Entre nature recomposée et dispositifs immersifs, l’exposition du Musée des beaux-arts cherche à réenchanter le numérique.

© Adagp Paris 2025
Angers (Maine-et-Loire). Autant l’exposition de Miguel Chevalier au Grand Palais immersif l’an dernier paraissait sépulcrale, autant celle montée par le commissaire Philippe Piguet au Musée des beaux-arts d’Angers actuellement est engageante. L’artiste né en 1959, et très influencé par l’Op art, a très tôt investi l’art numérique au point d’en devenir l’une des figures de proue. Pourtant, l’art numérique peine à s’épanouir. La raison ? Son esthétique lisse, froide, désincarnée parvient difficilement à susciter de l’émotion. Et, à l’heure de la multiplication des écrans, il tend à perdre son originalité, sa singularité. Il a aussi perdu son âme en ne se distinguant pas assez des « vignettes Panini » digitales certifiées par un NFT (les CryptoPunks et autres singes amusants) et des coups marketing type « Everydays: The First 5000 Days » de Beeple.
Fort heureusement, l’exposition met en avant très peu d’écrans, et privilégie des œuvres qui s’apparentent à des tableaux : des fleurs imprimées sur des supports papier, sous verre et constituées en série. Dans d’autres vitrines, les fleurs se déploient en trois dimensions pour prendre la forme d’objets stylisés et blancs. La nature est le thème de cette exposition : une nature digitalisée, reconstruite et pixelisée, recréée dans une version digitale, mais qui sollicite les sens et conserve un lien tangible avec le monde réel.
Et pour mieux s’ancrer dans le réel, la salle d’exposition accueille en son centre une immense bibliothèque à claire-voie où se mêlent fleurs artificielles fabriquées par ordinateur, et surtout, des objets comme on en voit habituellement dans un Museum d’histoire naturelle : herbiers, noix de cocotier évoquant le corps d’une femme… Un véritable cabinet de curiosités (voir ill.), non virtuel, tangible (enfin pas tout à fait) en contraste avec l’univers cyber réfrigérant. Tout se passe comme si l’artiste et le commissaire se sont efforcés de s’éloigner de l’art numérique pour le diluer dans un environnement concret plus proche des codes traditionnels des beaux-arts.

© Adagp Paris 2025
Pour autant, et il aurait sans doute fallu commencer par cela, tant cela frappe immédiatement, ces tableaux, ces digigraphies en 3D, ce cabinet de curiosités sont noyés dans trois installations immersives qui plongent l’unique salle d’exposition dans une pénombre rendant difficile la contemplation des œuvres.
Né de l’art numérique, l’immersif s’est émancipé pour devenir une forme d’art à part entière au croisement du ludique, du participatif et de l’image. Dès l’entrée, le visiteur est immédiatement happé par un sol recouvert de motifs floraux qui réagissent aux mouvements. Les enfants, subjugués, insufflent par leurs jeux et leurs exclamations une énergie qui génère une ambiance inhabituelle, rompant avec la solennité d’un musée de beaux-arts.
La troisième installation élève le regard vers un immense écran incurvé où sont projetées des formes végétales colorées, inventées, qui se meuvent dans un jardin virtuel en constante évolution. Allongé sur des coussins, le visiteur se laisse bercer par ces images, produites par un logiciel d’intelligence artificielle, piloté par une série d’instructions. Mais très vite, une question surgit : « Tout ça pour ça ? » L’installation amuse, délasse, séduit… mais quel sens cela a-t-il ? Quelques mois à peine après l’envahissement des IA génératives type MidJourney, l’œil commence déjà à se lasser de ces formes lisses et de ces effets spectaculaires. « Meta-Nature IA », le nom de cette installation, pourrait bien marquer l’acmé de l’IA immersif purement graphique… avant un reflux.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Miguel Chevalier à Angers, un numérique dénaturé





