Art moderne

Sur les pas de Miró en Catalogne

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 29 août 2018 - 1197 mots

PARIS

À la veille de l’ouverture de la grande exposition Miró au Grand Palais, L’Œil est allé découvrir les premiers paysages qui ont marqué le peintre et sa peinture.

1 - L’atelier de Mont-Roig

« Tout est parti de Mont-Roig », a dit maintes fois Joan Miró. C’est là, tout près de ce village, qu’il est venu pour la première fois en 1911, dans la ferme récemment acquise par ses parents. C’est dans ce lieu, ces sierras brûlées par le soleil et bercées par la Méditerranée, que Mirò a senti l’appel de la nature et que, plus tard, il a décidé de consacrer sa vie à l’art. Chaque été, jusqu’en 1976, il ira se réfugier dans sa chère ferme et dans son atelier – conçu par lui-même – afin d’y pratiquer la sculpture. L’espace conserve encore les éléments liés à son activité : ustensiles, croquis, objets divers, et sur les murs subsistent aussi les graffitis dessinés par Miró pour donner corps à ses idées. Des idées qu’il puise de la terre de Mont-Roig. Elle est pour lui la quintessence de la Catalogne et de la Méditerranée, deux clés indispensables pour la compréhension de son œuvre. Il aime se perdre et se retrouver au contact d’une nature tour à tour exubérante et dépouillée, véhémente et calme. C’est là que naîtra sa fascination pour les insectes, les oiseaux, les arbres, les serpents qui constitueront la base de l’imagerie de son art. Il rapportera un grand nombre de paysages de ces séjours à la campagne.

2 - La plage à Mont-Roig

D’influence post-impressionniste, Miró représente la plage située à environ deux kilomètres du mas Miró où tant de fois, descendant à travers le ravin de la Peixerota, il est allé se baigner et faire de la gymnastique, au grand étonnement des agriculteurs du coin. Sur cette plage, Miró dessine sur le sable, ramasse des pierres, des bûches, des racines et des roseaux, qui seront ensuite transformés en sculptures. La courbe de la plage et l’isolement d’un détail, le pin parasol hors de proportions, la géométrie des quatre courbes qui ordonnent les flots, le socle octogonal du bateau sont une première avancée vers les fondements d’une écriture des objets. Paradoxalement, son divisionnisme aboutit à assombrir le tableau, et sa touche manque de légèreté. Il pose des sortes de barres en tous sens dans un enchevêtrement appliqué mais confus qui constitue une sorte de vannerie grossière.

3 - La "montagne rouge"

La « montagne rouge » où se dresse l’ermitage de la Roca a donné naissance à une peinture puissante, d’influence clairement cézanienne, de Miró. L’extraordinaire piton rocheux suspendu dans le vide auquel s’agrippe la petite chapelle de Sant Ramon représente la vue depuis la dernière partie du vieux chemin montant au village. Cette montagne qui, selon la légende, a abrité dans l’une de ses grottes la Vierge noire inspire une grande dévotion. C’est là également que convergent des histoires anciennes concernant un « roi maure » et la plus plausible des théories : les hallucinantes sculptures naturelles formées par l’action de l’eau et du vent pourraient avoir inspiré Gaudí, né tout près de là. Miró déclare que le secret de son travail est l’équilibre. L’emplacement de l’ermitage, la forme cubique des grottes, l’ensemble défiant les lois de l’équilibre n’ont pas manqué de capter l’attention du jeune peintre. Miró traite la composition de son tableau de 1916 avec une stylisation violente. Il intervient vigoureusement pour imposer son ordre à ce chaos rocheux et unifier le paysage. Il en retient le mouvement, la direction et les lignes de force.

