Histoire

Monographie

Ensorcelante Tanzanie

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2016 - 486 mots

À la Ferme du Buisson, Kapwani Kiwanga observe l’histoire de la jeune République africaine à travers le prisme de l’utopie politique et du surnaturel.

NOISIEL - Patiemment, une jeune femme s’emploie à nettoyer les feuilles d’un arbre, à leur ôter cette poussière rouge qui recouvre le paysage rural en Tanzanie, en période de sécheresse (Vumbi, 2012). Manifestement vain, le geste a l’air de s’inscrire dans l’ordre d’une attention aux choses qui, parce qu’elle apparaît incongrue dans sa formulation, semble se rapprocher de la croyance ou de la pratique magique. Mais ces dernières ont-elles véritablement des effets ?
Cette question, Kapwani Kiwanga la pose subtilement, tel un fil rouge tout au long de l’exposition que lui consacre le Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson, à Noisiel. Formée à l’anthropologie à l’Université de Montréal, avant d’entreprendre des études artistiques aux Beaux-Arts de Paris et au Fresnoy, à Tourcoing, l’artiste canadienne s’est particulièrement intéressée à l’expérience socialiste et collectiviste mise en œuvre par Julius Nyerere, premier président de la République unie de Tanzanie qui vit le jour en 1964, lequel rêvait d’une société solidaire et autosuffisante. Une Tanzanie nommée « Tanganyika » avant son indépendance, où au début du XXe siècle un guérisseur encouragea une révolte contre le pouvoir colonial, en distribuant aux combattants une potion magique censée transformer en eau les balles ennemies.

Trajectoire des croyances
Ce sont ces deux moments historiques qu’explore l’œuvre la plus ample de l’exposition, Kinjeketile Suite (2015-2016), répartie dans deux salles du rez-de-chaussée. Elle mêle documents de diverses natures et époques, vidéos et pièces de textile, de manière plus fictionnelle et poétique que strictement documentaire, ce qui en fait tout le sel. Subsiste toutefois le regret d’une approche formellement très convenue avec cette structure de bois ajouré – tenant lieu de cadre et support – déjà vue et largement éprouvée.
Cette installation néanmoins pose deux questions essentielles : quels sont les ressorts qui guident la croyance en un pouvoir magique ou en une idéologie politique ? Les deux peuvent-ils se mêler ? Ces interrogations affleurent dans une autre installation, Nursery (2016), où dans une grande salle sont conservées des plantes supposées être porteuses de pouvoirs magiques et avoir joué à des époques et dans des lieux différents un rôle dans une histoire sociale et politique, parfois restée à la marge de la transmission.
L’inscription dans l’histoire de certains enjeux politiques et économiques est également pointée par une grande installation faite de longues fibres de sisal, matériau essentiel à l’économie tanzanienne (White Gold : Morogoro, 2016). Suspendues à des hauteurs différentes, ces fibres semblent ouvrir un passage en même temps qu’elles forment un espace propice à l’introspection. Dualité encore dans une œuvre qui, cette fois, atteint une belle plénitude plastique.

KAPWANI KIWANGA

Jusqu’au 9 octobre, Centre d’art contemporain de la Ferme du Buisson, allée de la Ferme, 77186 Noisiel, tél. 01 64 62 77 00
tlj sauf lundi-mardi 14h-19h30, entrée libre


www.lafermedubuisson.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Ensorcelante Tanzanie

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