Politique

Entretien

Renaud Donnedieu de Vabres Ministre de la Culture depuis mars 2004

« La dimension éducative des institutions devra être renforcée »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 8 octobre 2004 - 2735 mots

PARIS

Né en 1954, Renaud Donnedieu de Vabres est depuis mars 2004 ministre de la Culture et de la Communication dans le troisième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Enseignement artistique, musées, art contemporain, marché de l'art : le ministre prend ici position sur les principaux dossiers et présente ses projets.

Des projets d’antennes du Centre Pompidou et du Louvre sont prévus en régions, pour la premier à Metz, pour le second dans une ville du Nord qui reste encore à déterminer. N’aurait-il pas été plus urgent de donner davantage de moyens à leurs relais naturels en régions, les musées des beaux-arts de province ?
Le développement de collections nationales de première importance au Louvre ou au Musée national d’art moderne/Centre Pompidou ne peut se faire au détriment de l’aménagement culturel du territoire. Le Centre Pompidou comme le Louvre ont des contacts et plus encore des sujets de coopération très riches en matière d’acquisitions, de dépôts, d’expositions avec les institutions décentralisées.
Mais la problématique poursuivie dans les projets d’antennes est bien différente : elle va au-delà de cette coopération et, en ce sens, elle est véritablement novatrice. Il s’agit de constituer un équipement d’un genre entièrement nouveau pour étendre les moyens scientifiques, culturels et la problématique d’accueil du public de façon expérimentale, sur un site différent. J’ajoute que ces projets sont à la charge financière des collectivités qui les reçoivent et, de ce point de vue, ils n’entament en rien les moyens que l’État peut mettre aux services des musées de beaux-arts en régions (j’exclue le terme « province » comme Malraux l’avait fait en son temps).

La réforme de la Réunion des musées nationaux (RMN) se poursuit. À terme, quel sera son champ d’action ? Cette politique annonce-t-elle la fin du modèle français de mutualisation des musées ?
Deux grands chantiers sont ouverts pour conforter la situation de la Réunion des musées nationaux. Celle-ci souffre d’un déficit d’exploitation de son activité commerciale alors que cette activité a été conçue pour apporter des ressources. Il est urgent de revenir à un excédent de ces ressources.
L’autre chantier concerne la nouvelle définition des rapports que la RMN doit entretenir avec les grands musées ayant acquis au fil des années leur autonomie fonctionnelle. J’ai donné comme ligne de conduite à la RMN de développer le partenariat avec les grands musées. Un accord a ainsi été récemment trouvé pour la programmation des expositions des Galeries nationales du Grand Palais : les musées du Louvre, du quai Branly, de Versailles, d’Orsay, le Musée Guimet et le Centre Pompidou seront désormais représentés au sein du comité de programmation, et la RMN est désignée clairement comme affectataire des Galeries nationales, qu’elle ne quittera pas durant les travaux prévus sur le site. Elle peut donc y développer une politique ambitieuse, de niveau international, d’expositions coproduites par ces établissements. Les mêmes rapports de partenariat doivent prévaloir sur d’autres sujets comme la gestion de certaines activités conduites au sein des musées : édition, boutiques… Cette redéfinition de rapports assure l’avenir de la RMN. Elle conforte son rôle indispensable de mutualisation de moyens en faveur notamment des musées n’ayant pas la personnalité juridique. Très clairement, elle devra conserver et développer ce rôle, comme elle devra développer son rôle d’assistance et de prestation en faveur des musées en régions. Pour ce faire, elle doit réorganiser son activité en différenciant la gestion d’un secteur commercial, concurrentiel, où président les facteurs de rentabilité, d’un secteur de service public, ouvert à la subvention de l’État, en faveur de l’action culturelle décentralisée.

