Art ancien

XVIE-XVIIE SIÈCLES

Roberto Longhi, une certaine histoire du caravagisme

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 5 juillet 2021 - 857 mots

CAEN

La collection de Roberto Longhi marque un arrêt au Musée des beaux-arts normand, où les dessins de l’historien de l’art italien offrent une étude des techniques du Caravage.

Caen. Il y a soixante-dix ans, l’historien de l’art Roberto Longhi (1890-1970) faisait redécouvrir Michelangelo Merisi, dit Caravage, et ses suiveurs lors d’une exposition au Palazzo Reale de Milan restée dans les mémoires. Le peintre lombard reprenait alors sa place dans une histoire de l’art dominée par les figures toscanes. De nos jours, une exposition Caravage et les caravagesques reste un événement, bien que la formule ait été maintes fois reproduite, sans être pour autant épuisée, mais sans réelle révision du discours de Longhi, qui se résume dans cette formule lapidaire : Caravage, dernier des classiques, premier des modernes.

C’est au tour de Caen d’accueillir les toiles de la collection Longhi, gérée par la fondation italienne consacrée à l’héritage intellectuel de l’historien de l’art. La sélection des œuvres y est la même qu’aux musées capitolins de Rome, qui accueillaient jusqu’en mai « Le temps du Caravage ». Mais l’accrochage ici s’intitule « L’école du regard » : le bleu clair des cimaises romaines laisse place à un lie de vin bien plus approprié aux clairs-obscurs caravagesques. Dans le Latium comme en Normandie, la même place de choix est réservée à l’œuvre la plus prisée de la collection, le Garçon mordu par un lézard de Caravage : une mise en scène à la hauteur du statut du tableau, mais quelque peu contradictoire avec sa nature, qui exige un regard rapproché et intime.

Le parcours s’articule selon le récit que la Fondation Longhi s’attache à faire vivre grâce à sa collection : il y a un pré-caravagisme (Lorenzo Lotto, Passerotti), un caravagisme (Jusepe Ribera, Valentin de Boulogne) et un post-caravagisme (Giacinto Brandi, Mattia Pretti). À Caen, l’exposition a aussi pour sujet l’inventeur de cette histoire de l’art dont Caravage est l’artiste central : en montrant les dessins de Roberto Longhi mis en regard avec les toiles de la collection, le Musée des beaux-arts justifie la promesse d’une exposition consacrée autant à l’historien de l’art qu’à la peinture caravagesque.

Une approche formaliste

Le parti pris de présenter ces dessins permet d’entrevoir le travail de Roberto Longhi, ses méthodes et sa façon d’appréhender les œuvres. À grands traits, le chercheur-dessinateur restitue les ombres et les lumières qui organisent les toiles, s’attache à retranscrire les dynamiques plastiques qui irriguent les drapés et réduit le tableau en quelques lignes géométriques qui structurent le cheminement du regard. Il ne montre, en revanche, aucun intérêt pour les détails iconographiques qu’il ne prend pas la peine de reproduire : dans son dessin d’après le Garçon mordu par un lézard , le vase fleuri, les quelques fruits et le lézard lui-même sont absents de la feuille. Longhi laisse cet espace en réserve : ce n’est pas le sujet traité qui l’intéresse, mais la manière, la construction de la scène. Proche des artistes futuristes, passionné par la peinture moderne de Gustave Courbet ou Édouard Manet, Longhi pratique une histoire de l’art qui met de côté l’analyse iconologique des images et propose une approche formaliste. Il s’intéresse aussi aux milieux fréquentés par Caravage et à son entourage. Mais c’est avec ses yeux, plus que dans les archives, qu’il va chercher les preuves de filiation avec l’école caravagesque d’Utrecht ou Mattia Preti.

Un accrochage de qualité

Longhi n’aura dessiné qu’une dizaine d’années durant sa carrière et l’on ne sait pas clairement quel usage il réservait à ces prises de notes graphiques dans son travail. À Caen, elles guident le visiteur et l’invitent à chausser les lunettes formalistes avec lesquelles Longhi regardait les œuvres de sa collection. Une approche qui apparaît comme une évidence devant les cinq portraits d’apôtres de José de Ribera, particulièrement bien mis en valeur dans l’accrochage. Sur un mur, les cinq toiles déploient une géométrie parfaite et un jeu de lumière radical, dans une sorte d’exagération formelle des inventions de Caravage.

Un autre chef-d’œuvre trouve une place de choix dans le parcours : le Reniement de saint Pierre par Valentin de Boulogne [voir ill.]. Devant ce sujet religieux traité comme une scène de genre, on sera tenté de dire que le caravagesque a dépassé Caravage. Les trois dés suspendus au-dessus de la table figent le temps, offrant l’une des plus belles manifestations du sentiment d’instantanéité que Caravage a introduit en peinture.

La parenté des œuvres réunies par Roberto Longhi est frappante, malgré la grande amplitude temporelle – soit un siècle, de 1550 à 1660 –, et son invention du caravagisme demeure évidemment opérante 70 ans après l’exposition milanaise. Le centre de gravité de cette histoire pourrait toutefois être nuancé : par exemple, Lorenzo Lotto n’est-il pas l’un des plus grands peintres vénitiens du XVIe siècle, avant d’être un « pré-caravagesque » ?

Dans l’exposition caennaise, la présence des dessins de Longhi permet de présenter la démarche de l’historien de l’art en parallèle du fruit très « expansionniste » de ses recherches que constitue sa collection. S’il a rendu à Caravage la place qui lui est due, le grand apport de Longhi pour l’histoire de l’art réside aussi dans sa démarche formaliste, créant des ponts entre les époques.

L’école du regard. Caravage et les peintres caravagesques dans la collection Roberto Longhi,
jusqu’au 17 octobre, Musée des beaux-arts, Le Château, 14000 Caen.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°570 du 25 juin 2021, avec le titre suivant : Roberto Longhi, une certaine histoire du caravagisme

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