Neil MacGregor, directeur du British Museum, à Londres

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2011 - 1580 mots

Ce directeur de musée compte parmi les plus admirés dans le monde. Humaniste à tous les niveaux de son action, il s’oppose cependant aux restitutions et défend l’idée de musée universel.

« Êtes-vous capables de montrer vos pièces africaines en Afrique ? » Quand Neil MacGregor, alors directeur de la National Gallery de Londres, a été nommé au British Museum, nous eûmes une discussion animée en un quelconque restaurant parisien. Le sujet portait sur les bronzes du Bénin, dont le sort, à la toute fin du XIXe siècle, est choquant. Engagées dans une opération de représailles après la perte d’une première expédition militaire, les troupes britanniques avaient dévasté puis incendié le palais royal. La part la plus glorieuse du butin fut remise au British Museum, tandis qu’une autre fut dispersée aux enchères pour rembourser les frais de l’expédition. Faire payer son sort à la victime est un geste odieux, qui ajoute l’humiliation au crime. Neil n’en disconvenait pas, même s’il faisait valoir l’impact culturel qu’avait représenté l’introduction de ces splendides pièces du XVIe siècle à Londres et Berlin : « Les Européens se trouvaient confrontés à des sculptures aussi splendides que celles produites par la Renaissance en Italie. C’était impensable ! Du reste il y eut des savants pour expliquer très sérieusement qu’elles devaient être l’œuvre d’une civilisation grecque perdue, d’une Atlantide ainsi redécouverte… Ce sont de tels chocs qui ont miné la supériorité occidentale. »

« Saint Neil »
Quelques mois plus tard, ayant pris ses fonctions, Neil demandait à me revoir. Il avait « quelque chose à m’annoncer » : « Nous allons ouvrir une exposition à Nairobi [Kenya]. C’est la première organisée en Afrique subsaharienne par un musée occidental. D’autres suivront, en Éthiopie par exemple. » Et, comme il semblait que je m’étais montré particulièrement désagréable en évoquant le risque d’exporter un regard occidental sur l’œuvre : « Nous avons invité un conservateur kenyan à venir lui-même sélectionner les objets dans nos collections, et je suis très heureux parce qu’il en a choisi de toute la corne de l’Afrique, dans un esprit ouvert. »

De tous les directeurs de musée dans le monde, Neil est sans doute le plus admiré. À la National Gallery, ce pratiquant avait été surnommé « saint Neil ». Il a dirigé deux des plus prestigieuses institutions britanniques, mais il a été un temps pressenti pour prendre la tête des musées de Berlin, du Metropolitan Museum of Art à New York et même du Louvre (mais à Paris, il aurait fallu des statuts qui autorisent la candidature d’un étranger). Il n’est pas sûr qu’il aurait été heureux dans le monde étouffant des musées parisiens, mais il n’a jamais caché son inclination pour notre pays : « L’Angleterre pour un Écossais ? C’est le plus sûr moyen de rejoindre la France. »

Né en 1946 à Glasgow, il a été très impressionné, enfant, par cette vision du Christ que venait d’acquérir la ville, prise en plongée par Dalí (donc du point de vue de Dieu). Il a étudié le français et l’allemand à Oxford, la philosophie rue d’Ulm à l’École normale supérieure, le droit à Édimbourg… Il s’est vite réorienté vers l’histoire de l’art au Courtauld Institute, encouragé par Anthony Blunt, qui parlait de lui comme « l’élève le plus brillant » qu’il n’ait jamais croisé. Fort de ce parrainage, il est devenu rédacteur en chef du Burlington Magazine en 1981, alors propriété du groupe de presse du Times et dont il a tenu à faire une revue indépendante.

Volontairement discret sur sa vie privée, MacGregor est le seul directeur dans l’histoire de la National Gallery à avoir refusé d’être honoré chevalier par la reine. Il doit sa réussite au mélange de deux composantes rarement compatibles : l’histoire de l’art et la gestion. À son arrivée, le financement privé était considéré comme la cerise sur le gâteau, à peine 2 % des 14 millions de livres de budget (au cours actuel, l’équivalent de 16 millions d’euros). Quinze ans plus tard, il l’avait porté à 63 % d’un total qui avait doublé.

En 2002, il est passé au British Museum, alors en pleine crise. Déficit de 5 millions de livres, grèves, coupes claires, l’avenir était sombre. Le personnel, comptant un millier d’employés aujourd’hui, a été amputé de 15 %. Mais le nombre de visiteurs est passé de 4,5 millions à 6 millions, le budget de 50 millions à 90 millions de livres (de 55 à 100 millions d’euros environ), les donations ayant décuplé (12 millions de livres, soit 14 millions d’euros) et les revenus commerciaux, plus que doublé (25 millions de livres, soit 29 millions d’euros). Le musée traverse désormais une passe plus délicate, David Cameron ayant coupé 15 % de sa subvention, ce qui entraîne une contraction des horaires de visite et la suppression de vingt-trois postes. Mais son directeur préfère ne pas s’appesantir, sachant que nombre d’autres institutions culturelles ont vu leur financement amputé de 80 % [lire le JdA no 353, 23 septembre 2011].

