PARIS
Peintre inclassable, Luce échappe à toute tentative de synthèse cohérente, comme le montre cette rétrospective hésitante.

Paris. Maximilien Luce (1858-1941) était-il un paysagiste ? De son vivant, la question divisait les critiques, et son biographe, Adolphe Tabarant, refusait de trancher. Bâtir une rétrospective d’une centaine d’œuvres en la titrant « Maximilien Luce. L’instinct du paysage » incite à se poser de nouveau la question. En 2010, le Musée des impressionnismes de Giverny avait titré sa rétrospective « Maximilien Luce, néo-impressionniste », ce qui n’engageait à rien sur la question du genre pratiqué par l’artiste mais frôlait la désinformation concernant l’école à laquelle on peut le rattacher. C’est tout le problème avec Luce : il est bien difficile de le définir.
On sait qu’il a découvert le néo-impressionnisme chez Georges Seurat et l’a appliqué à sa manière, abandonnant les règles rigoureuses du départ pour composer allègrement des feux d’artifice de couleur à l’aide de coups de brosse de toutes les formes. Réalisée selon ce principe, la jolie petite huile sur carton Bords de Seine (s.d.) semble couverte de confettis. Mais ce divisionnisme doux fait merveille dans ce beau tableau humaniste qu’est La Toilette (1887). Dans ses paysages, le peintre multipliait les expériences, particulièrement pour rendre la lumière du matin ou du soir, sa préférée. D’où il résulte que La Cathédrale de Gisors (rue du Fossé aux Tanneurs) (1898) est une symphonie en lilas. Ses amis, Camille Pissarro et Charles Angrand, ont fini par lui faire remarquer qu’il utilisait tout de même beaucoup le violet… Pourtant, quelle réussite quand ce violet vient rendre encore plus irréelle la nuit où brillent les hauts-fourneaux d’Usines près de Charleroi (1897) !

Souvent, le paysage de Luce est habité, au point que les critiques ont envisagé de le classer dans les peintres de figures. Mais, ici aussi, il cherche, emprunte et souvent ne trouve pas la bonne formule. Baigneuses à Saint-Tropez (1897) est une transposition un peu étrange d’Au temps d’harmonie (1895) de Paul Signac. À la fin de sa vie, Méricourt, la plage (1930) dérive encore sans génie du tableau fondateur de Seurat, Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte (1886). Il est pourtant un thème où le peintre n’a aucun mal à inscrire ses figures dans un paysage : le travail. Les Batteurs de pieux (1903) est un véritable paysage historique tout comme Fonderie à Charleroi (1896) est un tableau d’histoire.
Luce est définitivement un peintre insaisissable. Il n’est pas de ces artistes creusant un sillon vers la perfection dont il est facile de montrer la trajectoire. Présenter une rétrospective chrono-thématique de ses œuvres, c’est exposer de très bons tableaux et d’autres beaucoup moins intéressants, picorer dans les multiples genres qu’il a abordés : les scènes d’intérieur et les portraits, l’illustration, l’estampe, le dessin, la céramique. C’est aussi donner trop de place à ses vingt dernières années, lutte obscure contre le fauvisme et les avant-gardes. Avec lui, qui trop embrasse mal étreint.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Maximilien Luce, un défi pour les commissaires d’exposition