Espagne - Fondation

Influences

Tàpies face à ses maîtres

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 640 mots

À Barcelone, la Fondation Tàpies confronte avec succès de nombreux chefs-d’œuvre du maître catalan aux œuvres d’autres artistes présentes dans sa collection personnelle.

BARCELONE - Antoni Tàpies (1923-2012), qui figure parmi les artistes les plus reconnus de la seconde moitié du XXe siècle, a produit une œuvre d’une force considérable à partir de quelques traits identifiables au premier coup d’œil. Matière dense et épaisse, intégration de la troisième dimension en travaillant celle-ci ou en insérant des objets à la surface des œuvres, coloris sourds (noirs, bruns, ocres, blancs cassés), omniprésence de la croix, de la figure du pied, graffiti : ces élements signent une œuvre de Tàpies. Ce qui, plus encore, caractérise l’œuvre de Tàpies est une formidable inventivité, sans que jamais l’exploration de nouvelles techniques, de nouveaux effets, ne supplante le résultat produit. Vu cette extrême singularité de l’expression artistique qui traverse les œuvres en constituant une sorte de cosmos, on pourrait penser le travail de Tàpies assez étanche aux influences extérieures. Il n’en est rien, comme l’actuelle exposition « Tàpies : An Artist’s Collection » de la Fundaciò Antoni Tàpies de Barcelone parvient brillamment à le démontrer.

Identité façonnée d’influences
Il convient ici de louer le dispositif scénographique. Un cartel introductif placé à l’entrée de la première salle dévoile les noms d’artistes ayant appartenu à la collection personnelle d’Antoni Tàpies et dont on découvrira les créations dans la suite de l’exposition. Dès lors, le visiteur est implicitement invité à regarder différemment les œuvres de Tàpies et découvrir les influences déjà suggérées par le cartel introductif parmi ses créations (dont beaucoup furent produites  durant les années 1980, période la plus fulgurante du maître) exposées au niveau principal et au premier étage. Par-delà le plaisir esthétique, l’excitation intellectuelle ajoute encore à l’intérêt de la visite, car la démonstration s’avère proprement fascinante.

Deux influences se démarquent. Joan Mirò, à la façon duquel Tàpies a produit une sorte d’alphabet pictural de motifs récurrents qui structurent son œuvre. Mais aussi Pablo Picasso, dont la gamme de coloris de la période cubiste que l’on retrouve dans ses céramiques a pu fortement marquer l’artiste ; le travail de la terre de l’aîné trouvant également écho dans celui, profond, de la surface épaisse des tableaux de Tàpies. Pourtant, dans ces deux cas comme dans les travaux à relier à Jean Dubuffet, – également présent par son travail de la matière terreuse, ou de Cy Twombly par son recours au graffiti, de Robert Motherwell ou Franz Kline pour le travail du sillage noir épais laissé par la brosse –, si la parenté est nette, les œuvres produites restent fondamentalement illustratives du travail de Tàpies.

Collection hétérogène
C’est au sous-sol que l’on découvrira les œuvres possédées par Tàpies, venant confirmer les intuitions ressenties dans la grande salle du dessus. Après des œuvres de Tàpies des années 1940 laborieuses et sans réel intérêt, l’artiste cherchant alors sa voie entre surréalisme et symbolisme, ainsi que des œuvres des années 1960 plus inégales, vient la salle « des révélations » qui permet d’éprouver les intuitions précédentes. La collection constituée par Tàpies fait preuve d’un admirable éclectisme et d’une pertinence dans ses choix. Si l’artiste a surtout acquis des œuvres de petits et moyens formats et guère de chefs-d’œuvre, se distingue toutefois un très beau Mirò de 1968 (Personnages et oiseaux en fête pour la nuit qui arrive).

Cette collection constitue un incroyable condensé de l’histoire de l’art au XXe siècle, puisqu’outre Mirò et Picasso figurent des œuvres de Marcel Duchamp (une Boîte-en-valise dont plusieurs des œuvres contenues sont d’inspiration très cubiste), Kurt Schwitters, Vassily Kandinsky, Paul Klee, Willem de Kooning, Jackson Pollock, Sam Francis, Robert Motherwell, Franz Kline, Jean Arp, Max Ernst, ou encore Jean Dubuffet ! Soit bien des artistes dont on avait précédemment ressenti l’influence directe sur le travail de Tàpies. Un Tàpies résolument à l’égal des plus grands.

Tàpies : An Artist’s Collection, Fundaciò Antoni Tàpies, Aragò 256, 08007 Barcelone, Espagne, Tél. : 34 934 870 315, www.fundaciotapies.org, du 12 juin 2015 au 10 janvier 2016.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Tàpies face à ses maîtres

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