Un conservateur de musée remercié pour des motifs salariaux, une région qui supprime son Centre national des lettres : la décentralisation ne constitue-t-elle pas aujourd’hui un danger pour la culture ? Le risque n’est-il pas de perdre en régions le haut degré d’exigence que l’État garantissait auparavant ?
Vous faites allusion à une affaire dont je me suis expliqué avec la municipalité d’Avignon. Je ne peux pas imaginer qu’une telle situation puisse s’étendre à d’autres collectivités ; il s’agit en réalité de l’application de règles administratives particulières mettant fin au système traditionnel de mise à disposition par l’État de conservateurs de patrimoine. Cette disposition, comme vous le savez, était liée au régime des musées classés et contrôlés. Nous sommes aujourd’hui dans une problématique différente où l’État propose aux collectivités qui l’acceptent sa capacité d’analyse et d’expertise ainsi que ses moyens financiers et techniques pour conduire le développement des musées de France dans le respect des règles communes définies par la loi du 4 janvier 2002.

L’enseignement de l’histoire de l’art à l’école est un serpent de mer. Avez-vous des projets sur cette question avec le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? Pourquoi avoir remis en cause les classes à projets artistiques (à PAC) ?
Votre question, dans sa formulation, est ambiguë. Entend-on par « histoire de l’art à l’école » toutes les actions concernant les enseignements artistiques et, d’une façon générale, les coopérations entre les deux ministères pour assurer une éducation artistique et culturelle aux élèves ? Ou bien s’agit-il de l’histoire de l’art en tant que telle, discipline enseignée dans les universités et, concernant le ministère de la Culture, à l’École du Louvre. L’histoire de l’art ne fait pas l’objet de cours spécifiques dans l’enseignement scolaire (écoles, collèges, lycées).
Dans la première acception, au sens large du terme, l’éducation artistique et culturelle est une priorité de ma politique, conjointement avec mon collègue François Fillon. Nous avons décidé de relancer pour ce type d’éducation le partenariat entre nos deux ministères et nous présenterons prochainement, en Conseil des ministres, une communication commune sur ce sujet dont je peux vous préciser, à titre indicatif, quelques lignes de force. Tout d’abord, la dimension éducative de toutes les institutions et structures culturelles devra être renforcée ainsi que les services éducatifs, à l’exemple des réalisations remarquables dans le domaine des musées, des archives, des bibliothèques-médiathèques, des lieux patrimoniaux et de mémoire et d’un grand nombre de structures relatives aux arts de la scène et à la musique. Les enseignants, d’une façon générale, seront ainsi invités à concrétiser et à renforcer la dimension artistique et culturelle dans toutes les disciplines (lettres, histoire, sciences…) et dans tous les ordres d’enseignement (écoles primaires, collèges, lycées et notamment lycées professionnels).
Un effort sera fait pour mieux prendre en compte les demandes relatives aux actions d’éducation à l’architecture et au patrimoine, qui permettent de concrétiser tout naturellement, ainsi que l’indiquent les nouveaux programmes scolaires, le lien avec les connaissances fondamentales des enseignements d’histoire, et ceci de l’école au lycée (programmes « Lire la ville » et « Charte d’adoption du patrimoine »). De la même façon, nous accorderons une priorité aux demandes relatives aux chorales scolaires afin de permettre progressivement à tous les enfants de s’initier à la pratique vocale et chorale, qui constitue une étape incontournable dans le développement de l’oreille et de la voix des jeunes enfants.
En ce qui concerne les classes à PAC, elles continueront d’exister en privilégiant la qualité des projets et non pas un développement quantitatif. Je rappelle que les crédits du ministère de la Culture consacrés aux actions de coopération sur des dispositifs de cette nature (ateliers, jumelages, projets territoriaux menés avec les collectivités locales, actions conduites par les services éducatifs) ont encore augmenté entre 2003 et 2004 et que les orientations déjà données aux directions régionales des Affaires culturelles pour 2005 insistent tout particulièrement sur la poursuite de ces actions.
Pour ce qui est du développement de l’éducation à l’image et aux produits numériques, nous avons déjà annoncé un ensemble de mesures destinées à sensibiliser les plus jeunes aux conséquences du « piratage » sur Internet. Nous allons mettre en place plusieurs actions, pour sensibiliser les élèves  du secondaire, ainsi que les enseignants, qui ont un rôle évidemment essentiel. Nous souhaitons mettre en place une « Journée nationale des auteurs à l’école », avec les sociétés d’auteurs, pour partager la « valeur création », mettre en avant les auteurs et sensibiliser les jeunes aux fondements de la propriété intellectuelle.
Pour renforcer la coopération entre les deux ministères, nous souhaitons nous doter d’une instance de réflexion, d’évaluation et de réflexion. Elle sera composée de personnalités du monde des arts, de la culture et de la communication, et devra comporter une représentation des collectivités locales dont le rôle est essentiel pour mener de véritables politiques éducatives territoriales en matière d’art et de culture. Dans la deuxième acception du terme, l’introduction de l’histoire de l’art en tant que nouvelle discipline à l’école pose trois questions : celle de l’introduction dans les programmes, celle des horaires à déterminer pour les élèves dans les classes et celle du recrutement d’enseignants spécialisés ou non. Toutes ces questions sont du ressort du ministère de l’Éducation nationale.

