Wifredo Lam - L’âme des Caraïbes envoûte Nantes

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 18 mai 2010 - 898 mots

En 1983, un an après sa mort, le peintre cubain avait eu les honneurs d’une exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Depuis lors, plus rien, ou presque. La rétrospective nantaise s’annonce donc déjà comme un événement immanquable.

Né à Sagua la Grande, petite ville cubaine entourée de vastes plantations de canne à sucre, Wifredo Lam (1902-1982) occupe une place singulière dans l’histoire de l’art du xxe siècle. Aux côtés d’Aimé Césaire, il est l’un des premiers artistes antillais à avoir su porter au plus haut les valeurs d’une culture caraïbe moderne, métissée et plurielle.
Métis, Lam l’est totalement : ses ancêtres viennent de trois continents : l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Son père est un immigré chinois venu de Canton. Sa mère, d’origine hispanique par son père, est la fille d’une esclave venue du Congo.

Un Cubain à Madrid
Initié aux mystères des cérémonies rituelles afro-cubaines par sa marraine, Mantonica Wilson, une impressionnante prêtresse, guérisseuse et devineresse, Wifredo est placé sous la protection de Chango, le dieu du Tonnerre. Il restera marqué par l’iconographie de la religion santería pratiquée par les descendants d’esclaves venus d’Afrique de l’Ouest. Très tôt, l’enfant manifeste une véritable passion pour le dessin. Encouragé par ses parents, il gagne La Havane en 1918 pour y suivre les cours de la prestigieuse académie San Alejandro.

En 1923, il bénéficie d’une bourse lui permettant de compléter sa formation artistique en Espagne. Ses premières années madrilènes se partagent entre la fréquentation assidue du musée du Prado et un travail obstiné visant à améliorer la maîtrise du portrait académique à l’École des beaux-arts de Madrid.

1929 est une année charnière : il épouse Eva Piris, dont il aura un fils l’année suivante, et découvre les œuvres de Juan Gris et de Picasso lors de l’exposition madrilène « Pintores españoles en París ». Victimes de la tuberculose, sa femme et son fils meurent en 1931. Très affecté, il quitte Madrid pour León où il peint de nombreux paysages et portraits.
De retour dans la capitale, il partage les idéaux politiques et culturels cristallisés autour de la toute jeune république espagnole. Dès le déclenchement de la guerre civile en juillet 1936, il réalise des affiches antifranquistes et participe à la défense de Madrid.

La rencontre avec Picasso
Lam quitte l’Espagne en 1938 pour se rendre à Paris. Depuis longtemps captivé par le travail de Picasso et muni d’un précieux viatique, une lettre de recommandation du sculpteur catalan Manolo Hugué, il est chaleureusement accueilli. « Tu es un peintre », lui déclare simplement le « maître ». Puis il le présente à son marchand, Pierre Loeb, et lui permet de faire connaissance avec tout ce que Paris compte d’artistes et d’écrivains : Georges Braque, Fernand Léger, Joan Miró, Asger Jorn, Michel Leiris, Tristan Tzara, Paul Éluard, Benjamin Péret, André Breton…

« Ma rencontre avec Picasso et avec Paris produisit sur moi l’effet d’un détonateur. » Lam réalise effectivement près de cent cinquante peintures lors de ce premier séjour parisien et participe à de nombreuses expositions à Paris et à New York, ses œuvres parfois accrochées aux côtés de celles de Picasso qui ne tarde pas à l’appeler « mon neveu ». En juin 1940, Lam fuit Paris occupé et gagne Marseille, bientôt rejoint par André Breton qui lui propose d’illustrer son poème Fata Morgana.

La consécration internationale
Mars 1941, le peintre s’embarque sur un vieux vapeur à destination des Amériques, fait escale à la Martinique, y rencontre Aimé Césaire puis retrouve son île natale après dix-huit ans d’absence. Les années qui suivent sont fécondes. Il expose à New York à la galerie Pierre Matisse, à Londres, à Paris et, bien sûr, à La Havane. L’achat en 1945 de La Jungle par le MoMA conforte sa stature internationale.
Cordialement accueilli à New York par Pollock, John Cage, Matta ou Tanguy, Lam partage son temps entre Cuba, Paris et les États-Unis avant de décider de revenir dans la capitale française en 1952. Mariage, divorce, remariage et enfants rythment la vie du peintre. Grand voyageur, il parcourt la planète : Mexique, Venezuela, Colombie, Brésil, Inde, Kenya, etc.

De nombreuses expositions personnelles vont de pair avec une intense activité créatrice (plus de cinq cent cinquante tableaux peints entre 1972 et 1974 !). Il travaille le plus souvent dans l’atelier qu’il s’est fait construire à Albissola Mare, près de Gênes. L’homme qui « erre à l’aventure dans ces forêts englouties, qu’on dirait d’autant plus vierges qu’on a plus tenté de les violer, où des bêtes des temps révolus continuent à gronder dans chaque clairière » (Benjamin Péret) s’éteint à Paris le 11 septembre 1982. Ses cendres sont dispersées le 8 décembre à Cuba à l’issue de funérailles nationales.

Biographie

1902 Naît à Cuba d’un père chinois et d’une mère mulâtre.

1923 Études artistiques en Espagne. Est inspiré par Bosch et Bruegel l’Ancien.

1931 Décès de sa femme et de son fils.

1936 Guerre d’Espagne : dessine des affiches antifascistes pour les républicains.

1938 Rencontre Picasso à Paris qui l’introduit auprès de Matisse, Léger et Miró. Adhère au surréalisme.

1941 Fuit la France avec André Breton. À La Martinique, rencontre Aimé Césaire.

1942 Retour à Cuba.

1946 Séjour en Haïti.

1952 S’installe à Paris.

1979 Au palais de l’Unesco à Paris, l’exposition « 500 artistes avec Cuba » célèbre le 20e anniversaire de la révolution cubaine.

1982 Décède à Paris. Funérailles nationales à La Havane.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Wifredo Lam - L’âme des Caraïbes envoûte Nantes

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