Art ancien

HISTOIRE DE L’ART

Le Louvre démonte « Le livre des dessins » de Vasari

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2022 - 620 mots

PARIS

La collection de dessins réunie par Giorgio Vasari serait en fait formée de deux collections différentes : c’est la démonstration convaincante du département des arts graphiques du Louvre.

1950 : le dessin d’une Adoration à l’enfant à l’attribution disputée, enchâssé dans un décor architectural exécuté ultérieurement, passe sous l’œil expert des historiens de l’art Arthur E. Popham et Philipp Pouncey. Ils repèrent dans les angles inférieurs de la feuille un phénix posé sur une branche, dominant une devise, en français dans le texte : « Tant que je vivrai. » Malgré sa publication dans le très officiel inventaire général des dessins italiens du British Museum, ce détail passe inaperçu.

Aujourd’hui, le Musée du Louvre entreprend de diviser en deux une collection mythique : les montages de Giorgio Vasari pour son Livre des dessins [Libro de’ Disegni]. L’auteur des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes– acte fondateur de l’histoire de l’art paru en 1550, où Vasari célèbre l’excellence de l’art italien – voulait offrir dans son Livre des dessins un pendant visuel à son œuvre écrite, un recueil visuel des meilleurs exemples de cet art toscan, vénitien, romain qui avait surpassé les antiques.

À la mort de Vasari, cette anthologie du dessin est portée au duc Francesco de Medici, qui le réclame. Il faut attendre 1730 pour que le marchand et collectionneur Pierre-Jean Mariette donne une première description de cet ensemble qui « ne subsiste plus en son entier », prenant appui sur une lecture quelque peu littérale des Vies des meilleurs peintres… pour en déduire le contenu. Alors que la France s’était détournée de Vasari, Mariette remet au goût du jour la pensée du peintre chroniqueur florentin : car plus qu’une illustration des Vies des meilleurs peintres…, Le Livre des dessins est un manifeste qui incarne l’idée du dessin comme une « faculté d’abstraction », faisant ainsi des arts plastiques les égaux des arts libéraux, et changeant la relation peinture-scultpure de rivales à « sœurs ».

Mais l’ensemble décrit par Pierre-Jean Mariette, en croisant les dessins cités directement par Vasari dans Les Vies des meilleurs peintres… et les mouvements du marché de l’art naissant, ne tient pas debout. Et c’est donc un phénix perché sur un rameau qui amène à cette conclusion : désormais reconnu comme l’emblème de la famille Gaddi, il se retrouve également sur une feuille supposée appartenir à la collection de Vasari, conservé dans la collection du Louvre, et indique fortement qu’une partie de cet ensemble appartenait à un autre collectionneur.

Ces dessins faisant l’objet de montages – enchâssés dans un cadre dessiné – sont divisés en deux ensembles dans l’exposition. D’un côté, ceux qui semblent avoir effectivement fait partie de la collection du théoricien, cités directement dans Les Vies des meilleurs peintres…, ou encadrés de dessins historiés à la plume libre, correspondant à la main de Vasari ou de son assistant. De l’autre, une seconde collection ayant appartenu à Nicollo di Sinibaldo Gaddi, collectionneur florentin de la seconde moitié du XVIe siècle, où les feuilles d’Andrea del Sarto, le Primatice, le Tintoret sont serties dans un montage très architecturé. D’un côté, un ensemble de dessins compilés sous forme d’un livre relié, composant une anthologie savante. De l’autre des feuilles libres, dont le montage forme une sorte de muséographie, destinée aux visiteurs du palazzo Gaddi et de ses trésors.

La démonstration du Musée du Louvre (en partenariat avec le National museum de Stockholm, qui conserve une bonne moitié de la supposée collection Vasari) n’aura pas de mal à convaincre les regards les plus réticents, tant la cohérence visuelle des deux collections saute aux yeux. Cette hypothèse presque validée, il faut maintenant faire de ces objets singuliers, composés de dessins des plus grands maîtres et de cadres dont les exécutants restent à identifier, de véritables objets d’étude.

Giorgio Vasari, le Livre des dessins : destinées d’une collection mythique,
jusqu’au 18 juillet, Musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Le Louvre démonte « Le livre des dessins » de Vasari

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