À Versailles, l’habit fait le roi et la Cour

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 20 mars 2009 - 1968 mots

Aussi incroyable que cela puisse , nulle exposition n’avait traité l’histoire du costume de cour en Europe, entre 1650 et 1800. Le château de Versailles répare avec brio cet oubli en présentant quelque 200 pièces, pour beaucoup inédites en France.

Le sujet pourrait paraître désuet, voire frivole. Pourtant, c’est un véritable regard sociologique – pour ne pas dire ethnologique ! – qu’il convient de porter sur le costume de cour européen, tant sa première fonction relève de la propagande et du discours politique. Car au-delà du luxe des matériaux (joyaux, pierreries, fils d’or et d’argent), de la sophistication des techniques (broderie, dentelle, passementerie…), ce vêtement savamment codifié offre une passionnante grille de lecture à qui sait le déchiffrer. Véritable idéogramme de la fonction royale, il se doit de montrer aux yeux de tous le caractère exceptionnel du monarque, et reflète la place de chaque courtisan au sein de ce microcosme qu’est la cour avec les lois et les usages qui lui sont propres.
« Produire de l’image est une fonction essentielle du costume », écrit ainsi Pascale Gorguet Ballesteros, l’une des commis­saires de cette ambitieuse exposition. Chaque détail (choix des couleurs, des matériaux comme des accessoires) contribue ainsi à construire cette icône du paraître révélant le rang, la fortune et la faveur dont jouit chacun sur l’échiquier royal.

Un vêtement idéologique…
Aussi, rien de plus strict que la grammaire qui régit l’élaboration de ce « vêtement idéologique ». Faisant fi des caprices de la mode, le costume de cour se caractérise par son extraordinaire conservatisme. « Les habits de sacre, le costume de l’ordre du Saint-Esprit, le grand habit, les manteaux et mantes à queue traînante sont structurellement immuables de Louis XIV à la chute de la monarchie. Qui plus est, un certain nombre de vêtements arborés lors de cérémonies sont tout à fait archaïsants », souligne ainsi Pascale Gorguet Ballesteros. Et l’auteur de surenchérir : « Le costume de cour doit en effet rappeler que le temps de la monarchie n’est pas celui du commun des hommes. Il doit en symboliser la continuité : le roi est mort, Vive le roi. »
Instrument de propagande et de domination, le vêtement porté par le monarque ou ses proches est donc censé éblouir par son éclat et son caractère somptueux, hors normes. C’est ainsi qu’il faut analyser l’extraordinaire démesure de ses proportions. Anti-naturel par excellence, bafouant les règles de l’anatomie et du confort, il se distingue tout au contraire par son aspect monumental. Sa fonction est transparente : il doit physiquement occuper l’espace. Décrivant le « grand habit » porté par les femmes de la cour jouissant des faveurs de la reine, Madame de Genlis évoque ainsi « un énorme panier, une queue (longue traîne) qui pouvait se détacher, et jusqu’à vingt ou vingt-deux aunes d’étoffe pour faire un grand habit sans garniture » (soit vingt-quatre à vingt-six mètres de tissu !). Modulable, extensible, superposable, le vêtement curial s’adapte au gré du discours politique souhaité par le souverain, et se plie aux multiples exigences dictées par l’étiquette.