FRAC [Fonds régionaux d’art contemporain] de deuxième génération, Palais de Tokyo : quelle politique entendez-vous mener dans le domaine des arts plastiques ?
Mon premier objectif est de renforcer les structures en charge du soutien à la création et à la diffusion de l’art contemporain. En régions, ce sont les FRAC, pour lesquels le ministère de la Culture entend poursuivre l’important effort engagé en faveur de leur implantation dans des locaux adaptés à l’exercice de leurs missions : la constitution d’un patrimoine contemporain, la diffusion sur le territoire, et le développement d’actions de médiation et de sensibilisation. On peut, à cet égard, citer le FRAC Bretagne, important programme de plus de 3 000 m2, dont le concours d’architecture vient d’être lancé ; le FRAC Aquitaine, dont nous avons pu conduire l’implantation transitoire, à Bordeaux, dans des locaux adaptés. Dans de nombreuses autres régions, nous travaillons, en concertation avec nos partenaires (il convient en effet de rappeler que c’est ce caractère partenarial qui fonde le projet même des FRAC), à la mise en œuvre de programmes comparables. C’est notamment le cas en Picardie, Poitou-Charentes, Centre, Auvergne… Les centres d’art également jouent un rôle essentiel dans le soutien aux créateurs. Au-delà du soutien à leurs projets d’investissement (la réhabilitation du Magasin à Grenoble, le développement du Consortium à Dijon, celui du CCC à Tours ou du CNEAI à Chatou, dans les Yvelines), dans lequel le ministère est pleinement impliqué, j’ai souhaité que nous puissions réfléchir pour l’année 2005-2006 à la mise en œuvre d’une grande initiative afin de mettre en valeur et de faire mieux connaître, à l’échelle de l’ensemble du territoire, la spécificité et l’action des centres d’art.
À Paris, c’est, bien entendu, au premier chef la question du devenir du Palais de Tokyo. J’ai souhaité, à mon arrivée, disposer du temps nécessaire pour étudier sereinement ce dossier essentiel, et c’est pour cela que je me suis montré favorable à la prolongation d’un an du mandat des actuels directeurs. Je suis convaincu de la nécessité de mettre en œuvre le développement de l’activité contemporaine sur l’ensemble du site, dans un souci réaffirmé d’interdisciplinarité et d’ouverture à de nouveaux publics. Je souhaite que soit engagé dans les meilleurs délais le travail d’examen des modalités et de la faisabilité de ce développement.
Je voudrais enfin insister sur une dimension essentielle de la politique du ministère de la Culture en faveur des arts plastiques, celle qui s’illustre au travers de l’activité du réseau des écoles supérieures d’art. Ce réseau, très dense puisqu’il rassemble cinquante-sept écoles sur l’ensemble du territoire, se trouve en effet porteur d’enjeux tout particulièrement cruciaux, à l’articulation de la formation des créateurs, de la diffusion de l’art contemporain (nombre d’écoles ont des initiatives passionnantes en matière d’exposition, de production ou d’édition), mais aussi de la recherche, et – souvent – de l’éducation artistique, dans le cadre de leurs activités post- ou périscolaires. Je compte porter une attention toute particulière au renforcement de ce réseau, et cela autant en matière de qualité des équipements, pour lequel le ministère est engagé dans un important programme d’investissement, qu’en matière de valorisation et de reconnaissance des diplômes.

