Église

Gothique

Rouen déconstruit le mythe de la cathédrale

La cathédrale, le retour

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2014 - 653 mots

ROUEN

En collaboration avec le Wallraf-Richartz Museum de Cologne, le Musée des beaux-arts de Rouen revient sur les racines allemandes, anglaises et françaises de la mythification de la cathédrale gothique née à la fin du XVIIIe siècle. Beaux-arts, littérature et arts décoratifs témoignent du goût pour ces édifices grandioses à l’origine de la notion de patrimoine.

ROUEN - Lorsque Paul Delaroche décore l’hémicycle de l’École des beaux-arts de Paris (1836-1841), il choisit de dépeindre quatre allégories pour encadrer les figures assises d’Apelles, d’Ictinus et de Phidias : L’Art grec, L’Art romain, L’Art de la Renaissance et L’Art gothique. Preuve d’un récent regain d’intérêt, le célèbre professeur fait de l’art médiéval l’un des quatre piliers de l’histoire de l’art. Comment le style gothique, après avoir été supplanté par la Renaissance, le baroque, le classicisme, a-t-il soudain ressurgi au XIXe siècle ? « Cathédrales 1789-1914, un mythe moderne », présentée au Musée des beaux-arts de Rouen (Seine-Maritime), examine cet élan venu d’Angleterre et d’Allemagne, étendu à la France, de la Révolution au début du XXe siècle. Comme Rouen, Cologne peut se targuer de posséder une superbe cathédrale gothique, reconstruite au fil des siècles. Les deux nations se sont d’ailleurs longtemps disputé le titre d’inventeur du gothique – depuis remis à l’abbé Suger pour la reconstruction de la basilique de Saint-Denis. Optant pour une approche en bonne intelligence, le musée normand et le Wallraf-Richartz-Museum de Cologne ont préparé cette exposition main dans la main.

Tradition nationale
Dès la fin du XVIIIe siècle, le jeune Goethe redonne ses lettres de noblesse à un style architectural considéré comme primitif, et introduit l’idée de « tradition nationale ». Métaphore de la nation allemande en gestation, la cathédrale symbolise la fusion harmonieuse entre le spirituel, le monumental et la nature. En Angleterre, patrie du gothic revival, l’intérêt pour le patrimoine historique et la recherche du pittoresque s’immiscent jusque dans les toiles de Turner ou de Constable. En France, les ravages révolutionnaires ont inauguré une nouvelle ère pour ces lieux de culte, amorçant leur désacralisation. Lorsque Charles X se fait sacrer roi de France à Reims, il est beaucoup moins question de religion que d’un rapport à l’Histoire. La cathédrale matérialise alors la capacité d’un peuple à s’unir pour ériger un monument de beauté. En ces temps de bouleversements sociaux, elle est un roc auquel la nation se raccroche.

Chronologique et transversale, l’exposition suit la construction de ce mythe moderne dont la portée culturelle est écrasante. Elle aborde la littérature, avec l’engouement du romantisme cristallisé par Notre-Dame de Paris (1831) d’Hugo. Elle illustre ensuite les notions nouvelles de « patrimoine » et de « monuments historiques », que le Musée de Rouen avait développées en 2009 avec l’exposition « Voyages pittoresques » consacrée aux volumes d’Isidore Taylor et Charles Nodier. La photographie se fait également le témoin indispensable pour les historiens et architectes chargés de reconstruction. Temps fort du parcours, la salle consacrée aux arts décoratifs révèle l’ampleur du phénomène, le « motif cathédrale » s’insinuant aussi facilement sur les décors peints de pièces en porcelaine de Sèvres que sur le dessin de mobilier, bijoux et objets du quotidien tels un encrier, une pendule ou un calendrier. De leur côté, les peintres impressionnistes, Monet en tête et sa belle série de « Cathédrales de Rouen », ont consacré ce monument du passé dans le paysage de la modernité. Avec le bombardement en 1914 par l’armée allemande de la cathédrale de Reims, où furent sacrés tant de rois français, le symbole n’a jamais été aussi fort. En s’attaquant à ce monument de l’Histoire, du patrimoine et de la spiritualité, l’ennemi sait qu’il touche à l’intégrité d’une nation. Plus tard, les gratte-ciel ont beau s’inspirer des cathédrales européennes et les écraser de leur taille infinie, jamais ils ne véhiculeront l’idée d’un peuple rassemblé.

Cathédrales

Commissariat général en France : Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen ; Ségolène Le Men, professeur à l’université Paris-Ouest Nanterre-La Défense
Itinérance : Wallraf-Richartz-Museum et Fondation Corboud, Cologne, 26 septembre 2014-18 janvier 2015

Cathédrales. 1789-1914 : un mythe moderne

Jusqu’au 31 août, Musée des beaux-arts, esplanade Marcel -Duchamp, 76000 Rouen, tél. 02 35 71 28 40
www.rouen-musees.fr
tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, Somogy Éditions d’art, 416 p., 39 €

Légende photo
John Constable, La Cathédrale Salisbury vue de la propriété de l’évêque, vers 1825, huile sur toile, 87,9 x 111,8 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York. © Photo : The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN/image of the MMA.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Rouen déconstruit le mythe de la cathédrale

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