L’inégalités des sexes
Mais à circonstances égales, force est de constater que le costume de cour se singularise par un réel décalage entre les sexes ! Si le roi s’enorgueillit d’arborer une kyrielle d’habits dont le port et l’usage sont savamment codifiés (costume du sacre, costume du grand maître de l’ordre du Saint-Esprit, costume de deuil en violet, costume de chasse dont les couleurs varient selon l’animal chassé…), la reine ne dispose, quant à elle, d’aucune tenue spécifique, y compris pour les événements les plus extraordinaires de son existence tel son mariage ou même le couronnement de son époux ! Son costume curial se résume ainsi à un seul : le « grand habit », dont elle partage l’usage avec les dames qui ont l’honneur d’être à son service ou qui lui ont été présentées. Seules les parures et la somptuosité des étoffes distingueront les circonstances…
Une constance caractérise cependant la forme de ce vêtement : la re-modélisation complète du corps féminin. Véritable apparition miraculeuse, la souveraine et ses suivantes sont muées en créatures irréelles, le buste rigide aux épaules rejetées vers l’arrière, la taille étranglée et les hanches démesurément dilatées. « Il faut souffrir quand on est reine », semblent nous murmurer ces « grands paniers » (jupons de toiles raidis et élargis par des baleines ou des baguettes d’osier) qui devaient singulièrement contraindre les mouvements et la marche !
Une foule d’accessoires parachèveront la métamorphose, telle la palatine (tour de cou descendant le long du corps), les manches de grand corps de dentelle garnissant les mancherons, la mantille couvrant les avant-bras, les barbes de dentelles longeant le visage, sans oublier une kyrielle de pompons, de glands de bas de robe (destinés à retrousser la traîne) et d’agréments de passementerie. Archaïque et encombrant, le « grand habit » n’est-il pas censé accentuer davantage encore le statut de la souveraine en soulignant son caractère supra-humain ?
Le costume est ici instrument de séduction et d’hypnose. « Le peuple ne croit pas à un pouvoir même réel, s’il ne se manifeste pas aussi dans la démarche extérieure du monarque. Pour croire, il faut qu’il voie », écrira l’historien Norbert Elias. À vouloir imiter les autres femmes en sacrifiant aux caprices de la mode, la reine Marie-Antoinette tombera de son piédestal au point de troquer sa condition d’icône pour celle de simple mortelle. On en connaît la suite tragique…

La Cour : une comédie humaine
Loin d’être une simple démonstration de luxe et de magnificence, l’exposition du château de Versailles donne ainsi à voir et à comprendre la symbolique et l’idéologie véhiculée par le costume de cour au sein des grandes monarchies européennes. Elle dévoile aussi l’extraordinaire complexité de ce langage au service d’un tout petit nombre fonctionnant en huis clos : la cour et son essaim de courtisans.
« La Cour était d’une magnificence excessive ; rien n’y était médiocre dans les meubles, les habits, les équipages, la dépense de la table, la livrée, le nombre des domestiques (…). Les habits étaient proportionnés à ce luxe des meubles ; on cherchait tous les jours de nouvelles inventions, des étoffes les plus riches ; on ajoutait aux brocards d’or et d’argent des broderies d’un grand prix. » Ces quelques lignes extraites des mémoires d’un curé de Versailles rédigées en 1686 en disent long sur les excès pratiqués dans l’entourage du souverain, plus d’un siècle avant la chute de la monarchie !
Comme l’explique Lucien Bély dans le catalogue, la cour apparaît tout à la fois comme « un lieu de convergence sociale où l’on vient servir le roi et vivre auprès de lui, ou simplement l’observer, et comme un cercle où la faveur royale, gage de réussite, est l’objet d’une quête inlassable. » Le costume et tous les accessoires qui le composent jouent ainsi un rôle essentiel dans cette comédie du paraître où il est de bon ton d’affirmer aux yeux de tous son degré de proximité avec le roi. La compétition entre les courtisans peut se révéler féroce, tant la frontière entre grâce et disgrâce est ténue. Arborer le prestigieux « cordon bleu » de l’ordre du Saint-Esprit (le plus prestigieux des ordres royaux) attise ainsi toutes les convoitises, provoque toutes les courbettes ! « La procession des chevaliers qui se faisait à la Pentecôte, tous les ans, était une très belle chose. Les chevaliers y étaient superbement vêtus et y portaient leurs longs manteaux très magnifiques. À cette cérémonie et aux réceptions, les chevaliers faisaient de singulières salutations à l’autel et au roi. Ils faisaient des grandes révérences exactement comme les femmes, cela leur était prescrit depuis la fondation de l’ordre », rapporte ainsi Madame de Genlis.
Les vêtements féminins ne sont pas en reste dans cette surenchère de rubans et de dentelles ! Les cérémonies des mariages princiers offrent l’occasion de déployer une débauche de luxe frôlant le ridicule. D’une plume assassine, la princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV, nous livre une description pleine d’ironie du costume qu’elle arbore pour les noces du jeune duc de Bourgogne avec la princesse Adélaïde de Savoie, à Versailles, en décembre 1697 : « J’avais une robe et une jupe de dessous si horriblement lourds que je ne pouvais presque pas me tenir debout. »
Mais l’apogée de cette théâtralisation du pouvoir est atteint lors du mariage de l’archiduchesse Marie-Antoinette avec le futur Louis XVI, en mai 1770, et des festivités qui l’accompagnent. Chaque détail vestimentaire concourt à cette mise en scène d’un couple, dont l’éclat solaire des tenues est censé exalter le caractère sacré. « À la nuit, quand, en peu de temps, on eût tout illuminé, les habits furent beaucoup plus brillants à la lumière. Il est étonnant comme elle rehausse et fait éclater l’or et l’argent. Ce nouvel éclat, joint à celui de l’illumination de la galerie, faisait un très grand effet. La table du jeu du roi, surtout, entourée de trois ou quatre rangs de dames superbement habillées, et la masse des diamants, faisaient un coup d’œil remarquable », note ainsi le duc Emmanuel de Croÿ dans son Journal de Cour.
Éblouir au sens littéral, tel est le rôle assigné au costume de cour qui hisse les monarques et leurs proches au rang d’êtres inaccessibles, d’essence sacrée. Point de hasard si la Révolution française, en jetant les bases d’un nouvel ordre politique, impose un nouveau vêtement : une mise « républicaine » qui sonne le glas des ors et des extravagances monarchiques…

