Art moderne

NÉO-IMPRESSIONNISME

Signac, de Monet à Monet

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 19 mai 2021 - 831 mots

PARIS

Le parcours chronologique du Musée Jacquemart-André montre comment le peintre, qui a tout appris en regardant Monet, a inventé le néo-impressionnisme avec Seurat, libéré sa couleur au point d’emmener Matisse avec lui, puis est retourné à Monet dans certaines de ses dernières toiles.

Paul Signac, Les Andelys. Soleil couchant, 1886, huile sur toile, 32 x 46 cm, Collection particulière.
Paul Signac, Les Andelys. Soleil couchant, 1886, huile sur toile, 32 x 46 cm, Collection particulière.

Paris. Dans l’introduction au catalogue Signac, les harmonies colorées, Alain Pasquier, conservateur de la Fondation Jacquemart-André, inscrit les expositions de son musée dans une « programmation ouverte qui s’intéresse notamment au collectionnisme ». Pour cet événement consacré à Paul Signac (1863-1935), d’ailleurs lui-même grand collectionneur, la précision est importante car il réunit près de 70 œuvres provenant de la plus grande collection néo-impressionniste privée au monde. Suffisamment pour monter une rétrospective, même si c’est en mode mineur en comparaison des plus de 500 œuvres de ce même ensemble qui ont été présentées l’année dernière à l’exposition « Paris au temps du postimpressionnisme. Signac et les indépendants », au Musée des beaux-arts de Montréal (Canada).

Dans le cadre intime du Musée Jacquemart-André, la commissaire, Marina Ferretti Bocquillon, spécialiste du peintre, s’est surtout attachée à tracer des pistes pour explorer l’œuvre pictural de Signac, mais aussi son rôle capital dans la fondation et la vie du mouvement néo-impressionniste. La première salle montre la conversion rapide du jeune admirateur de Monet (1840-1926) à la technique de division de la touche qu’il met au point avec Georges Seurat (1859-1891), rencontré en 1884. Et, déjà, la salle suivante illustre la manière dont l’artiste abandonne une pratique trop contraignante en élargissant sa touche. Les études, telle celle du Joueur de boules penché dans Au temps d’harmonie (1894), sont beaucoup plus libres que les œuvres finales. D’ailleurs, l’Étude pour La Salle à manger ouLe Petit Déjeuner (1885-1886, le tableau étant conservé au Musée Kröller-Müller, aux Pays-Bas) se rapproche de l’art de son contemporain Pierre Bonnard.

La deuxième partie de l’exposition, constituée d’une quinzaine d’œuvres, s’intéresse aux néo-impressionnistes dont Signac était le « saint Paul », selon l’expression du collectionneur et critique d’art Thadée Natanson. Camille Pissarro (1830-1903), bref compagnon du mouvement, est notamment représenté par le magnifique Troupeau de moutons à Éragny (1888) qui a appartenu à Signac. Henri-Edmond Cross (1856-1910), Maximilien Luce (1858-1941) et Théo Van Rysselberghe (1862-1926) figurent dans cette section. Ils sont accompagnés d’artistes moins connus : Achille Laugé (1861-1944), Louis Hayet (1864-1940), Georges Lemmen (1865-1916) et Georges Lacombe (1868-1916).

Est ensuite célébré le dessinateur et aquarelliste exceptionnel qu’était Signac. C’est sans doute l’aspect de l’œuvre le mieux connu du grand public, car il a fait l’objet de nombreux albums. L’éventail-écran Coucher de soleil (1905) est un petit chef-d’œuvre fauve et la suite vient rappeler à quel point l’eau était l’élément du peintre. « Sur les 611 tableaux […] que compte le catalogue raisonné de l’artiste, précise Marina Ferretti Bocquillon dans le catalogue, la mer apparaît dans 356 œuvres. [Une inspiration qui va] de la mer du Nord à la Méditerranée, de la Hollande à Istanbul. Pour les fleuves – il s’agit souvent de la Seine –, on n’en dénombre pas moins de 128. » Avant la Première Guerre mondiale, ce marin accompli a rêvé de réaliser une suite de tableaux de grand format des grands ports européens. Puis, en 1928, il propose à l’homme d’affaires Gaston Lévy « une suite importante d’aquarelles sur “Les Ports de France” », une centaine environ. Il s’inscrit ainsi dans une tradition des peintres de la Marine (dont il fait partie) et envisage pour ce travail, effectué au cours d’un voyage, une durée de cinq ou six mois. Il lui faudra en fait trois ans, de 1929 à 1931, pour produire environ 90 aquarelles (le Musée Malraux du Havre et La Piscine de Roubaix ont exposé la totalité des œuvres connues de cette série en 2010-2011). Dans chaque port qu’il a pu visiter, il a peint une vue pour son mécène et une pour lui-même. Le musée Jacquemart-André présente 14 feuilles de ces séries dans un parfait état de fraîcheur.

Les « touches multicolores » de Turner

La dernière partie de la rétrospective est consacrée à « La libération de la couleur ». « Lorsque Matisse vient dans l’atelier de Signac à Saint-Tropez, ce sont ces tableaux de Venise qu’il voit », explique la commissaire à propos d’Arc-en-ciel, Venise (1905), « une vision totalement éloignée de la réalité. C’est la rencontre avec l’œuvre de Turner [en 1898, ndlr] qui a permis psychologiquement cette libération ». Qu’elle soit tonitruante ou délicate, le peintre donne à la couleur « son indépendance, et je pense que Matisse a compris cela ». Marina Ferretti Bocquillon en tire cette conclusion que Signac a conduit Matisse à ce qui fera sa spécificité, les aplats de couleurs pures. « L’été suivant, Matisse retrouve Derain à Collioure. […] Il y a vraiment une filiation ! » Mais avec les deux dernières toiles du parcours, Marseille, le Vieux Port (1906) ou Avignon, matin (1909), c’est le Monet de la cathédrale de Rouen ou des vues de Londres que rejoint Signac, celui dont il expliquait dans l’ouvrage D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (1899) qu’avec Pissarro, à Londres en 1871, il avait découvert Turner et son « procédé de touches multicolores ».

Signac, les harmonies colorées,
jusqu’au 19 juillet, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°567 du 14 mai 2021, avec le titre suivant : Signac, de Monet à Monet

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