Gilberto Zorio est encore à l’affiche dans votre galerie. Pourquoi ?
Zorio est un ami, il est fidèle. J’ai travaillé avec Matt Mullican, lequel collabore maintenant plus avec les musées, ou Hermann Pitz, qui enseigne davantage et travaille de façon plus confidentielle. Une galerie doit évoluer. Depuis sept ans, je me suis associé à Edmond Francey, qui a vingt-deux ans de moins que moi. Je n’étais pas très impliqué aux États-Unis, je préférais la vieille Europe. Edmond m’a apporté son regard, en amenant l’artiste Thomas Zipp par exemple. Nous avons cherché à faire un programme plus actuel pour éviter la lassitude, l’endormissement. La programmation de cette année mélangera l’ancien et le nouveau, avec des expositions de Tony Oursler, Bob Wilson, Gilbert & George, et de jeunes comme Xavier Mary.

Vos méthodes de travail ont-elles changé depuis votre association avec Edmond Francey ?
Edmond m’a fait comprendre qu’une galerie est une petite entreprise qui doit tourner. Il m’a apporté une certaine efficacité. Autrefois, je pouvais exposer un artiste tout juste sorti d’une école d’art. Edmond m’a appris que l’on devait être plus prudent dans nos choix étant donné le contexte économique actuel. J’ai aussi une attitude un peu attentiste, fataliste. Si les choses doivent arriver, elles arrivent. Si les gens ne comprennent pas un artiste que j’estime bon, tant pis, ils comprendront un jour. Edmond cherche au contraire à l’imposer tout de suite, à faire venir les collectionneurs.

Vous avez connu trois crises. L’épisode actuel vous inquiète-t-il?
Non, on revient aux vraies valeurs. Ma galerie va tenir. Si on arrête à la moindre bourrasque, c’est que l’on n’est pas armé.

Vous êtes le seul marchand belge à avoir bénéficié d’une aussi grande longévité. Comment expliquez-vous le faible nombre de galeries en Belgique ?
Il s’y trouve quand même quinze galeries de niveau international, ce qui est beaucoup pour un petit pays. Les collectionneurs belges voyagent énormément. Certains s’informent chez nous, mais achètent ailleurs. Belgacom, par exemple, achète plutôt dans les galeries étrangères, c’est plus chic. Le mérite des galeries belges, c’est surtout d’avoir tenu sans les institutions. Il n’y a pas ici de Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et les musées n’ont pas d’argent. De toute ma carrière, j’ai fait à peine dix factures à des musées. Les Musées royaux ne m’ont jamais rien acheté. Le problème n’est pas juste un manque de budget. Le fractionnement du pouvoir politique fait que personne ne s’engage dans un projet. La mentalité du politicien belge, c’est que la culture n’est pas rentable. Du coup, l’art est ici une affaire privée.

Comment situez-vous la foire d’art contemporain Art Brussels (lire p. 24)  par rapport à Art Forum Berlin, Frieze Art Fair à Londres ou Artissima à Turin ?
Art Brussels est plus un salon qu’une foire. Elle a gardé un côté intimiste, c’est l’anti-Frieze, c’est une foire qui donne sa chance aux très jeunes galeries, où les exposants peuvent prendre des risques. Ce n’est pas l’endroit où l’on peut vendre des œuvres au-dessus de 100 000 euros. Bruxelles joue sur la proximité et elle peut s’en sortir grâce à ça. On est fatigué des grands-messes paillette.

Galerie Baronian-Francey, 2, rue Isidore-Verheyden, Bruxelles, tél. 32 2 512 92 95, du mardi au samedi 12h-18h. Prochaine exposition : Chris Johanson-Jean Dubuffet, du 24 avril au 13 juin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°301 du 17 avril 2009, avec le titre suivant : Albert Baronian, galeriste

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