Centre d'art

Bilan - La bonne fortune du Palais de Tokyo

L’insolente réussite du Palais de Tokyo

Jean de Loisy, aidé de sa directrice générale, a triplé les recettes du centre d’art parisien depuis 2012. Un confortable bénéfice a même été dégagé.

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 967 mots

PARIS

Trois ans après avoir pris la présidence du centre d’art parisien, Jean de Loisy affiche un bilan financier flatteur quand d’autres lieux peinent à boucler leur budget. Son niveau de ressources propres est tel qu’il dégage un confortable bénéfice. Cette réussite exemplaire est à mettre sur le compte d’une exigence tout autant entrepreneuriale qu’artistique.

PARIS - Jean de Loisy affronte les tourments de l’âme. D’un côté il est fier de la réussite de « son » Palais de Tokyo, trois ans après en avoir pris la direction, de l’autre il craint que « cette injurieuse fortune » n’incite l’État à lui baisser sa subvention de 6,5 millions d’euros qui a été reconduite à l’identique pour 2016. Pour partager son fardeau, il est venu à l’entretien qu’il a accordé au JdA avec son bras droit, Julie Narbey, la directrice générale déléguée des lieux, une jeune énarque passée par le cabinet de Frédéric Mitterrand. Le dilemme est shakespearien : alors que la plupart des lieux culturels se plaignent de contraintes financières, le Palais de Tokyo a dégagé en 2014 un bénéfice de 800 000 euros pour des recettes totales de 16,6 millions d’euros. Et le résultat net devrait être similaire pour 2015, selon la directrice déléguée. « Mais nous reversons une partie de cet argent sous la forme de l’impôt sur les sociétés, car notre statut juridique est celui d’une société anonyme simplifiée avec un actionnaire unique (SASU) », s’empresse de préciser Jean de Loisy. Ajoutant : « Nous faisons vivre 90 salariés, sans compter tous les salariés de nos concessionnaires ou sous-traitants. »

La bonne santé financière du centre d’art s’explique par un triplement de ses ressources propres par rapport à l’ère Marc-Olivier Wahler (le précédent directeur, entre 2006 et 2011). Avec près de 10 millions d’euros de recettes commerciales (9,90 M€), le Palais de Tokyo entre ainsi dans le
« Top 10 » des musées et centres d’art par le niveau des ressources propres, un montant comparable au Musée du quai Branly. La centrale frigorifique, dans les sous-sols (!) et la librairie comptent parmi les concessions qui lui ont rapporté 1,7 million d’euros en 2014, mais c’est surtout le restaurant haut de gamme situé en bordure de Seine qui contribue en grande partie à l’augmentation de 72 % de ses recettes l’an dernier.

Le nombre des partenariats, entendez les manifestations sponsorisées, ont plus que triplé par rapport à la moyenne des années 2008-2011 pour atteindre 3,5 millions d’euros en 2014. L’an dernier, le jeune milliardaire hongkongais Adrian Cheng a financé une exposition de jeunes artistes chinois tandis que la Fondation Bettencourt a soutenu une manifestation sur les métiers d’art. « C’est une ressource fragile, temporise Jean de Loisy, ainsi le mécénat de notre partenaire historique qu’est la Japan Tobacco International est remis en cause par la loi antitabac. » Malgré une baisse en 2014, les recettes tirées de la privatisation des lieux, troisième source de revenus, ont doublé par rapport à la période précédente (2,8 M€). Canal , Relais & Châteaux, Microsoft apprécient ce vaste loft branché, en plein quartier chic de la capitale, dont la modularité des espaces épouse toutes leurs demandes. Une ressource qui ne risque pas de se tarir avec l’empressement manifesté par les couturiers pour y organiser leurs défilés ; en 2014, sur les 140 privatisations, près d’un tiers concernait la mode.

Une programmation pour tous les publics
Ces chiffres à faire rêver tout chef d’entreprise s’expliquent par une « désirabilité » accrue du Palais de Tokyo. Si le duo Nicolas Bourriaud/Jérôme Sans a créé la marque entre 2002 et 2006, et que le Suisse Marc-Olivier Wahler l’a entretenue entre 2006 et 2011, c’est le duo Loisy-Narbey (un duo revendiqué par Jean de Loisy) qui a fait franchir un bond à la notoriété des lieux. En mariant une programmation exigeante (« Philippe Parreno » en 2013, « Hiroshi Sugimoto » en 2014, ou « John Giorno » actuellement) à des expositions spectaculaires (« Thomas Hirschhorn » en 2014) voire ludiques (la structure en ruban adhésif du collectif Numen/For use pour l’exposition « Inside » en 2014 ou le paysage lacustre de Céleste Boursier-Mougenot en 2015), Jean de Loisy cible des publics variés. C’est précisément cette diversité qui dope la fréquentation. Aussi Jean de Loisy revendique-t-il une reconnaissance internationale accrue pour le centre d’art, qui attire les artistes importants, lesquels en retour augmentent la légitimité des lieux dans un cercle devenu vertueux. La légitimité incontestée du président est telle qu’il s’est permis de conseiller au ministère de la Culture de ne pas donner de suite à la première Triennale de l’art contemporain, qui avait pourtant inauguré en 2012 les espaces rénovés et agrandis.

S’ajoutent, dans ce cocktail aux multiples ingrédients, des interventions sur le bâtiment, des concerts, des performances, des ateliers multiples… qui donnent le sentiment qu’il se passe toujours quelque chose au Palais jusqu’à minuit. Son voisin de parvis, le Musée d’art moderne de la Ville, qui ferme la billetterie à 17 h 15, fait bien triste mine le soir avec sa porte close et sombre. Même les privatisations et partenariats alimentent ce maelström qui nourrit l’image à la mode du Palais. Astucieusement, le duo Loisy-Narbey met en avant les 760 000 visiteurs en 2014, à comparer au chiffre de 122 000 en 2011. Mais une fois retirée la fréquentation des événements privés et des concessions, le nombre de visiteurs des expositions est de 370 000 contre 344 000 en 2013. C’est-à-dire un chiffre qui reste certes enviable mais qui semble avoir atteint un plateau. Avec 1,4 million d’euros, la billetterie est d’ailleurs la source la plus faible de revenus. Ça y est, Jean de Loisy tient enfin son argument pour convaincre la tutelle de lui maintenir son budget : seulement 6,5 % de croissance pour le nombre de visiteurs. Préoccupant, non ?

Légendes photos

Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, Paris. © Photo : Pierre-Anthony Allard.

Julie Narbey, directrice Générale du Palais de Tokyo, Paris. © Photo : Marion Bungert.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : L’insolente réussite du Palais de Tokyo

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