Art moderne

Suzanne Valadon

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 novembre 2023 - 1163 mots

NANTES

La nouvelle exposition consacrée à Suzanne Valadon par le Musée d’arts de Nantes redonne à cette dernière la place que ses pairs lui ont reconnue de son vivant. Et nous invite à redécouvrir son œuvre.

1. Un modèle apprécié des artistes

Quel est le nom du modèle à la belle chevelure blond vénitien ayant inspiré cette Jeune Femme à la toilette de Puvis de Chavannes ? De son vrai nom Marie-Clémentine Valadon, elle se fait appeler « Maria » depuis qu’elle a abandonné sa carrière dans le cirque pour devenir modèle, à l’âge de 15 ans. Comme elle sait tenir la pose avec naturel, et qu’elle accepte de se dévêtir, cette jeune femme, qui vit à Montmartre avec sa mère lingère, est très appréciée des artistes. Elle fréquente ainsi les ateliers d’Auguste Renoir, de Pierre Puvis de Chavannes, pour qui elle pose pendant sept ans, de Gustave Wertheimer ou encore de Jean-Jacques Henner. Celle qui rêve de devenir artiste, sans avoir les moyens de fréquenter une académie privée ou d’onéreux cours particuliers, peut ainsi observer les sujets et les poses, et écouter les peintres. En secret, elle se met à pratiquer le dessin. Sa première œuvre connue, un autoportrait au pastel, date de 1883, l’année où elle donne naissance à un fils, Maurice Utrillo. Bientôt, Marie-Clémentine sera non plus Maria, mais Suzanne. En 1885, Toulouse-Lautrec, son voisin, à qui elle a montré ses productions, peint le Portrait de Suzanne Valadon, artiste peintre. « Il est le premier à la reconnaître comme artiste », souligne Salomé Van Eynde, co-commissaire de l’exposition.

2. Un trait inspiré par l’estampe japonaise

C’est par ses dessins que Suzanne Valadon se fait connaître dans les cercles artistiques. Par son attention aux corps, tantôt juvéniles comme celui de la jeune fille ci-contre à la poitrine naissante, tantôt mûrs et marqués par le labeur quotidien, comme celui de la servante, Suzanne Valadon interpelle ses contemporains. Son trait de crayon, qui se caractérise par une ligne fine, cintrée, appuyée et sinueuse, s’inspire de l’esthétique de l’estampe japonaise, très prisée à l’époque en France. Il lui permet de devenir, en 1894, la première artiste femme à exposer au Salon de la Société nationale des beaux-arts, grâce au soutien du sculpteur Albert Bartholomé, qui la présente à Edgar Degas. « Valadon et Degas partagent une même attirance pour les scènes de nu, de toilette, de vie quotidienne. Touché par l’art de Valadon, Degas lui enseigne les techniques de l’estampe, pour qu’elle puisse reproduire et mieux commercialiser ses œuvres », souligne Salomé Van Eynde. Surtout, il lui accorde une reconnaissance et légitime sa place d’artiste : « Vous êtes des nôtres », lui dit-il.

3. Une vision des corps sans concession

Ces Baigneuses, chef-d’œuvre de l’artiste conservé au Musée des beaux-arts de Nantes, témoignent à la fois de l’originalité de Suzanne Valadon et de son appartenance aux mouvements artistiques de son temps. Si les avant-gardes, Gauguin ou les fauves l’inspirent dans son utilisation du cerne noir et des aplats de couleur, comme dans son goût pour les teintes non mimétiques et le déploiement de motifs, Suzanne Valadon crèe un univers qui lui est propre. « Les scènes de toilette et de vie intime qui habitent son art se distinguent de celles de ses contemporains (Degas, Toulouse-Lautrec ou d’autres artistes hommes) par un traitement très cru des corps », observe Salomé Van Eynde. Chez Valadon, en effet, pas d’érotisation des corps féminins, dont la carnation est faite de bleu, de vert, de rouge, de rose. L’artiste, qui a été modèle, représente des personnes qu’elle côtoie dans sa vie quotidienne : Catherine, sa servante bretonne, ou Gilberte, la fille de sa nièce, qu’elle peint de l’enfance à l’âge adulte. Avec un regard à la fois sans concession et compatissant, elle témoigne de l’évolution du corps des femmes avec l’âge, la maternité et les épreuves.