La France et Paris, arbitres des élégances

Du Danemark à la Suède en passant par l’Angleterre et la Russie, tous les monarques européens avaient les yeux rivés sur la France et sa capitale, véritable vitrine de tout ce qui se faisait de plus créatif et de plus luxueux. C’est Paris qui donnait ainsi le ton, en diffusant sous la forme de gravures ou même de poupées (de petites figurines richement vêtues préfigurant les mannequins des vitrines actuelles !) tous les nouveaux modèles de tissus et de coupes en vogue à Versailles. Loin d’être un simple accessoire du pouvoir, le vêtement de cour démontrait ainsi le savoir-faire des artisans français (brodeurs parisiens, soyeux lyonnais…) et jouait un rôle non négligeable dans la vie économique.

Tous les yeux tournés sur Versailles
Ainsi, à partir de la fin du xviie et pendant tout le xviiie siècle, les fabricants de tissus de luxe ne perdaient pas de vue que leur fortune dépendait étroitement de Versailles, mais aussi des commandes émanant des autres monarchies européennes. « La Cour est imitée à Paris qui à son tour est imitée par les provinces et par les Cours étrangères dans lesquelles règnent le bon goût et la magnificence telles que sont les Cours de Portugal, de Vienne, de Prusse, de Pologne, et même de Russie », écrira le soyeux lyonnais Barbier, en 1731. Un peu comme, de nos jours, les maisons Chanel (mécène de l’exposition), Dior ou Louis Vuitton continuent de donner le « la » en matière d’élégance et de création, et diffusent leurs modèles aux quatre coins du monde…

Repères

1649
Exécution de Charles 1er.

1661
Début du règne de Louis XIV.

1682
La cour de France s’installe à Versailles.

1688-1689
Révolution anglaise. Bill of Rights définit en 1689 les principes de la monarchie parlementaire.

1702-1714
Guerre de succession d’Espagne.

1715
Mort de Louis XIV. Louis XV a 5 ans, le duc d’Orléans assure la régence jusqu’en 1723.

1740
Début de la guerre de succession d’Autriche. Frédéric II devient Roi de Prusse jusqu’en 1786.

1756
Début de la Guerre des Sept ans qui oppose, en dehors des alliances, la France à la Grande-Bretagne et l’Autriche à la Prusse.

1762
Catherine II devient impératrice de Russie.

1774
Mort de Louis XV, Louis XVI devient roi.

1789
Début de la Révolution française.

1799
Coup d’État de Bonaparte.

1804-1814
Premier Empire.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. « Fastes de cour et cérémonies royales, le costume de cour en Europe 1650-1800 » du 31 mars au 28 juin 2009. Château de Versailles. Tous les jours sauf le lundi de 9h à 18h30. 15 ou 11,5 €. www.chateaudeversailles.fr

Le Grand Versailles. Lancé en 2003 et étalé sur 17 ans, le projet Grand Versailles prévoit une campagne de restaurations et d’améliorations de l’accueil du public. Afin de financer une partie des 500 millions d’euros de travaux, le domaine public de Versailles s’est tourné vers le mécénat. En 2008, 16 millions ont permis la réalisation de nombreux projets. Après Vinci (galerie des Glaces), Chronopost (horloge de la cour de Marbre) et Philips (éclairage extérieur), le mécénat de Lady Michelham of Hellingly vient d’assurer la restauration du Cabinet de la Garde-robe de Louis XVI.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : À Versailles, l’habit fait le roi et la Cour

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque