Civilisations

Un Liban multiculturel

Le Journal des Arts

Le 12 février 2013 - 699 mots

À Genève, une exposition érudite revient brillamment sur 4 500 ans d’art et d’histoire libanaise, traversés de multiples influences.

GENEVE - Le Musée Rath, en collaboration avec le Musée national de Beyrouth, installe le Liban dans ses murs. « Restituer la profondeur historique de ce pays dont l’actualité a fait oublier l’histoire », voilà le but de l’exposition « Fascination du Liban » pour le directeur des Musées d’art et d’histoire (MAH) de Genève, Jean-Yves Marin.

L’enjeu est de taille, tant l’histoire de cette étroite terre coincée entre Israël et la Syrie, symbole autrefois d’une société multiconfessionnelle en paix, aujourd’hui synonyme de zone de conflits, est complexe. Parcourir 4 500 ans d’histoire en l’espace d’une exposition est un pari que le musée genevois a décidé de relever en partenariat avec le Musée national de Beyrouth : cette étroite collaboration et le prêt de pièces archéologiques qui n’avaient encore jamais exposées à l’étranger permet de découvrir des facettes peu connues de l’histoire libanaise.
Le parcours met en avant la mosaïque d’influences et de brassages qui se sont succédé, du néolithique au XXe siècle. La relation entretenue par les populations successives avec le divin et l’Au-delà constitue le fil rouge choisi par les trois commissaires.

Commerce de la pourpre
Dès le IVe millénaire avant notre ère, les jarres-cercueils retrouvées à Byblos illustrent déjà les particularités de cette région. À la fin du néolithique, les nécropoles fleurissent entre Byblos et Sidon, époque où se forge la spécificité culturelle et cultuelle de la région. Sans doute connaît-on mieux les statuettes votives de Byblos, plus tardives, qui témoignent de la maîtrise et de la qualité des orfèvres locaux. Dans le parcours, ces petites figurines humaines devenues emblématiques sont mises en valeur sans éclipser les pièces moins conues. Chaque œuvre raconte ici une histoire : l’émergence de la civilisation phénicienne et l’influence grecque puis hellénistique sont évoquées au travers de pièces retrouvées dans le sanctuaire d’Echmoun, où les croyants venaient chercher la guérison. Les dieux phéniciens, Baal et Astarté, sont progressivement assimilés aux divinités grecques puis romaines dans un syncrétisme religieux fortement imprégné de visées politiques. Une des pièces majeures du parcours, le sarcophage au « Jugement d’Oreste », illustre les influences multiples de l’Empire romain et de la Grèce sur la région autour du Ier siècle de notre ère. La ville de Tyr est baignée d’une culture hellénistique et religieuse qui devient le terreau idéal de la religion chrétienne balbutiante puis triomphante. Les mosaïques de Chhîm, inédites et issues de fouilles récentes, présentent une lionne, des oiseaux et des antilopes retrouvés dans la basilique chrétienne d’un modeste village en pleine zone rurale. La qualité d’exécution de ces pièces est en rapport avec l’expansion économique de la région de Tyr, où le commerce de la pourpre correspond à un âge d’or.

La période byzantine et la conquête arabe ne mettent pas fin à la créativité et au développement de l’art. Au VIIIe siècle, le site d’Anjar, sur la route de Damas, devient la résidence du calife ommeyade : quelques fragments d’architecture montrent la virtuosité des artisans. À la période médiévale se développe au Liban la peinture des icônes, qui voit son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles grâce aux peintres melkites inspirés des modèles grecs orthodoxes.

Les œuvres présentées dans l’exposition, issues d’une collection privée, sont d’une rare qualité et témoignent d’une pratique chrétienne spécifique et fortement ancrée dans les mœurs, alors même que les Ottomans, maîtres de la région dès 1516, développent en parallèle la céramique et la calligraphie à Beyrouth. Les photographies du savant genevois Max van Berchem, présent au Liban en 1895, offrent un document remarquable des monuments et sites du pays à l’aube du XXe siècle. À Genève, l’histoire du Liban retrouve une cohérence grâce à l’évocation de ses permanences culturelles et artistiques.

Fascination du liban, soixante siècles d’histoire, de religion, d’art et d’archéologie

jusqu’au 31 mars, Musée Rath, place Neuve, Genève, Suisse, tél. 41 22 418 33 40, www.ville-ge.ch, tlj sauf lundi 11h-18h. Catalogue, Ed. Skira, 272 p., 57 €.

Fascination du liban

Commissariat : Marielle Martiniani-Reber, conservatrice aux MAH ; Anne-Marie Maïla Afeiche, conservatrice et directrice du Musée national de Beyrouth ; Marc-André Haldimann, expert en archéologie Nombre de pièces : env. 350

Légende photo

Panneau central de la mosaïque du choeur de la basilique de Chhîm représentant une lionne s'élançant, Chhîm, VIe siècle, tesselles en calcaire, terre cuite et verre, 104 x 203 x 5,50 cm.
© ministère de la Culture du Liban/Direction générale des Antiquités. Photo : MAH/S. Crettenand.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Un Liban multiculturel

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