L’univers frémissant de Philippe Cognée

Sète (Hérault). À peine deux ans après une année faste, 2023, marquée par trois expositions simultanées à l’Orangerie, au Musée Bourdelle et au Musée de Tessé au Mans, on retrouve Philippe Cognée (né en 1957) sous d’autres cieux, à Sète. Plus encore qu’ailleurs, la quasi-rétrospective présentée au Musée Paul Valéry donne l’impression d’un artiste en perpétuel mouvement. Qu’il s’agisse de la technique ou du choix des thèmes, son œuvre semble animée d’un élan constant. Un artiste éclectique ? Peut-être. Mais surtout, sans doute, un esprit guidé par une curiosité insatiable. Faut-il chercher l’origine de ce nomadisme pictural dans une enfance passée en Afrique, au Bénin ?

Quoi qu’il en soit, la volonté des organisateurs – Stéphane Tarroux, directeur du Musée Paul-Valéry, et Olivier Weil, commissaire scientifique – est d’offrir un aperçu de chacun des thèmes explorés par Cognée. Défilent ainsi autoportraits et portraits, vanités et fleurs, carcasses et tours, et même, à ses débuts, labyrinthes et scènes mythologiques – le tout traité tantôt à l’encaustique sur papier ou sur toile, tantôt à la gouache mêlée d’acrylique. Quelques sculptures-assemblages viennent compléter la présentation.

La première salle propose une sorte de plongée archéologique dans l’œuvre avec Minotaure (1982) ou Labyrinthe (1982), des travaux étranges, à l’écart du reste de la production picturale. Depuis les années 1990, toutefois, c’est le « réel de proximité » dans toute sa banalité qui s’impose : La famille en vacances, avec Sandrine et Philippe sur la plage à l’Albufera (1995, [voir ill.]). Selon l’artiste lui-même, l’imaginaire ne le satisfait plus : il cherche désormais à ramener dans le champ pictural tout ce qui l’entoure. En parasitant une imagerie qui réactive l’inconscient collectif, il fait jouer subtilement ironie et nostalgie, touche directement aux sensations les plus intimes et les plus universelles.

Pour autant, Cognée ne choisit ni le réalisme ni, a fortiori, l’hyperréalisme. Si ses sujets s’inspirent souvent de photographies qu’il réalise lui-même, le résultat est « filtré » par un processus complexe. L’image est transposée à l’aide de l’encaustique, une technique picturale fondée sur des pigments colorés mêlés à de la cire d’abeille. Appliquée sur un support que l’artiste recouvre d’un film plastique, cette matière est ensuite chauffée et écrasée au fer à repasser. Liquéfiées, absorbées par la matière, les formes se dilatent et se brouillent.

C’est dans l’architecture que la transformation se révèle avec le plus d’évidence. Les structures géométriques y perdent leur rigidité, deviennent incertaines, vacillantes. Ces images floutées, réunies sous le beau titre de « Structures éprouvées », composent un paysage urbain partiellement englouti dans le brouillard. Cognée aurait-il un pouvoir prophétique ? L’un de ces tableaux représente le Centre Pompidou, semblant déjà désossé, comme saisi en plein chantier de rénovation (Beaubourg, 2014). Face à ce monde minéral, déserté par les êtres humains, la nature s’exprime par la présence de fleurs. Démesurées, occupant le premier plan, elles dégagent une sensualité presque inquiétante. Des plantes carnivores ?

Ailleurs, ce sont des peintures de carcasses dans un abattoir ou de crânes qui viennent compléter la dimension organique de l’œuvre. En somme, malgré la toile récente présentée en fin de parcours – La lune se lève sur la mer calme (2025) –, l’univers de Cognée demeure rarement apaisé. Ses autoportraits tourmentés ne démentent en rien cette impression.