Mécénat et niches fiscales

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 19 octobre 2010 - 1108 mots

" Au nom de cet encouragement à la générosité, j’ai plaidé pour que cette niche fiscale ne soit pas écornée. " C’est ainsi que la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, a tenu à clarifier sa position, lors d’un colloque consacré aux fonds de dotation le 14 septembre, sur un sujet qui a suscité de nombreuses interrogations lors de la préparation de la prochaine loi de finances. Le même jour, son ministre du Budget, François Baroin, avait également annoncé que le dispositif serait mis à l’abri du « coup de rabot » annoncé.  Si le message du gouvernement est clair – on ne touche pas pour le moment à la générosité –, la sémantique employée est pourtant sans ambiguïté : le don aux organismes d’intérêt général est désormais assimilé par la grande patronne de Bercy à une niche fiscale. Dès le printemps, le scénario d’un plafonnement des avantages fiscaux liés aux dons a bel et bien été mis à l’étude par le ministère du Budget. Une frange de la majorité n’y était d’ailleurs pas hostile. C’est en effet une petite phrase de Gilles Carrez (UMP), rapporteur général du projet de loi au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui a semé le trouble le 30 juin, lors d’un débat d’orientation budgétaire. Le député déclarait alors : « Il existe une niche au regard de l’impôt sur le revenu qui est choisie et qui n’est pas concernée par le plafonnement global : la réduction d’impôt au titre des dons et du mécénat. Je pense qu’il faudra la soumettre également au «coup de rabot» ». Le rapporteur ciblait les particuliers, mais sa proposition aurait tout aussi bien pu concerner les entreprises. Elle a eu l’effet d’un pavé jeté dans la mare. Discrets sur le sujet, les services de Bercy ont poursuivi la réflexion. Coup de rabot ou abrogation pure et simple des lois de 2003, dont tout le monde vante le caractère attractif sans qu’aucune étude sur son impact pour les finances publiques n’ait jamais été rendue publique ?
 
Loi de 2003 : le dispositif le plus attractif au monde
Pour les experts de Bercy, une première difficulté se présentait : fallait-il dissocier les dons du mécénat ? ou toucher les deux ? C’était là se mettre à dos le monde associatif dont la réaction ne s’est pas fait attendre. Dans un communiqué commun, France générosités, le Centre français des fondations, la Conférence permanente des coordinations associatives et Coordination Sud en ont ainsi appelé à la cohésion sociale pour mobiliser contre cette disposition. « Jamais aucun gouvernement n’a traité les incitations fiscales au don comme des niches fiscales, indiquait ainsi un communiqué commun. Au contraire, année après année, ils les ont développées, en créant de nouvelles en vue d’amener les Français à se montrer toujours plus généreux vis-à-vis de causes et de secteurs toujours plus étendus, que l’État ne peut plus assumer complètement. »  De fait, en cette période de crise, la mesure eut été assez impopulaire. Son efficacité a également été contestée : le volume global des dons, tous secteurs confondus, s’élèverait à 900 millions d’euros. C’est peu en comparaison du coût de la baisse de la TVA sur la restauration, estimée à plus de 2,5 milliards d’euros.  L’autre solution, ne toucher qu’au seul mécénat, aurait été plus complexe à mettre en œuvre car elle aurait dû être menée en parallèle au projet de loi de finances. Elle aurait ainsi nécessité de modifier ou d’abroger les dispositions de la loi de 2003. Or, depuis la promulgation de cette loi, les gouvernements successifs se sont toujours targués d’offrir aux mécènes le dispositif le plus attractif au monde – ce qui est vrai –, voyant là l’opportunité, notamment dans le domaine culturel, de compenser la baisse des crédits budgétaires. Toucher à cette loi aurait ébranlé le tout nouvel outil de Bercy, les fonds de dotation, qui connaissent un véritable engouement (lire p. 17). Or le fonds de dotation représente aussi un changement radical dans la manière dont l’État accepte désormais la prise en charge de l’intérêt général par le secteur privé. « Les contrôles ne s’effectuent qu’a posteriori et ne portent que sur l’utilisation des fonds, jamais sur leur provenance », note ainsi un conseiller en mécénat. Pour les particuliers, qui représentent plus de la moitié des créateurs de fonds de dotation, la déduction fiscale s’élève à 66 % de leur impôt sur le revenu. Soit un gros cadeau fiscal, surtout lorsque l’on peut créer son propre fonds… 

Prouver son désintéressement
Dans le milieu culturel, plusieurs spécialistes n’hésitent plus à dénoncer cette promotion débridée des avantages fiscaux et des contreparties en nature offertes aux donateurs, quitte à dévoyer l’essence même du mécénat, par nature désintéressée. Or cette tendance s’est encore accentuée depuis l’arrivée sur le créneau de nouvelles agences mêlant sans complexe événementiel culturel et mécénat. Plusieurs entreprises leaders dans le domaine de la communication ne s’y sont pas trompées en créant des structures spécialisées comme « Aegis », qui, avec Carat Culture, s’occupe depuis 2008 du marketing culturel du Palais de Tokyo-site de création contemporaine (Paris), ou encore de Havas et sa filiale MPG Art. Faire un peu d’ordre dans ces pratiques – dont le lien avec l’intérêt général est parfois ténu – serait donc opportun. Idem pour les dispositifs incitatifs destinés à l’enrichissement des collections nationales, dont celui en faveur des trésors nationaux, qui permet de défiscaliser jusqu’à 90 % du prix d’achat de l’œuvre.  Si les inspecteurs des finances de Bercy estiment qu’« une perte de recette fiscale vaut mieux qu’une augmentation du budget d’acquisition du ministère de la Culture », cette créance sur le Trésor ne pose-t-elle pas problème lorsque l’estimation des œuvres en question semble ignorer les prix du marché de l’art, comme quelques exemples récents l’ont illustré ? Conduire avec transparence une réflexion sur l’efficience réelle des dispositifs en place est donc aujourd’hui un impératif. Car assimiler le mécénat à une niche fiscale, comme le fait le gouvernement, n’est-il pas une manière de reconnaître que l’intérêt général et le désintéressement ne sont pas nécessairement les moteurs de ces dons ?  Le débat n’est pas clos : plusieurs parlementaires n’ayant pas abdiqué envisagent en effet de déposer des amendements au projet de loi de finances pour obtenir le plafonnement des avantages fiscaux liés aux dons. Les défenseurs du dispositif, notamment dans le domaine du mécénat culturel, auront alors tout intérêt à justifier du caractère irréprochable de leurs pratiques.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°333 du 22 octobre 2010, avec le titre suivant : Mécénat et niches fiscales

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