4. Un art reconnu du portrait

« Ne m’amenez jamais une femme qui cherche l’aimable ou le joli, je la décevrai tout de suite », a prévenu Suzanne Valadon. Une fois son art reconnu, au tournant de l’année 1896, Suzanne Valadon se lance dans le portrait. Si elle représente beaucoup ses proches, comme son fils Maurice Utrillo, que l’on voit grandir au fil de ses œuvres, ou sa mère, elle exécute aussi des portraits bourgeois, de commande, dans lesquels elle « suspend sa fascination pour le corps fatigué, relâché ou sexualisé », lit-on dans le catalogue de l’exposition. Dans ce Portrait de Madame Mauricia Coquiot, qu’elle réalise en 1915, Valadon représente une de ses amies, saltimbanque, collectionneuse et épouse du critique Gustave Coquiot, dans une attitude hiératique, au sein d’un décor opulent évoquant les premiers instants d’abstraction de Kupka.

5. Des sujets souvent transgressifs

Peindre des nus ? Quel scandale pour une femme ! À l’époque de Suzanne Valadon, quand une femme peignait, elle devait se cantonner à la nature morte et au paysage, considérés comme des genres mineurs.Une femme représentant une femme nue, alors qu’elle-même n’avait pas eu de cours sur les modèles vivants dans une académie, apparaît comme une pratique extrêmement transgressive. Audacieuse, d’un caractère très affirmé, Suzanne Valadon va d’ailleurs encore plus loin en peignant nu son amant, qui deviendra son mari ! Elle se lance dans la nature morte au moment où sa carrière, dans les années 1920, est à son apogée : elle n’a plus alors à faire ses preuves et peut se permettre de s’essayer à des genres considérés comme féminins. Ici, par une palette chromatique saisissante où le rouge fait ressortir le vert du feuillage, par sa touche parallèle produisant un chatoiement des couleurs et des volumes des fruits et de la coupe, Valadon médite les leçons de Cézanne, Gauguin et Matisse, et témoigne de sa très grande maîtrise du pinceau.

6. Des paysages
autobiographiques

Comme pour la nature morte, Suzanne Valadon s’adonne au paysage une fois sa notoriété établie. Pour elle, ce dernier est souvent autobiographique, c’est un lieu où elle vit et qu’elle représente au fil des saisons. Dans ce paysage d’été, elle peint la vue depuis le jardin de son atelier – aujourd’hui Musée de Montmartre, rue Cortot, où elle s’installe dès 1896. Son premier mariage avec Paul Moussis, agent de change parisien et négociant en tissus, qui durera jusqu’à sa rencontre en 1909 avec le jeune peintre André Utter, âgé de 23 ans, la met à l’abri du besoin. Réalisée en 1916, cette vue de Montmartre compte parmi les premiers paysages de Valadon, qui se multiplieront à l’occasion de ses séjours avec André Utter et son fils Maurice Utrillo dans leur château de Saint Bernard, près de Villefranche-sur-Saône (69), à partir de 1923.

 

Bio express

1865
Naît à Bessines-sur-Gartempe (87)
1880
Devient modèle à Montmartre
1883
Premier dessin et naissance de son fils Maurice
1894
Première artiste femme à exposer au Salon de la Société nationale des beaux-arts
Années 1900
Le nu occupe une place centrale dans son art
1920
Artiste reconnue, elle s’intéresse à la nature morte
1938
Elle est enterrée à Montmartre, en présence de Picasso, Rouault, Derain, Robert Rey et Max Jacob

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°770 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : Suzanne Valadon

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