Egypte

Sésostris III, le stratège

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 28 octobre 2014 - 646 mots

Le Palais des beaux-arts de Lille met en lumière la personnalité et le règne du pharaon visionnaire.

LILLE - La postérité peut être parfois terriblement injuste ! S’il n’a d’yeux que pour Toutankhamon, Ramsès II ou la belle et sulfureuse Cléopâtre, le grand public ignore à peu près tout du pharaon du Moyen Empire Sésostris III. Celui qui régna autour de 1872-1854 avant notre ère fait pourtant l’objet de tous les soins de la part des historiens et des archéologues. Ne passe-t-il pas pour avoir réformé en profondeur le fonctionnement de l’administration, tout en assurant la reprise en main de la Haute Nubie ? Farouche et belliqueux, mais aussi puissant et visionnaire, Sésostris III devait marquer durablement les esprits et incarner le souverain par excellence jusqu’au Nouvel Empire. Il connaîtra même une fortune littéraire sous la plume de l’historien grec Hérodote, avant de figurer dans l’album d’Hergé Les Cigares du Pharaon !

Bénéficiant de prêts internationaux (le British Museum, le Musée national de Beyrouth, le Metropolitan Museum of Art, sans oublier le Louvre qui prête à lui seul une cinquantaine de pièces), l’exposition confronte objets de fouilles et chefs-d’œuvre de la statuaire pour tenter de cerner ce personnage complexe.

Portrait d’un réformateur
Dès l’entrée, le visiteur est ainsi confronté à l’une de ces effigies « aux traits marqués » qui ont nourri tant d’hypothèses de la part des égyptologues. Taillée dans du quartzite (cette pierre si dure qu’elle était réservée à l’élite), la tête colossale du musée de Kansas City ferait presque figure de manifeste. Les oreilles décollées et surdimensionnées, les pommettes saillantes et les lèvres pincées, les yeux globuleux sous des paupières lourdes, le pharaon revêt l’apparence d’un homme âgé et sévère, implacable et légèrement dédaigneux. Ailleurs, sur un linteau de porte provenant du temple de Medamoud, le souverain apparaît à gauche sous les traits d’un roi juvénile au visage plein, à droite sous ceux d’un homme dont le visage est creusé par les stigmates du temps. Selon l’égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë, « il convient d’interpréter le dualisme de ces images comme une vraie stratégie de communication ». En rompant avec les représentations canoniques d’un pharaon éternellement jeune, Sésostris III construit ainsi une image de propagande variant selon les circonstances et les destinataires. Soumission oblige, les proches du roi se feront représenter, eux aussi, avec les caractéristiques physiques de leur souverain…

Outre cette révolution esthétique, Sésostris III va également modifier de façon radicale les coutumes religieuses et funéraires. « Il est le premier pharaon à renoncer à la forme visible et ascensionnelle de la pyramide pour celle de l’hypogée creusé dans la roche destinée à favoriser le voyage nocturne », résume Guillemette Adreu-Lanoë. Le souverain se serait ainsi fait construire un hypogée et un temple à Abydos, la ville sainte d’Osiris, pour y abriter sa sépulture. Dans le sillage du pharaon, le culte du dieu des morts devait parallèlement connaître auprès de toutes les couches de la société un essor considérable. L’esplanade de son temple vit ainsi fleurir une multitude de stèles et de cénotaphes reflétant cette ferveur populaire. Effectuée par les archéologues de l’université de Louvain, en Belgique, la spectaculaire reconstitution en 3D de la chapelle du nomarque (chef de province) Djehoutyhotep, dans la nécropole de Deir el-Bersha, atteste, quant à elle, du degré de sophistication des peintures funéraires du Moyen Empire. Mais là où l’exposition se révèle des plus passionnantes, c’est bien dans l’évocation de la circulation des hommes et des objets sous le règne expansionniste de Sésostris III. Des modestes ustensiles de la vie quotidienne exhumés dans la forteresse militaire de Mirgissa, en Nubie, aux somptueux bijoux égyptisants découverts dans la nécropole royale de Byblos, le contraste est néanmoins saisissant…

Sésostris III

Commissariat : Fleur Morfoisse, conservateur au Palais des beaux-arts de Lille et Guillemette Andreu-Lanoë, directrice honoraire du Département des Antiquités égyptiennes du Louvre.
Scénographie : Isba A. M.
Nombre d’œuvres : 350

Sésostris III, Pharaon de légende
Jusqu’au 25 janvier 2015, Palais des beaux-arts de Lille, Place de la République 59000 Lille, tel. 03 20 06 78 00, www.pba-lille.fr, catalogue, Snoeck Éditions, 400 pages, 39 €.

Légende photo :
Tête de Sésostris III, XIIe dynastie, règne de Sésostris III, vers 1872-1854 av. J.-C., provenance inconnue, quartzite, 45 x 34,3 x 43,2 cm, The Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City. © Photo : John Lamberton/The Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Sésostris III, le stratège

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