Art moderne

L’hymne à la vie de Landowski

Par Maldonado Guitemie · L'ŒIL

Le 1 décembre 1999 - 1390 mots

Le 7 décembre s’ouvre à Paris au Petit Palais une exposition consacrée au Temple de l’homme de Paul Landowski (1875-1961), directeur de l’École des Beaux-Arts qui fit le voyage controversé en Allemagne durant l’Occupation. Ce vaste monument, qui synthétisait les différentes conceptions mythologiques et religieuses de l’humanité, l’obséda toute sa vie mais resta inachevé.

Du sculpteur Paul Landowski, partisan d’un classicisme revisité, on connaît – et c’est peu lui faire honneur – les réalisations monumentales liées à la commande publique : le tombeau du Maréchal Foch aux Invalides, les fontaines de la Porte de Saint-Cloud, la statue de Sainte Geneviève sur le Pont de la Tournelle, le groupe du Retour Éternel au Colombarium du Père Lachaise, le Christ du Corcovado à Rio au sommet du Pain de sucre. Ironie cruelle pour un sculpteur qui n’aimait pas les monuments, et pour un combattant de la Grande Guerre qui rêvait de célébrer l’humanité et la vie et devait élever des monuments aux morts. L’exposition organisée, sous le commissariat de Dominique Boudou et dans une mise en scène de Bob Wilson, à partir des donations de la famille de l’artiste et d’importants prêts du Musée-jardin Paul Landowski de Boulogne-Billancourt, se propose de lever le voile sur ce qui fut la réflexion souterraine de toute son existence, et ce à partir de 1902 où, pensionnaire de la Villa Médicis à Rome, il décide de « suivre l’histoire de l’idée libre à travers les siècles ». Cette entreprise prend bientôt la forme d’un Temple de l’Homme, laïc et syncrétique, jamais réalisé, mais qui n’a cessé de l’habiter.

Une longue suite d’espoirs et d’échecs
C’est en 1925, pour l’Exposition internationale des Arts décoratifs de Paris, qu’il en présente la version la plus complète : le Temple à la Pensée et à l’Effort humain. Puis s’égrène une longue suite d’espoirs et d’échecs qui laisseront le Temple à l’état d’ébauche. Seuls quelques groupes, isolés de l’ensemble, verront véritablement le jour : Les Fils de Caïn, la représentation des trois âges de l’humanité qui devait occuper le parvis du Temple, se trouve aujourd’hui dans le jardin des Tuileries ; les portes du Temple, Porte de l’Âge pour l’entrée et Porte de Psyché pour la sortie, dans la ligne de celles de Ghiberti pour le baptistère de Florence et de la Porte de l’Enfer de Rodin, ont inspiré celles de la Nouvelle Faculté de Médecine de Paris, rue des Saints-Pères. Autant que l’histoire du Temple, l’exposition retrace le cheminement créateur de Paul Landowski et en documente les différentes étapes : les dessins qui prolongent l’écriture – et parfois cohabitent avec elle, dans certains croquis pour les murs – oscillant entre la précision des études architectoniques générales et la vigueur du trait dans les esquisses de figures isolées, énergie mise au service de corps tour à tour souffrants ou triomphants ; les plâtres, l’expressivité du modelé et les forts contrastes d’ombre et de lumière qu’ils engendrent ; les bronzes enfin qui figent l’effusion de la pensée. Au cours de ce processus, les statues émergent de frises en relief, les figures principales s’extraient du groupe comme pour signifier cette espérance universelle : « D’âge en âge, porteurs de la flamme éternelle, les héros se lèvent. Ils apportent aux hommes la vérité. » La matière et l’idée prennent forme dans le même mouvement, indissolublement liées dans la genèse de l’œuvre.

