Dessin

Passions privées

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2011 - 739 mots

Le Musée des beaux-arts de Caen ouvre ses portes aux collections privées dans une remarquable exposition de dessins italiens.

CAEN - À l’heure où les plus belles feuilles sortent de leurs écrins au salon du dessin à Paris (lire le JdA no 343, 18 mars 2011), l’exposition « L’œil et la passion », au Musée des beaux-arts de Caen (Calvados), dévoile au public des trésors cachés dans les collections privées françaises. L’idée démangeait depuis longtemps les deux commissaires, Catherine Monbeig Goguel et Nicolas Schwed, de mettre en lumière ce patrimoine privé auquel les musées français ont tendance à tourner le dos. Fruit d’une investigation de longue haleine chez une trentaine d’amateurs de dessins italiens, la sélection présente un ensemble de 70 feuilles pour certaines jamais montrées.

En arrière-plan de ce parcours délicieux, se lit un hommage à la figure du collectionneur qui, porté par l’intuition et la subjectivité du goût, nous fait parvenir des feuilles vieilles de 500 ans dont le charme continue d’agir. Dans le catalogue, Alvar Gonzales-Palacios, historien de l’art, pointe cette complémentarité essentielle entre l’œil du connaisseur et celui du passionné pour le patrimoine d’une société où il soulève la responsabilité du « métier de collectionneur ». De la rencontre des deux mondes ont émergé des découvertes, rapprochements stylistiques et attributions, comme ce paysage sur papier bleu donné au maître vénitien Lorenzo Lotto. Chaque feuille a ainsi bénéficié d’une analyse scientifique rapportée dans le catalogue, qui constitue un inventaire de référence.

Diversité des styles et des techniques
« Prendre comme cadre chronologique le cinquecento en Italie, c’est choisir le domaine d’excellence du dessin ancien », se félicite Catherine Monbeig Goguel. Ainsi le parcours traduit-il la vitalité de l’art de cette époque dans les différents foyers artistiques de la botte, en s’attachant à illustrer la diversité des styles et des techniques, mais aussi la variété des sujets qui compte ici quelques curiosités tel l’ésotérique Médée rajeunissant Éson de Felice Brusasorci. Ni Léonard de Vinci ni de Michel-Ange ne sont présents, mais l’absence des grands noms permettra de s’attarder sur la qualité des dessins dus à leurs suiveurs, Giulio Romano, Giovanni da Udine ou Baldassare Peruzzi, dont les dessins préparatoires évoquent la leçon de Raphaël. Faufilé entre les scènes d’histoire et les figures à l’antique, le Caméléon sur une branche signé Giovanni da Udine devait ainsi rejoindre les fresques des loges du Vatican entreprises par Raphaël avant sa mort.

Il est de ces détails succulents qui retiennent l’œil du collectionneur, comme le grimaçant Géant écrasé par un rocher de Giulio Romano destiné aux fresques du palais du Te à Mantoue, fleuron du maniérisme italien. Non loin, c’est dans une Tête idéale de Francesco Salviati que se pratique le culte du maître. Pour ce profil exécuté à la pierre noire, l’artiste tente d’égaler le style de Michel-Ange avec une application qui annonce l’autonomie du dessin, bientôt acheté par des amateurs pour ce qu’il est : l’expression pure de l’idée créatrice. Il est aussi un témoin inestimable de la manière de travailler des peintres – « un miracle que ces feuilles destinées à la poubelle nous soient parvenues ! », rappelle Catherine Monbeig Goguel. Dans la salle consacrée aux Vénitiens, trois études de Véronèse, à la pierre noire rehaussée de craie blanche sur papier bleu, montrent à ce titre comment les dessins préparatoires du peintre anticipent les effets de matière et de lumière sur le motif.

À mi-parcours, l’exposition fait une escale bucolique pour décrire la naissance d’un genre dans l’Italie du XVIe siècle. Le paysage devient un sujet à part entière sur la feuille. Le dessin laisse s’exprimer une fascination pour la nature indomptée, à l’image de la cascade qui occupe les trois quarts de la Vue de Tivoli de Giovanni Battista Naldini, croquée sur le motif avec une plume vigoureuse. Ou du premier plan du paysage attribué à Lorenzo Lotto, qui repousse au loin l’architecture de la ville et serait une pure invention comme l’est certainement le tronc biscornu dessiné, d’une plume énergique dans un coin d’une feuille, par Fra Bortolomeo. Peu de dessins de paysages de ce dernier se retrouvent dans ses peintures, preuve d’un exercice dédié au plaisir de la main et des yeux.

L’ŒIL ET LA PASSION

Commissariat : Catherine Monbeig Goguel, directrice de recherche au CNRS, département des Arts graphiques du Musée du Louvre ; Nicolas Schwed, historien de l’art ; Patrick Ramade, directeur du Musée des beaux-arts de Caen

Nombre d’œuvres : 70

L’ŒIL ET LA PASSION, DESSINS ITALIENS DE LA RENAISSANCE DANS LES COLLECTIONS PRIVÉE FRANÇAISES

Jusqu’au 20 juin, Musée des beaux-arts de Caen, Le Château, 14000 Caen, tél. 02 31 30 47 70, www.ville-caen.fr/mba, tlj sauf le mardi 9h30-18h. Catalogue, éd. Somogy, 239 p., 29 euros, ISBN 978-2-7572-0436-8

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Passions privées

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