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Claire Chazal : « J’aime l’éclectisme d’Entrée libre »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 28 février 2019 - 1159 mots

PARIS

Créée en 2011 par Laurent Goumarre, Entrée libre s’est imposée sur France 5 comme le rendez-vous quotidien de la culture. Pour sa huitième saison, l’émission animée depuis 2016 par Claire Chazal enregistrait le 22 janvier 2019 un record avec 503 000 téléspectateurs et 2 % de part d’audience.

Claire Chazal sur le plateau d'<em>Entrée Libre</em> - François Roelants / FTV
Claire Chazal sur le plateau d'Entrée Libre
© Photo : François Roelants / FTV
À quoi le succès d’Entrée libre tient-il : au mélange des arts, à son rythme… ?

Claire Chazal - À tout cela à la fois. Ce que j’aime dans Entrée libre, et que j’aimais avant d’en prendre les rênes – Laurent Goumarre présentait l’émission avant moi –, c’est l’éclectisme de ce magazine ; le fait de balayer la culture à 360°. Entrée libre est exigeante sans être élitiste, pointue tout en étant grand public. Nous y traitons à la fois de BD, d’art contemporain, de films d’auteur et de films grand public, du théâtre d’auteur et du théâtre subventionné… Notre seul désir est de transmettre des passions, de donner l’envie d’aller voir un artiste, sans volonté de polémiquer, de diviser, voire de heurter.

Comment parler de culture sans être élitiste ?

C’est une question importante à laquelle il n’y a pas forcément de réponse. Ce n’est pas facile, c’est vrai. Cela dépend, bien sûr, de la qualité du reportage. Pour un artiste contemporain, par exemple, si l’on arrive à accrocher le téléspectateur grâce à la pédagogie des commentaires, alors, nous avons gagné. Mais si nous ne parvenons pas nous-mêmes à bien saisir le sujet, alors nous restons obscurs.

À la télévision, aborde-t-on la culture de la même manière que l’économie, la politique, etc. ?

J’ai toujours tenu à aborder la culture, y compris sur TF1. Sur la forme, il y avait un certain formatage des sujets, puisque nous ne pouvions pas dépasser une certaine durée au risque de lasser le téléspectateur. Dans Entrée libre, nous sommes plus « libres » de faire, par exemple, quatre ou cinq minutes de reportage ; ce qui, pour la télévision, est très long. Nous avons également différents rythmes durant les vingt-six minutes de l’émission : des sujets de cinq minutes en alternance avec des pastilles de deux minutes afin d’établir une hiérarchie dans ce qui nous intéresse.

Y a-t-il un « esprit » Entrée libre ?

Venant d’un journal généraliste, où la volonté était de traiter le fait, j’ai été frappée à mon arrivée par la très grande diversité des journalistes. Chacun possède un domaine de prédilection : l’architecture, l’art contemporain, la littérature… Les journalistes n’ont pas été formatés par une école, mais possèdent au contraire des parcours différents (écoles de lettres, de cinéma, d’architecture…) et, donc, des écritures différentes. Je ne dirais pas qu’il y a un « style » Entrée libre, mais nous avons assurément la volonté de rajeunir, de surprendre, d’amuser en sortant un peu des conventions.

Quelle est la part des arts visuels qui sont les parents pauvres de la culture à la télévision ?

Nous ne cherchons pas à quantifier, mais les arts visuels ont une part assez importante. Nous traitons systématiquement les grandes expositions avec des expositions plus pointues. Nous parlons tout autant de Miró au Grand Palais que de Grayson Perry à La Monnaie de Paris. Nous nous déplaçons par ailleurs très souvent en régions. La littérature est sans doute la moins abordée dans Entrée libre, puisque François Busnel anime déjà La grande librairie sur France 5. La littérature est aussi moins télégénique et plus difficile à illustrer que le spectacle vivant ou l’art.

Pourquoi la télévision ne parle-t-elle pas plus des arts visuels ?

