Suisse - Art moderne

XIXE -XXE SIÈCLES / VISITE GUIDÉE

Medardo Rosso face à ses pairs

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2025 - 636 mots

À Bâle, l’artiste dialogue avec un siècle de création moderne, révélant l’étonnante actualité de son art.

Bâle (Suisse). Sous un titre un peu usé « Medardo Rosso, l’invention de la sculpture moderne » – il faudrait un jour recenser tous les artistes qui ont « inventé » la modernité –, se cache une exposition remarquable. Les commissaires, Elena Filipovic et Heike Eipeldauer, conservatrices au Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig à Vienne, ont non seulement rassemblé une part significative de l’œuvre sculptée et photographique de Rosso (1858-1928), mais ont également réussi à orchestrer un dialogue convaincant avec une soixantaine d’artistes des cent dernières années.

Exercice périlleux, car une telle diversité pourrait facilement devenir visuellement confuse, d’autant que les œuvres, de natures matérielles diverses, renvoient à des lieux et à des époques différentes. Ici, toutefois, grâce à une sélection rigoureuse des travaux et à une disposition réfléchie, le montage se révèle remarquablement construit. Parmi les créateurs réunis au musée – sculpteurs et peintres –, certains sont des figures majeures de l’avant-garde, tels que Constantin Brâncusi, Louise Bourgeois ou Jean Dubuffet. Mais le choix des artistes repose avant tout sur leur proximité, visuelle ou conceptuelle, avec Rosso.

Le recours à la photographie

Le parcours débute par une salle où les sculptures sont présentées selon une mise en scène privilégiée par l’artiste, posées sur des supports évoquant des tabourets de dimensions variables et protégées par des vitrines de verre. L’ensemble est accompagné de photographies réalisées par Rosso lui-même – qui, à ses débuts, fut également photographe. Pour lui, comme pour Brâncusi, ces clichés permettent d’étudier les effets de la lumière sur les surfaces des œuvres, souvent modelées dans la cire. L’importance accordée aux reflets sur une matière presque translucide explique pourquoi l’œuvre de Rosso est fréquemment qualifiée d’impressionniste.

Les différentes sections de l’exposition analysent ensuite les principes fondamentaux de la pratique sculpturale de Rosso. Ainsi, l’Anti-monumental remet en question la statue classique, isolée dans l’espace et figée dans sa verticalité, visant l’intemporalité. Dans Bookmaker (1894), la figure émerge d’une masse informe et renonce au piédestal, caractéristique de la sculpture traditionnelle. Un autre aspect notable est l’inclinaison marquée du personnage, qui permet d’intégrer l’œuvre à l’espace environnant. Cette dynamique évoque autant Formes uniques de continuité dans l’espace d’Umberto Boccioni (1913), que Le Cheval (1914) de Raymond Duchamp-Villon ou encore Prop de Richard Serra (1969), un tuyau de métal incliné contre un mur.

Introduction de la narration

Chez Rosso, les modèles sont généralement des individus ordinaires, ces « héros de la vie moderne » chers à Baudelaire, que l’artiste côtoyait au quotidien. Une approche déjà courante à la fin du XIXe siècle chez les peintres et écrivains, mais encore rare dans la sculpture. L’une des particularités de Rosso réside dans l’introduction de la narration à travers des groupes sculpturaux, comme Impression d’omnibus (vers 1889) – préfigurant Intérieur d’un omnibus de Honoré Daumier (1864) – ou encore La Conversation (1889).

Dans la section « Répétition et variation », Rosso applique le principe de la sérialité, illustré notamment par L’Enfant juif (1893). Sculptures ou photographies : il en propose différentes versions en cire, bronze et plâtre. Chaque version diffère subtilement de la précédente, bien qu’elles procèdent toutes d’une même impression initiale. Ce procédé sera partagé par d’innombrables créateurs de la modernité à commencer par Monet. Andy Warhol ou Sherrie Levine en pousseront l’exploration à son paroxysme.

Enfin, la qualité principale de Rosso réside dans sa capacité à dissoudre la matière, la rendant malléable, fluide, frôlant parfois l’informe. Il parvient ainsi à introduire une sensation de palpable dans la dureté inerte de la sculpture. Né à Turin en 1858, installé à Paris entre 1899 et 1920, Rosso sera admiré par Rodin et Apollinaire. Mais de retour en Italie, son œuvre sera éclipsée par le Futurisme. Peu présent dans les livres d’histoire de l’art, rarement exposé en France… bref, le voyage à Bâle s’impose.

Medardo Rosso, l’invention de la sculpture moderne,
jusqu’au 10 août, Kunst Museum Bâle. Suisse.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Medardo Rosso face à ses pairs

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