Art contemporain

Qui est Roger Raveel ? Ce qu’il faut savoir sur le peintre belge

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 8 avril 2021 - 1062 mots

« Une atmosphère heureuse, une forme révélatrice, l’élément ludique, l’humour et la couleur », c’est ainsi que le poète Roland Jooris décrit la peinture de Roger Raveel, dont la Belgique fête le centenaire de la naissance.

« Mondialement célèbre »… en Flandre

Roger Raveel naît le 15 juillet 1921 à Machelen-sur-Lys, un village situé près de Gand, dans les Flandres, où il vivra toute sa vie. Raveel entre à l’Académie municipale de Deinze dans les années 1930, puis, durant l’Occupation, à l’Académie royale des beaux-arts de Gand. S’il passe quelques semaines en Italie au début des années 1960, le peintre retourne vite sur son territoire, auquel il reste attaché. Résultat, Roger Raveel jouira d’un paradoxe répandu dans le monde de l’art : mondialement célèbre en Flandre, « son rayonnement hors de nos frontières se fait [toutefois] toujours attendre », remarque le ministre-président flamand Jan Jambon. Que l’artiste ait représenté la Belgique à la Biennale de Venise de 1968, puis exposé à la Biennale de São Paulo en 1971 ne le rend pas plus célèbre à l’international. De fait, non seulement Raveel n’a pas quitté sa région natale, mais il a fait de son environnement le sujet de sa peinture : la campagne flamande, son jardin, sa cuisine, sa femme Zulma, son père et… lui-même, l’artiste ayant réalisé un nombre important d’autoportraits qui traduisent l’évolution de son style. Décédé en 2013, Roger Raveel aurait eu 100 ans en 2021, l’occasion pour Bozar, à Bruxelles, de lui consacrer une nouvelle rétrospective, la troisième après celles de 1966 et 1983, présentant pas moins de cent cinquante peintures et dessins. Et de faire connaître son travail, une bonne fois pour toutes !

Figuration et abstraction imbriquées

Dans les années 1950, Roger Raveel peint des tableaux proches de la veine expressionniste abstraite américaine et de l’action painting. Les couleurs sont vives et la touche spontanée. Si l’on peut encore deviner des références à la nature (ici le bleu du ciel, là le vert du jardin), l’ensemble appartient bien à la catégorie abstraction. Mais, tandis qu’une nouvelle école flamande semble se tourner vers le groupe Zéro, Raveel, lui, décide de renouer avec la figuration dès le début des années 1960. À cette époque, il fait la connaissance du groupe CoBrA, notamment de Karel Appel et de Corneille dont il est proche, et découvre le travail de Rauschenberg. Pour autant, il n’écarte pas totalement le vocabulaire abstrait de ses tableaux figuratifs, qui l’aide à structurer ses compositions. Le carré blanc placé en haut à gauche de Présence verte dans un espace bleu se retrouvera ainsi dans nombre de tableaux ultérieurs : dans le visage de L’Homme au fil de fer au jardin (1952-1953), par exemple, ou dans Magie de mars (1962). Si Raveel a déjà évoqué Mondrian, il ne parle en revanche jamais de Malevitch. Pourtant, comment ne pas penser au suprématiste russe qui voulait, comme lui, réconcilier l’art et la vie ?


Combines de peintres

De retour d’Italie, Raveel découvre le travail de Rauschenberg lors de sa visite de la Kunsthalle de Berne, en 1962. L’œuvre lui fait forte impression. Comme lui, il décide donc d’intégrer de véritables objets dans ses tableaux : une cage à oiseaux, une roue de vélo, des miroirs ou, comme ici, une fenêtre et son encadrement. Réalisée immédiatement après la découverte des Combine paintings, en 1962, La Fenêtre s’ouvre sur un tableau abstrait de l’artiste. Raveel joue ainsi avec la définition qu’Alberti faisait de la peinture à la Renaissance – une fenêtre ouverte sur le monde – en la renversant. Dans cette œuvre, c’est en effet le monde qui devient une fenêtre ouverte sur la peinture. Si l’artiste parvient habilement à faire déborder l’art dans la réalité et, ainsi, à rapprocher le spectateur de l’œuvre, il ne faut pas non plus écarter totalement la dimension humoristique d’une telle combinaison.


L’ours et le Bibendum

Une œuvre de Roger Raveel se reconnaît immédiatement par son style, par ses couleurs, comme par son vocabulaire formel décliné à l’envi, à l’instar des visages couverts de carrés colorés ou des personnages Bibendum – qui rappellent, sans s’y référer, celui de Michelin. D’où vient ce dernier motif ? L’hypothèse la plus sérieuse serait que Raveel aurait trouvé une solution formelle à un problème plastique : rendre par les lignes le modelé d’un corps. Cette solution a pu lui être suggérée par l’ours en peluche de son enfance qu’il a dessiné en 1952.


La charrette

En 1990, Raveel commémore le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en conduisant une armoire peinte montée sur roues dans le centre-ville de Bruxelles. À l’avant de l’armoire, un miroir reflète les passants. Le motif du chariot est récurrent dans l’œuvre du peintre. En 1981, il peint son Autoportrait avec charrette, tableau très réaliste qu’il combine avec une vraie roue de bicyclette – référence à Duchamp ? Ce chariot apparaît d’abord comme un élément prosaïque de son jardin, en 1952 dans Homme jaune avec charrette. En 1968, il devient un élément autonome, mobile et performatif, puisque Raveel construit une véritable charrette pour « transporter » le ciel.


Rapprocher l’art et la vie

En 1966, Raveel décore les caves du château de Beervelde, près de Gand, propriété privée reconstruite après-guerre sur les fondations d’un ancien château. Avec Lucassen, Elias et De Keyser, avec lesquels il fonde la Nouvelle Vision, Raveel transforme le couloir central du sous-sol en une peinture tridimensionnelle dans laquelle le visiteur pénètre littéralement. Cette réalisation sera suivie, dix ans plus tard, d’une nouvelle commande pour une œuvre monumentale : une peinture pour la station de métro Mérode, à Bruxelles. Intitulée Ensor :Vive la sociale, l’œuvre fait cette fois allusion à L’Entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor, tout en faisant référence à Van Eyck, en reprenant ses figures d’Adam et Ève. Ce ne sont pas les seules fois que l’artiste se mesure au monumental. C’est même une constante. Dans les années 1960, Raveel inclut, par exemple, une cage avec deux canaris dans son grand tableau La Terriblement Belle Vie. En 1984, il peint Un événement dans le vert de mon portail sur le portail de 7 m de sa maison. Pour Raveel, le format monumental permet de mieux faire interagir le spectateur avec l’œuvre, comme dans une performance. C’est d’ailleurs ce qu’il propose avec cette œuvre, Le Cortège de peintures de 1978 de Machelen-sur-Lys, où l’on reconnaît des tableaux de Mondrian et de Raveel : concilier l’art et la vie.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Qui est Roger Raveel ? Ce qu’il faut savoir sur le peintre belge

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