Art ancien

Bruxelles

L’impressionnisme version belge

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2014 - 675 mots

GIVERNY

Le Musée des impressionnismes Giverny s’associe avec le Musée d’Ixelles pour une plongée au cœur de l’art bruxellois de la dernière partie du XIXe siècle.

GIVERNY - « Il n’est guère aisé de définir l’impressionnisme, d’en tracer les limites et d’en particulariser les expressions », écrivait Octave Maus en… 1904. L’avocat bruxellois, critique d’art et fondateur de la revue L’Art moderne, organisait alors une vaste rétrospective consacrée à l’impressionnisme. L’événement sonnait comme le bilan d’une vingtaine d’années de promotion de ses peintres lors des salons « des XX » puis « de la Libre Esthétique » pour lesquels son rôle fut essentiel.

Face à ce gros nuage de barbe à papa que demeure à ce jour l’impressionnisme dans l’esprit du grand public, l’analyse de Maus n’a jamais été aussi pertinente. Elle pourrait même servir de profession de foi au Musée des impressionnismes de Giverny (Eure), qui braque les projecteurs sur les différents avatars nationaux et internationaux de la mouvance impressionniste, cette « fantaisie d’un chroniqueur » qui n’est pas un mouvement, encore moins une école. Depuis le début de l’été, le musée normand s’aventure dans le plat pays avec pour guide le Musée d’Ixelles à Bruxelles (1), principal prêteur de l’exposition « Bruxelles, une capitale impressionniste » et s’interroge : existe-t-il un impressionnisme belge ?

Bruxelles fut, dès 1886, une terre d’accueil pour les artistes français déjà reconnus tels Monet, Renoir ou Sisley, qui sont invités par Octave Maus à participer aux éditions succesives du salon des XX. Mais, les commissaires le précisent, la graine impressionniste plantée dans le terreau belge n’est qu’un élément parmi d’autres dans la libération de la jeune peinture bruxelloise en proie à l’académisme. Les paysages bruts et généreux des années 1870 qui inaugurent le parcours, parmi lesquels un étonnant Dunes à Ostende (1877) de James Ensor, regardent directement vers Courbet. Le réalisme du Franc-Comtois avait réveillé les consciences – la représentation de la vie quotidienne coule dans les veines des écoles nord-européennes depuis plusieurs siècles. En Belgique, la rupture avec la tradition n’est donc pas aussi nette qu’ailleurs et elle se singularise par son hétérogénéité – cohérence dans la démarche et multiplicité des voies, soulignent les commissaires.

Cinéma-vérité
Les peintres se sont emparés des ingrédients de l’impressionnisme (lumière naturelle, touche libre, nature et personnages sans fard…) pour les agrémenter à la sauce belge, privilégiant les empâtements et le réalisme du paysage et laissant de côté la « cérébralité » française. L’exposition préfère ainsi parler de « peintres de la vie moderne », pour lesquels la nature tient une place de choix. L’impressionnisme belge se révélant une notion trop trouble pour être précisément circonscrite, l’exposition a ouvert ses portes à cette fameuse diversité de ruptures avec la tradition. Car la radiographie de la création à Bruxelles à cette époque serait faussée si l’on ne prenait en compte le néo-impressionnisme personnifié par Théo Van Rysselberghe, le symbolisme porté par Ensor et le naturalisme inspiré par Jules Bastien-Lepage, sans oublier l’expressionnisme ou l’art social.

En tant que chef de file du luminisme, émanation cent pour cent belge et alliance subtile entre la luminosité de l’impressionnisme, le divisionnisme et le réalisme, Émile Claus tient une place à part. Le Pique-nique (1887), chef-d’œuvre exceptionnellement décroché du bureau de la reine Mathilde, joue  sur les contrastes : dans les herbes hautes, un groupe de paysans aveuglés par le soleil observe de l’autre côté de la rive une famille bourgeoise venue pique-niquer à l’ombre de grands arbres sur une pelouse immaculée. Au clivage social, Claus fait correspondre la dualité des techniques : naturaliste et brillante pour les paysans, synthétique (pour ne pas dire Nabi) et sourde pour les bourgeois. Si le sens du cadrage, de la narration et de la spontanéité de Claus est redevable à son utilisation fréquente d’un appareil photographique, la préfiguration du cinéma-vérité est ici saisissante.

Note

(1) L’audacieuse collection d’Octave Maus forme le noyau dur du fonds du musée bruxellois.

Bruxelles

Commissaire générale : Marina Ferretti, directrice scientifique du musée des impressionnismes, Giverny

Commissaire scientifique : Claire Leblanc, conservatrice du Musée d’Ixelles, Bruxelles

Bruxelles, une capitale impressionniste

Jusqu’au 2 novembre, Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny, tél. 02 32 51 94 65, www.mdig.fr, tlj 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée/Éditions Snoeck (Heule, Belgique), 160 p., 29 €.

Légende Photo :
Émile Claus, Le Pique-nique, vers 1887, huile sur toile, 129 x 198 cm, collection royale, Bruxelles. © Bruxelles, IRPA-KIK.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°419 du 19 septembre 2014, avec le titre suivant : L’impressionnisme version belge

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