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Art amérindien

Des Indiens « politiquement corrects »

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2014 - 921 mots

Le Musée du quai Branly met en avant la création ancienne et contemporaine des Indiens d’Amérique du Nord en ignorant délibérément le contexte historique et sociologique.

PARIS - Une exposition consacrée aux Indiens des Grandes Plaines centrales présentée au Musée du quai Branly ? Comment ne pas s’y précipiter ! Et l’on aurait raison tant la somptuosité des quelque 140 œuvres d’art exposées (robes perlées dignes des plus grands couturiers, carquois tapissés de motifs géométriques, tambours ornés de scènes mythologiques, et surtout admirables peaux de bison constellées de pictogrammes flamboyants) mérite, à elle seule, que l’on goûte avec délectation cet événement rare. À peine jettera-t-on un regard sur ces tipis modernes et incongrus qui gâchent le paysage et surtout perturbent l’approche scientifique défendue par le commissaire.

Car selon Gaylord Torrence, conservateur en chef des arts amérindiens au Nelson-Altkins Museum of Art de Kansas City (Missouri) et professeur émérite des beaux-arts de l’université de Drake dans l’Iowa, il s’agit de démontrer avec éclat la vitalité artistique de ces populations. Et ce, malgré les multiples traumatismes engendrés par la conquête de l’Ouest (confinement dans les réserves puis dans les quartiers pauvres des villes, désintégration des modes de vie et des croyances, acculturation…).

Pour illustrer ce « continuum esthétique », selon les termes mêmes du commissaire, le parcours de l’exposition commence ainsi à rebrousse-poil, en montrant le travail d’artistes indiens contemporains. L’exercice est un brin périlleux car, comme c’est souvent le cas, les œuvres se révèlent de qualité inégale. L’une d’entre elles happe néanmoins le visiteur : pour réaliser sa « chemise de guerre », l’artiste cheyenne Bently Spang a troqué les matériaux traditionnels contre photographies et rubans de pellicule. À mi-chemin entre l’ex-voto familial et la revendication identitaire, cette re-création sculpturale d’une tenue rituelle rend soudain obsolète la frontière qui sépare l’ethnologie de l’art contemporain. Teintées d’humour et de provocation, cette paire de lunettes perlées et ces chaussures vertigineuses nous rappellent aussi que les Indiens des plaines raffolaient de parures et étaient des dandys patentés. On demeurera plus perplexe devant certains tableaux ou aquarelles dont l’esthétique semble relever de la pochette de disque psychédélique ou de la BD !

L’exposition du Quai Branly se veut davantage un panégyrique de la création artistique indienne à travers les siècles qu’un tableau concret et objectif de l’histoire du peuple amérindien à travers ses soubresauts et ses blessures. Il n’est pas non plus question de sacrifier à la mythologie universelle et à l’iconographie véhiculée par les artistes de souche européenne. Exit ainsi les beaux portraits de chefs et de chamanes immortalisés par l’Américain George Catlin ou le Suisse Karl Bodmer ! On se consolera en s’immergeant dans le montage de westerns concocté par le critique de cinéma Michel Ciment. Pourvoyeurs de clichés et fantasmes, les films de John Ford, de John Huston, de Robert Altman ou de Kevin Costner constituent aussi de passionnantes sources d’études pour l’historien, en même temps que des œuvres de grande beauté…

Défaut de contextualisation
Passé cet interlude aussi poétique que signifiant, le visiteur est invité à déambuler au milieu de longues vitrines conçues par l’agence Wilmotte & associés qui magnifient les œuvres, sans toutefois en donner le contexte. Ainsi pourra-t-on regretter l’absence de photographies ou de films d’archives qui auraient précisé la façon dont étaient portés telle parure, tel bouclier, telle tenue rituelle. Sans doute les tabous qui encadrent, depuis peu, l’exhibition d’objets cultuels au sein des musées ont-ils entravé la liberté des commissaires. L’ethnohistorienne française Joëlle Rostkowski, qui a apporté son regard scientifique sur l’exposition, confiait ainsi combien il devenait difficile, voire impossible, de prendre des photos ou de filmer certaines cérémonies. Et que dire des demandes de restitution formulées par les tribus indiennes qui ont perturbé nombre de ventes récentes ! On comprend que les musées américains comme européens se montrent désormais infiniment respectueux…

On aurait tort cependant de bouder son plaisir devant cette démonstration esthétique éblouissante. Confrontant ses propres pièces avec celles des plus grandes institutions européennes et américaines, le Musée du quai Branly compose une ode au génie artistique indien d’une rare flamboyance. Quelques jours avant le vernissage, Gaylord Torrence ne cachait pas son émotion devant ce rassemblement exceptionnel de peaux de bison, parmi les plus belles et les plus anciennes conservées au monde. D’une rare fraîcheur, ces « tapisseries de Bayeux du monde indien » n’offrent-elles pas les chroniques imagées d’un monde à jamais disparu ? Et que dire de ces effigies de bison taillées il y a plus de 2 000 ans dont le minimalisme absolu évoque furieusement l’épure d’un Brancusi, ou de ces boucliers ornés de visions dignes des plus grands surréalistes ? L’un des objets les plus émouvants de cette foisonnante exposition demeure cependant cette petite valise ornée de perles que l’artiste Nellie Two Bears Gates offrit en 1903 à sa fille Joséphine qui venait d’obtenir son diplôme de fin d’études à la Carlisle Indian School (Pennsylvanie). Adoptant la forme d’un cartable européen, elle n’en porte pas moins un décor typiquement indien : un épisode de la bataille de White Stone Hill, en 1863, dans lequel le père de l’artiste, un grand chef Yanktonai du nom de « Two Bears », joua un grand rôle. Bel exemple de piété familiale…

Indiens des plaines

Commissaires : Gaylord Torrence, conservateur du département d’art amérindien au Nelson-Altkins Museum of Art de Kansas City, Missouri ; Joëlle Rostkowski, ethnohistorienne, docteur d’État (EHESS), spécialiste des sociétés nord-amérindiennes
Itinérance : l’exposition sera présentée au Nelson-Atkins Museum avant de rejoindre le Metropolitan Museum of Art de New York en mars 2015.

Indiens des Plaines

Jusqu’au 20 juillet, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, mardi, mercredi et dimanche 11h-19h, jeudi, vendredi et samedi 11h-20h
www.quaibranly.fr
Catalogue, coéd. Quai Branly/Skira, 320 p., 47 €.

Légende photo
Vue de l'exposition « Indiens des plaines », Musée du quai Branly, Paris. © Photo : Musée du quai Branly/Gautier Deblonde.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Des Indiens « politiquement corrects »

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