Un dialogue entre la terre et le ciel
Projet utopique dans la lignée du Panthéon de Paris imaginé par Paul Chenavard après la Révolution de 1848, le Temple et ses modifications successives sont la cristallisation de la pensée de Paul Landowski. Une pensée encyclopédique nourrie de la lecture des philosophes Platon, Hegel et surtout Auguste Comte dont il retient la religion de l’humanité, avec à sa suite Émile Durkheim et l’idée d’immanence du sacré. Une pensée humaniste inspirée de la fréquentation des écrivains de toutes les époques, William Shakespeare, Victor Hugo, Romain Rolland et son intérêt pour les religions orientales, Ernest Renan et sa défense de la laïcité, et surtout Jules Michelet qui, dans la Bible de l’Humanité, établit un dialogue entre la terre et le ciel, les morts héroïsés survivant dans l’âme collective des vivants. À toutes ces sources, Paul Landowski puise une conviction : « Je suis un matérialiste idéaliste… Toutes les religions sont-elles autre chose que l’appel désespéré des hommes à la perpétuité de la vie ? » Et telle est la pensée qui anime le Temple, son plan carré centré sous coupole et par lequel communiquent la terre et le ciel. À l’intérieur, c’est le poème de l’humanité qui se déploie sur les quatre murs du Temple : le mur du Christ en face du mur de Prométhée, le mur des Hymnes face à celui des Légendes, bientôt remplacé par le mur du Héros, l’aboutissement du parcours ; chacun présente une frise en relief relatant les errances et les drames de la vie humaine, la lutte de l’homme contre lui-même, contre le chaos. Au centre, en ronde-bosse, se détache le personnage héroïque qui concentre l’espoir et le sens : le Christ, figure de la douceur et de la résignation, rédempteur, nouvel Adam et nouvel homme que le sculpteur a plus tard pensé remplacer par Orphée, le souffle créateur brisé dans son élan ; Prométhée, le voleur de feu, la pensée enchaînée, le grand sacrifié ; le Cantique des Cantiques, « un petit feu brûlant, très petit, au milieu d’un grand nu » ; le Héros, enfin, l’homme en marche, responsable de sa destinée et armé de sa seule âme.

Krishna, Héraclès, Siegfried ou Prométhée
Cette dernière figure, universelle car dépouillée de toute référence mais les concentrant toutes, est diffractée sur les murs, sous différents noms et différents visages, flamme courant d’âge en âge sans jamais mourir : « Il est l’âme éternelle héroïque. Il s’appelle Krishna, Héraclès, Siegfried, Prométhée. Cloué sur le rocher, Prométhée a crié aux Hommes :  “J’ai eu pitié“. Il a crié à Jupiter vainqueur : ”Je n’ai pas peur’‘. Il s’appelle Jésus. Cloué sur la croix, Jésus a crié aux Hommes : “Aimez-vous“. Il a dit aux autres “Je vous pardonne“. Ils ont apporté aux Hommes la volonté, l’amour et l’espoir. Adorons ceux qui ont ramassé de leurs mains mourantes le flambeau sacré. La flamme éternelle luit toujours sur la Terre. Conservons-la. » Dans cette recherche de l’œuvre totale, Paul Landowski écrit ainsi une légende de l’humanité, « la plus belle légende des siècles », aux accents hugoliens : depuis Caïn, la première victime de la folie humaine, le premier homme victime de lui-même, au Héros, figure de l’homme sauveur de lui-même. Si transcendance il y a, elle se trouve en l’homme et dans la nature : « Ce panthéon dont je rêve est un hymne à la nature, dont le peuple fait partie, un poème sculpté, un monument de la religion nouvelle. Religion de la vie vécue, de la vie sur terre, de la vie combattue, gagnée, de la vie voulue, telle quelle, jusqu’au bout, de la vie n’existant que par elle et pour elle. » Jugé en 1945 par le Comité d’épuration pour avoir fait, en tant que directeur de l’École des Beaux-Arts, le voyage en Allemagne dans le but de faire libérer des artistes prisonniers, Landowski avoue : « J’ai l’impression d’avoir manqué à tous ceux-là qui sont sur mes murs. Avant toute grande décision, avant toute entrevue difficile, je n’aurais jamais dû oublier d’aller méditer dans l’atelier du héros. De mes quatre murs, une voix unanime sans doute serait sortie. “N’y va pas“, aurait-elle dit. On te fait des promesses qui ne seront pas tenues. » Le parcours de l’exposition, orchestré par la lutte de l’ombre et de la lumière et articulant les dimensions humaine, universelle et cosmique de l’œuvre, propose un itinéraire spirituel et purificateur, à l’écoute de la voix qui s’élève des différentes figures incarnant la pensée du sculpteur : « Je suis ce qui est éternel en l’homme, ce qui malgré tout à travers les pires horreurs existe en toi, ô suppliant, qui que tu sois. Sous toutes ses formes, l’oppression a cherché à me vaincre. Comment l’aurait-elle pu puisque je suis immortellement, éternellement jeune, éternellement renouvelé. »

- PARIS, Petit Palais, 7 décembre-5 mars, cat. Paris-Musées, 304 p., 192 ill., 195 F et BOULOGNE-BILLANCOURT, Musée-jardin Paul Landowski, 11 décembre-5 mars. Pour en savoir plus, voir guide pratique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°512 du 1 décembre 1999, avec le titre suivant : L’hymne à la vie de Landowski

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