Architecture

Matthias Grünewald, l’autre génie du XVIe siècle

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2008 - 685 mots

À travers deux expositions consacrées à Matthias Grünewald, Karlsruhe et Colmar proposent un panorama des grands maîtres de la peinture allemande de cette époque.

KARLSRUHE (Allemagne), COLMAR (Haut-Rhin) - Rares sont les œuvres de Mathis Neithart Gothart, alias Matthias Grünewald (1475/1480-1528), à être parvenues jusqu’à nous. Sur la soixantaine de panneaux et dessins recensés dans les musées internationaux, l’exposition « Grünewald et son temps », organisée à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe, en présente dix-sept. Une poignée de chefs-d’œuvre pour démontrer les audaces de l’artiste, mais aussi celles de ses contemporains, et non des moindres : Albrecht Dürer, Hans Holbein le Jeune, Lucas Cranach l’Ancien ou Hans Baldung dit Grien. Crucifixions, Descentes de croix, Mises au tombeau... Les œuvres, religieuses pour la plupart, s’articulent autour de deux sujets a priori difficilement compatibles : la technique de la grisaille, pour la forme ; l’illustration de la Passion, pour le fond. Le parcours de l’exposition s’appuie sur des pièces d’exception tels les quatre panneaux du retable Heller, pour lequel Albrecht Dürer avait exécuté la partie centrale. Réunis pour la première fois depuis le XVIIIe siècle, ces panneaux témoignent de la vogue du monochrome à l’époque. Ils attestent surtout du penchant de Grünewald pour l’humanisation des figures à une période où la représentation picturale figeait les traits de ses sujets. Chacun dans son alcôve, les quatre saints statufiés s’animent sous le pinceau du peintre : le regard est expressif, le geste est appuyé, le drapé a gagné en fluidité, les chevelures volent au vent…

Les crucifixions qui accompagnent cette pièce majeure empruntent la même voie. Dans le magistral retable de Tauberbischofsheim (Allemagne), présenté au centre de la salle comme il l’était dans la nef de l’église du même nom, Grünewald inscrit le Christ sur sa croix dans un décor assombri, presque lugubre, lorsque ses prédécesseurs tapissent le ciel de nuages bleutés, de dorures ou d’anges. Le sentiment de détresse est exprimé dans les visages de la Vierge et de saint Jean, mais aussi dans la chair du Christ, bleutée et maculée de lésions infligées par le fouet de branches d’épines. Et ses mains, paumes vers le ciel, doigts crispés, semblent « crier », comme le souligne Jessica Mack-Andrick, l’une des commissaires. Au revers, le Christ effondré sous le poids de la croix est le centre de gravité d’une composition tournoyante à couper le souffle.

Genèse du retable
Le chef-d’œuvre de Grünewald, le retable des Antonins d’Issenheim, est, pour des raisons évidentes, resté au Musée d’Unterlinden à Colmar, lequel profite de la manifestation allemande pour apporter sa pierre à l’édifice. « Regards sur un chef-d’œuvre » se penche sur la genèse du retable, en lorgnant sur des dessins préparatoires et contemporains, mais aussi sur les sculptures de Nicolas de Haguenau. Si cette exposition est l’occasion pour les commissaires de proposer de nouvelles thèses scientifiques, le visiteur pourra se laisser envoûter par le somptueux velouté d’un drapé signé Léonard de Vinci, et contempler le Saint Jean endormi sculpté en tilleul et attribué à Martin Hoffman ou à son atelier. Devant le retable d’Issenheim, mais également pendant la visite à Karlsruhe, les écrits de Joris Karl Huysmans résonnent : « L’on conçoit aisément que le nom de Grünewald ne se rencontre pas, comme ceux de Holbein, de Cranach, de Dürer, sur les listes des commandes et les comptes des empereurs et des princes. Son Christ des pestiférés eût choqué le goût des cours ; il ne pouvait être compris que par les infirmes, les désespérés et les moins, par les membres souffrants du Christ. »

GRÜNEWALD ET SON TEMPS - Jusqu’au 2 mars, Staatliche Kunsthalle, Hans-Thoma-Strasse 2-6D, Karsl-ruhe, tél. 49 721 926 3575, tlj sauf lundi 10h-18h, 10h-21h le jeudi, fermé les 24 et 31 décembre, www.kunst halle-karlsruhe.de, www.matthias-gruenewald.com. Catalogue édité seulement en allemand, Kunstverlag München, 438 p., 35 euros, ISBN 978-3-422-06762-2.

GRÜNEWALD ET LE RETABLE D’ISSENHEIM - Jusqu’au 2 mars, Musée d’Unterlinden, 1, rue d’Unterlinden, 68000 Colmar, tél. 03 89 20 15 51, tlj 9h-18h, fermé le 25 décembre et le 1er janvier, www.musee-unterlinden.com. Catalogue édité en français et en allemand, éd. Somogy, 212 p., 243 ill., 32 euros, ISBN 978-2757-2010-46

GRÜNEWALD ET SON TEMPS

- Commissaires : Dietmar Lüdke, conservateur en chef pour les maîtres anciens ; Jessica Mack-Andrick et Astrid Reuter, chargées de mission à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe
- Nombre d’œuvres : 161 (peintures, dessins, gravures…) réparties dans une dizaine de salles
- Visite : une navette entre Karlsruhe et Colmar sera mise à disposition les samedis et certains dimanches de janvier à mars

GRÜNEWALD ET LE RETABLE D’ISSENHEIM

- Commissaires : Pantxika Béguerie-De Paepe, conservateur en chef du musée ; Philippe Lorentz, professeur d’histoire de l’art médiéval, université Marc-Bloch, Strasbourg
- Nombre d’œuvres : une cinquantaine

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°272 du 4 janvier 2008, avec le titre suivant : Matthias Grünewald, l’autre génie du XVIe siècle

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