Art ancien - Livre

Vasari, un livre peut en cacher un autre

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 26 avril 2022 - 799 mots

PARIS

Une exposition au Louvre montre la formidable enquête menée par le musée pour « retrouver » le mythique Livre des dessins de l’auteur des Vies.

C’est un ouvrage qui a fait fantasmer des générations de connaisseurs depuis le XVIIe siècle. Le Livre des dessins, constitué par Giorgio Vasari, est cependant un objet aussi célèbre que mystérieux. En 1568, l’artiste que l’on considère comme le premier historien de l’art réédite ses fameuses Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes alors que les théoriciens se querellent sur la primauté des arts. Fervent défenseur du dessin, il transforme cette mouture revue et augmentée en manifeste pour cette pratique. Dans ses textes, il fait par ailleurs régulièrement référence à un livre de dessins, une sorte de portfolio qui rassemblerait les meilleures feuilles des artistes dont il a brossé la biographie. En 1574, lorsque l’artiste s’éteint, on entend à nouveau parler de ce livre-musée. Les archives nous apprennent que le grand-duc de Toscane se fait remettre le livre par les héritiers de Vasari. Cette mention est la dernière concernant ce recueil qui disparaît ensuite des radars. Rapidement, il aiguise l’appétit des collectionneurs qui se disputent les feuilles susceptibles d’avoir fait partie de ce portefeuille mythique. Pour faire le tri parmi les prétendants à ce prestigieux label, Pierre-Jean Mariette édicte un critère qui va longtemps faire référence : les authentiques auraient été placés dans un montage ornemental ou architecturé réalisé par Vasari ou son atelier. Ce critère, assez vague, va permettre à de nombreux dessins de la Renaissance d’être considérés comme des fragments du recueil. Jusqu’à deux mille dessins ont ainsi été rapprochés de ce corpus, alors que les experts estiment aujourd’hui que le fonds originel devait plutôt se chiffrer à quelques centaines de dessins !

Une enquête sans concession

Pourtant, la pertinence de leur rattachement au Libro n’a pendant longtemps pas été remise en doute. Dans les années 1950, deux savants jettent un pavé dans la mare. Arthur Popham et Philip Pouncey remarquent qu’une feuille porte l’emblème d’une grande famille florentine : les Gaddi. Lignée dont est issu Niccolò Gaddi qui est tout simplement un des principaux collectionneurs de son temps. Mais, étrangement, rien ne se passe, alors même que de nombreuses feuilles semblent former un nouveau corpus que l’on peut rattacher à Gaddi. Il faut croire que personne n’a envie de s’attaquer à ce mythe et d’ôter à de célèbres dessins leur prestigieuse étiquette. Rebelote dans les années 1970, quand de nouvelles découvertes font elles aussi l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Il faut attendre 2018 pour que le Louvre et le Nationalmuseum de Stockholm reprennent le flambeau. Cette fois, en revanche, les institutions s’attellent à un travail de longue haleine. Elles passent au crible les dessins avec une méthode discriminante, estimant que ne peuvent être considérés comme provenant du Libro que les dessins dont le montage est clairement de la main de Vasari ou d’un collaborateur proche. Ou, deuxième cas de figure, les dessins répondant sans ambages à une description donnée dans les Vies. Cet écrémage sans concession a porté ses fruits puisque, aujourd’hui, seules une trentaine de feuilles sont attribuées à Vasari. Un salutaire coup de pied dans la fourmilière qui a permis de retrouver une précieuse cohérence, mais surtout de faire émerger un second Livre, celui de Gaddi qui aurait compté plusieurs portfolios !

Preuve

Le dessin de Sofonisba Anguissola est remarquable à plus d’un titre. Tout d’abord par sa qualité d’exécution et le rendu subtil des émotions de ses petits personnages. Il faut dire que ce dessin est le résultat d’un défi lancé par le grand Michel-Ange à la jeune peintre. Vasari voit dans ce challenge la preuve du talent des femmes artistes et décide d’intégrer les biographies du beau sexe dans ses Vies. Il commente avec précision ce dessin, ce qui permet de le rattacher avec certitude au Libro.

Archétype

Jadis considérée de la main même de Léonard de Vinci, cette feuille est l’archétype du « montage Vasari », défini par Mariette au XVIIIe siècle. Les dessins sont encadrés d’éléments architecturaux et de motifs décoratifs très élégants. Ils sont attribués à Jacopo Zucchi, l’un des plus proches collaborateurs de Vasari. Mariette n’a pas hésité à modifier lui aussi la feuille, car il a ajouté l’étendard avec le nom de l’auteur présumé. Il aurait également collé le Saint-Jean-Baptiste dans le registre inférieur.

Liberté graphique

Plus encore que son dessin central, c’est bien l’encadrement spectaculaire de cette feuille qui frappe l’observateur. Les dessins issus de la collection Gaddi se distinguent en effet par leur grande diversité stylistique et leur goût pour l’ornement maniériste. Parmi les nombreuses feuilles identifiées, on ne retrouve pas deux fois le même montage. Ces derniers ont toutefois presque tous un point commun : dans le registre supérieur, un cartouche est destiné à accueillir un portrait de l’auteur du dessin.

« Giorgio Vasari. Le Livre des dessins. Destinée d’une collection mythique »,
jusqu’au 18 juillet 2022. Musée du Louvre, Paris-1er. Tous les jours sauf le mardi de 9 h à 18 h. Tarifs : 15 à 17 €. Commissaires : Louis Frank, Carina Fryklund. louvre.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°754 du 1 mai 2022, avec le titre suivant : Vasari, un livre peut en cacher un autre

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