Son grand cheval de bataille a été de maintenir la gratuité des entrées, en soulignant le lien étroit qu’elle permet de nourrir avec la société. Il n’y a rien de plus facile que d’aller et venir dans un musée londonien. En retour, celui-ci peut espérer plus de recettes commerciales, mais aussi plus de donations. Au-delà de ces performances, Neil McGregor a surtout travaillé avec les personnels pour leur redonner confiance, ouvrant grand les portes et les fenêtres aux immigrés, aux jeunes, aux provinciaux, au tiers-monde. Il a voulu donner une nouvelle vie aux principes qui avaient guidé la fondation même du musée en 1753, par le Parlement britannique alors menacé par l’intolérance de ses ancêtres catholiques : « for the public benefit » (pour le bénéfice de tous). « Pas des citoyens britanniques, des citoyens du monde. » Il a plaidé en faveur d’une extension des expositions et des échanges culturels pour faire de son musée « une bibliothèque de prêt mondiale » en Afrique, en Chine, en Inde. Il a aussi exposé le Cylindre de Cyrus à Téhéran, non sans malice dans la mesure où ce texte de loi est vu comme le premier ayant établi la liberté de culte, édicté au VIe siècle avant notre ère par l’empereur de Perse qui ordonna la reconstruction du Temple de Jérusalem.

Homme de médias
Systématiquement, en présentant les anciennes civilisations, il cherche une traduction dans le monde d’aujourd’hui, ce qui donne à ses expositions une tournure politique et didactique. Évoquer Babylone fut l’occasion de parler des monuments de Saddam Hussein. Sa série sur les grands empires comprenait toujours un calendrier rappelant les événements qui se déroulaient dans le même temps à l’autre bout de la planète. Il a aussi fait circuler des œuvres en province, avec un accompagnement pédagogique. Il négocie régulièrement des émissions avec la radio et la télévision et est particulièrement fier d’avoir décroché un spot pour commenter des allégories du Temps à une heure de grande écoute, juste après la météo. Il a impulsé une ouverture en direction des communautés, leur proposant des partenariats, entourant ses expositions de colloques ou rencontres autour de la cuisine, ou encore accueillant des fêtes communautaires. Il ne manque pas une occasion de souligner que 300 langues s’échangent aujourd’hui à Londres. Dans quel grand musée en France voit-on une telle ouverture sur l’extérieur ?

« Cosmopolitanisme »
Pour les mêmes raisons, il s’est opposé, sauf exception, aux restitutions, en estimant qu’elles risquaient de compromettre les musées encyclopédiques, qui sont en eux-mêmes des « trésors de l’humanité ». Et surtout un lieu où toutes les cultures peuvent s’entrecroiser, en réplique au fanatisme et à l’intolérance. Il est ainsi un fidèle des théories du philosophe ghanéen Kwame Anthony Appiah, qui a forgé le néologisme d’un « cosmopolitanisme » rassemblant les habitants de la planète sur un même socle éthique. Les critiques voient dans ce refus des restitutions un habillage bien commode. Pour autant, MacGregor remarque à juste titre que « fixer l’identité de l’art en termes de propriété, c’est, intrinsèquement, tout fausser ». Il souligne de surcroît le risque que les revendications ne servent une démagogie nationaliste, comme on a pu le voir en Grèce [quand le gouvernement socialiste, en difficulté, a réclamé les frises du Parthénon] ou encore récemment en Égypte [où le ministre déchu, Zahi Hawass, a voulu réunir les pays spoliés tout en réclamant des objets un peu partout dans le monde].

Le directeur a ouvert le corps des conservateurs aux étrangers, tout en se félicitant que son conseil d’administration compte en son sein des Africains ou des Australiens. Il est un défenseur farouche de ce mode de fonctionnement garantissant l’indépendance de l’institution, si éloigné du système clanique qui ronge la culture en France.

Le British Museum vient de publier une Histoire du monde en cent objets, qui est en soi un discours de la méthode selon saint Neil : un voyage de deux millions d’années, d’une pierre de taille exhumée en Tanzanie à la carte bancaire, en passant par le rhinocéros de Dürer, un bouclier d’écorce aborigène, un accouplement du Néolithique, une reine maya se lacérant la langue ou un couple gay au lit. Les conservateurs étaient invités à choisir les objets les plus instructifs de leur département, tout le monde donnait son avis, et le compte rendu de ces échanges a fait l’objet d’un feuilleton quotidien de la radio. Gestionnaire, historien de l’art, meneur d’hommes, tout ceci n’aurait guère de sens si ce n’était porté par un message humaniste.

Neil MacGregor en dates

1946
Naissance à Glasgow (Écosse).

1981
Rédacteur en chef du Burlington Magazine.

1987
Directeur de la National Gallery de Londres.

2002
Directeur du British Museum, à Londres.

2011
Publication de A History of the World in 100 Objects.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Neil MacGregor, directeur du British Museum, à Londres

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