4 - Le village

Miró qualifiait de fauve toute sa production jusqu’en 1918. Les influences conjuguées ou contrariées de Cézanne et de Van Gogh, des fauves et du cubisme, sont totalement assimilées et transformées par la vision du peintre, qui reste essentiellement un artiste catalan. Ce qui domine le plus fortement ces toiles, c’est en effet l’emploi de la couleur issu directement de la technique des fauves : la juxtaposition des tons purs en rapports contrastés, le libre jeu de la couleur employée pour sa valeur expressive propre et affranchie du ton local relèvent bien du fauvisme. Mais la touche de Miró n’est pas celle d’aucun peintre fauve : elle est à la fois plus rude et plus large, plus capricieuse aussi et étroitement soumise à des élans violents et saccadés. Miró dispose d’une palette à la fois riche et austère, sourde et lumineuse, comme si la lumière emprisonnée dans la couleur n’irradiait que lentement à travers l’épaisseur de la matière. Les ocres, les verts foncés, les jaunes et les oranges terreux, les carmins opaques dominent. Miró compose à grands rythmes heurtés, comme des vagues déferlantes qui s’immobilisent, prisonnières de la couleur et de la forme, leur puissance sauvage contenue.

5- L’Église de Mont-Roig

Commencé en 1918 et terminé l’année suivante, ce tableau est resté dans la collection de la fille de l’artiste. C’est une composition ascendante où la profondeur et la distinction des plans ne sont pas rendus par la perspective mais, singulièrement, par des degrés divers de réalisme. Au premier plan, le mur et les cultures deviennent des éléments géométriques presque abstraits. Les jardins et les arbres du second plan procèdent du « détaillisme » de ses précédents paysages, tandis que le village au dernier plan, comme en surplomb, est légèrement stylisé. Contre toute attente, l’apparence réaliste de l’œuvre est préservée au point qu’on peut voir toutes les maisons, les fenêtres et les cheminées comme sur une photographie. La toile garde son unité et sa poésie. L’atmosphère édénique des paysages de Miró provient sans doute de la lumière égale qui les baigne. Il n’y a pas d’ombre portée dans cette toile. Son « détaillisme » poétique produit paradoxalement un effet opposé. On observe un Mont-Roig rêvé et réinventé, à la fois pays réel et paradis terrestre. Quelques années plus tard, La Ferme achèvera la série de ces paysages en les élevant à leur apogée.

6 - La Ferme (La Masia)

L’une des œuvres maîtresses de Miró représente la maison des métayers qui côtoie le bâtiment principal, le mas, situé sur la gauche. Aboutissement et synthèse de la première période, cette œuvre contient en germe toutes les potentialités qui ouvriront la voie à ses futures créations fantastiques. Les correspondances et les éléments abstraits foisonnent, que ce soit le cercle noir et la base blanche de l’eucalyptus au centre de la composition, le carré rouge sur la droite qui défie la spatialité du poulailler, les tuiles rouges et les formes losangiques noires à gauche ou même la lune ronde, la roue de charrette rouge ou le perchoir du coq. La douceur poétique et les formes organiques des premiers paysages ont disparu. L’artiste a choisi cette fois-ci de nombreux objets qui, au lieu de se chevaucher les uns les autres, se détachent clairement sur le fond de la composition. La taille de certains détails ne correspond pas à la réalité, mais est octroyée selon l’importance que leur donne la peinture : « Je ne crois pas qu’on devrait donner plus d’importance à une montagne qu’à une fourmi. » Cette toile fut acquise par son ami Ernest Hemingway : « À la maison, on accrocha le tableau au mur… Jamais je ne voudrais l’échanger contre un autre tableau au monde. »

« Miró »,
du 3 octobre 2018 au 4 février 2019. Grand Palais, 3, avenue du Général Eisenhower, Paris-8e. Lundi, jeudi et dimanche de 10h à 20h, mercredi, vendredi et samedi jusqu’à 22h. Tarifs : 11 et 15 €. Commissaire : Jean-Louis Prat. www.grandpalais.fr Fondation Miró, Parc de Montjuïc, Barcelone. Mardi, mercredi, vendredi et samedi, de 10 h à 20 h, le jeudi jusqu’à 21 h, le dimanche jusqu’à 15 h. Tarifs : 5 à 12 €. www.fmirobcn.org

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°715 du 1 septembre 2018, avec le titre suivant : Sur les pas de Miró en Catalogne

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