Je suis d’accord avec vous. Je ne veux pas critiquer les chaînes de service public, qui ont une revendication de « culture », mais nous pourrions programmer plus d’art. Entrée libre est à peu près la seule émission, avec D’art d’art,à parler d’arts visuels, alors que la file d’attente devant certaines expositions du Grand Palais est considérable.

N’y a-t-il pas un problème de téléspectateurs aussi ?

Il suffit de remonter à l’école : les arts plastiques sont sans doute mal enseignés dès l’école. De mon temps, nous n’apprenions rien à l’école sur l’art et nous n’allions voir aucune exposition. Cela a certes changé ; mon fils est allé voir beaucoup d’expositions. Mais nous sommes privilégiés, nous habitons Paris… Quelle possibilité le grand public a-t-il d’aller voir une exposition ? Il faut se replacer dans le contexte social. C’est là que la télévision devrait jouer un rôle. Or je trouve qu’elle le joue moins qu’avant. Le problème, aujourd’hui, est que la télévision évolue dans un monde concurrentiel : comment voulez-vous garder votre place si vous ne cherchez pas à être très grand public ? Évidemment, dans ce contexte, la culture est le parent pauvre

La télévision est-elle, en matière culturelle, suffisamment inventive ?

Il est difficile d’être inventif pour le spectacle vivant. Depuis Au théâtre ce soir, nous ne sommes pas véritablement arrivés à le rendre attrayant. Nous essayons de le faire dans Passage des arts, une nouvelle grille sur France 5, programmée le samedi soir, souvent consacrée à une captation intégrale d’un opéra ou d’une pièce de théâtre. Mais tous les metteurs en scène le disent : aucune captation ne peut remplacer le contact avec l’acteur, l’émotion du spectacle. Pour le reste, la littérature, l’art…, que voulez-vous inventer ? Je suis sceptique lorsqu’on me dit : « Il faut trouver des idées nouvelles. » Moi, j’ai envie de regarder en image des sujets bien tournés, intelligemment montés, et de voir qu’un artiste est reçu avec bienveillance, dans une émission qui lui laisse la parole. Entrée libre ne cherche pas une approche systématiquement « moderne », ni dans le style ni dans le sujet, mais à trouver les bons interlocuteurs et à aller au cœur de ce qui nous passionne.

Comment Entrée libre fonctionne-t-elle ?

L’émission est composée d’une dizaine de journalistes et de deux rédacteurs en chef. Chacun a son domaine de veille : le cinéma, la danse… sans être non plus cloisonné. Lorsque nous nous réunissons le mardi matin pour préparer les émissions qui seront enregistrées le lundi suivant, chacun apporte des propositions de sujet. Puis, nous essayons d’organiser l’émission le mieux possible afin qu’elle soit attrayante. Bien sûr, nous nous organisons en fonction des moyens, qui ne sont pas considérables. Jeunes et mobiles, les journalistes tournent seuls leurs sujets : ils filment, réalisent les interviews, prennent le son, montent leurs reportages… Chacun fait aussi ce qu’il a envie de faire même si, bien sûr, les sujets sont ensuite visionnés, parfois corrigés, avant que la chaîne donne son aval pour la diffusion [Entrée libre est produite par la société Tangaro, ndlr].

Les audiences sont-elles décisives pour le maintien d’Entrée libre ?

Nous sommes relativement tranquilles. Je comprends les préoccupations d’audience, je les trouve même légitimes. Bien sûr que nous regardons quel invité fait le plus d’audience, et quel sujet marche le mieux en ouverture. Nous avons sans doute dû parfois batailler un peu plus pour inviter de jeunes créateurs, de jeunes artistes… Mais, au final, c’est très bien, car nous sommes toujours parvenus à les recevoir.
 

Depuis 2016, Claire Chazal anime chaque jour sur France 5, durant 26 minutes, du lundi au vendredi à 20 h 20, le samedi à 00 h 20 et le dimanche à 8 h 55, le magazine Entrée libre, un panorama de la culture mise en perspective dans toute sa diversité. www.france.tv

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Claire Chazal : "J’aime l’éclectisme d’Entrée libre"

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