De nombreux professionnels stigmatisent un ensemble de dispositions qui, selon eux, entravent le développement du marché de l’art en France, à l’exemple du droit de suite. Quelle est votre position ?
Je considère que le marché de l’art est un secteur majeur pour l’image et le rang de la France, sur un plan aussi bien culturel qu’économique et technique. Je souscris en outre pleinement à l’analyse des professionnels du marché, quand ils rappellent que le patrimoine national, c’est non seulement ce qui figure dans les musées ou dans les FRAC, mais aussi ce qui se trouve chez les collectionneurs et dans les réserves des galeries et des antiquaires. Or le marché de l’art est un secteur menacé : par la fragilité structurelle des entreprises du secteur d’une part, par la concurrence internationale et la mondialisation de l’autre, les œuvres et les acheteurs se déplaçant avec de moins en moins d’entraves.
À cela s’ajoutent, il est vrai, un certain nombre de contraintes réglementaires, fiscales et autres, que dénoncent fort logiquement les professionnels. Toute l’action que je mène et que j’entends mener dans les temps à venir tend à lever autant que faire se peut ces contraintes, avec toutefois deux éléments de contexte qui doivent être pris en considération : le respect nécessaire du droit d’auteur (je pense notamment au droit de suite ou au droit de reproduction sur catalogue) ; les réglementations européennes, particulièrement dirimantes dans les domaines du droit d’auteur et de la fiscalité.
S’agissant du droit de suite, les propositions du récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale de l’administration des affaires culturelles feront l’objet, cet automne, de la concertation la plus large avec les acteurs du marché de l’art.
Je voudrais par ailleurs rappeler plusieurs avancées allant dans le sens d’une simplification des contraintes. En juillet, un décret est venu relever les seuils de contrôle pour l’exportation des biens culturels, relèvement souhaité depuis longtemps par les professionnels du secteur. Par la même occasion, il a été acté que la délivrance des autorisations (communément appelées « licences ») d’exportation temporaire ou définitive de biens culturels hors de la Communauté européenne serait désormais le fait non plus de l’administration des douanes mais de l’administration de la culture, déjà en charge de la délivrance des certificats d’exportation. Là encore, la création de ce « guichet unique » répond à une demande forte des professionnels.
Aussi, plusieurs dispositions fiscales sont intervenues récemment : le relèvement du seuil d’imposition à la taxe forfaitaire sur les objets d’art, qui est portée de 3 050 euros à 5 000 euros ; l’exonération de plus-value au bout de douze ans (et non plus de vingt et un ans) de détention du bien et en cas d’option pour le régime de droit commun ; la reconnaissance pour les auxiliaires de la création d’œuvres « originales multiples » que sont les lithographes, les graveurs ou les fondeurs d’art, du bénéfice de la TVA au taux réduit de 5,5 % ; l’exonération de la taxe professionnelle pour les photographes-auteurs, qui sont ainsi alignés sur les autres créateurs plasticiens.
J’ajoute à cela les dispositions fiscales des lois de 2002 sur les musées de France et de 2003 sur le mécénat, dont nous serons bientôt en mesure de nous rendre compte des conséquences déterminantes pour le marché de l’art en général.
D’autres réflexions doivent avoir lieu pour aller plus loin dans le sens de la simplification que je souhaite : je pense notamment à l’harmonisation, demandée par les professionnels, des délais de prescription de la responsabilité des experts, délais qui varient de dix à trente ans ; à la nécessaire harmonisation au sein de l’Europe des législations sur le recel des œuvres volées, ou encore à une exonération de la taxe forfaitaire de 4,5 % pour les objets d’art ou de collection vendus en France par les non-résidents.

En tant que ministre de la Communication, comment réagissez-vous aux propos de Patrick Le Lay, P.-D. G. de TF1, quand il dit que « ce que nous [TF1] vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible » ?
Cette déclaration est bien évidemment ambiguë, et je comprends qu’elle ait heurté beaucoup de personnes, alors même que nous essayons de préserver une certaine qualité de programmes à la télévision, que ce soit sur le plan de l’information, du divertissement ou des fictions. Les Français d’ailleurs nous le demandent à la lecture des études et sondages qui sont publiés en ce moment. Cela dit, Patrick le Lay est revenu très rapidement sur ses propos.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°200 du 8 octobre 2004, avec le titre suivant : Renaud Donnedieu de Vabres Ministre de la Culture depuis mars 2004

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