Archéologie

A Paris

L’histoire perdue de la culture Maya

Musée du quai Branly

Par Vincent Noce · L'ŒIL

Le 23 août 2011 - 1077 mots

PARIS

L’exposition du Quai Branly est un peu courte et manque de pièces monumentales. Peu importe, elle est exceptionnelle tant par son sujet (les Mayas) que par ses prêts, dont quelques trésors nationaux venus du Guatemala. Retour sur une culture qui fait l’objet de discussions, sinon de divisions.

Des hommes, probablement des héros, sortant de la gueule d’un monstre, des têtes coupées, des cadavres pourrissants, des couteaux de sacrifice, des exemples de mutilation ou d’automutilation particulièrement appuyés… Les Mayas ne faisaient pas qu’extraire le cœur de leurs victimes. Ils leur arrachaient aussi les yeux, qu’ils représentaient avec le nerf oculaire pendouillant. Ils se cassaient le bout des dents pour y incruster des piécettes de jade, qui devaient les rendre assez terrifiants, ou se sectionnaient le sexe avec une certaine vaillance. Le sang coulait beaucoup chez eux.

Tout un bestiaire évoquant leur cosmogonie, avec les personnages centraux du jaguar ou du serpent, figure dans l’exposition qui se tient jusqu’en octobre au Musée du quai Branly. Si elle manque de pièces monumentales ou de stèles épigraphiques, qui n’auraient pu de toute manière se positionner sur cette estrade incommode, elle forme un très bel échantillonnage d’une production qui fascine les Occidentaux depuis sa découverte. 

Une chronologie discutée
Le parcours s’ouvre sur une figure de fertilité d’un réalisme sans ambiguïté, une céramique vieille de plus de deux millénaires qui a conservé des traces de peinture rouge, une femme enceinte, les cuisses bien ouvertes, juste vêtue d’une paire de boucles d’oreilles. Plusieurs poteries zoomorphes ou anthropomorphes témoignent de l’habileté des artisans. Ici et là pointent un poulpe ou un batracien, renvoyant au domaine de l’eau, une tête d’oiseau, un singe hurleur, les dieux du maïs, de l’air ou de la pluie, un œil, des dents… Des bijoux en jade étaient fabriqués pour accompagner les défunts, une pierre dotée d’une forte connotation symbolique liée à la couleur de l’eau, mais aussi aux tréfonds de la terre dont elle provenait.

Comme à leur accoutumée, confrontés à cette nouvelle immensité, les historiens ont cherché dans un premier temps à bien quadriller leur territoire, à la fois verticalement, dans le temps, et latéralement, dans l’espace. Ils ont distingué trois périodes dites préclassique, classique et postclassique. Jusqu’ici, cela paraît simple. En réalité, c’est beaucoup plus compliqué et les chercheurs ne sont pas toujours d’accord entre eux. Même sur les dates de certains objets présentés au Musée du quai Branly, il peut y avoir des écarts portant sur un millénaire. Les textes font remonter la présence maya à 2 000 ans avant Jésus-Christ, mais d’autres avancent une date de naissance mille ans plus tard. Pour  Fabienne de Pierrebourg, responsable des collections américaines au Quai Branly, « la civilisation maya se met en place dans la seconde moitié du deuxième millénaire. C’est là qu’on voit apparaître des motifs comme le jaguar ou le serpent. Et l’on peut dire que, à la fin de ce millénaire, elle est en place. » Elle plaide plutôt pour nuancer ces découpages, afin de prendre en compte les moments de maturation, les mouvements de population ou les interconnexions. Mais Richard Hansen, qui dirige les fouilles dans le nord du pays, lui, au contraire, veut remonter dans le temps : à ses yeux, la culture maya naît avec la représentation du maïs, attestée dès - 2 600 av. J.-C. Mais enfin, l’époque préclassique court jusqu’au début de notre ère, celle dite classique sur trois siècles à partir des années 600, et la période postclassique accompagne l’effondrement de la civilisation maya. On passe sur les subdivisions, genre « moyen » ou « tardif ». 

Toutefois, une chose semble certaine : cette longue histoire est fracturée d’ascensions suivies d’exodes subits ou de lents déclins, de déplacements et de renaissances, et de beaucoup de mystère. L’écroulement des royaumes mayas, les trois derniers siècles du premier millénaire, reste l’une des grandes énigmes de l’histoire des civilisations. Les explications qui viennent naturellement à l’esprit comme les cyclones ou les séismes, les famines, les épidémies ou les guerres pourraient se combiner à la cupidité et la férocité des élites dirigeantes pour expliquer l’abandon de villes entières, que la forêt tropicale a recouvertes jusqu’à nos jours. 

Une géographie dilatée
Géographiquement, les archéologues distinguent trois grands espaces, la côte pacifique, les hautes terres – une chaîne volcanique de plus de 800 m d’altitude parallèle à l’océan, dont les gisements miniers assuraient la richesse –, et les basses terres – les plaines du sud et celles qui remontent au nord vers le Yucatán. Ces divisions sont cependant elles aussi discutées. « Quand bien même il est possible de déterminer des limites géographiques, fondées sur des différences d’altitude, de pluviométrie et de végétation, les frontières culturelles ne peuvent être définies de la sorte », avertit l’universitaire Tomás José Barrientos dans le catalogue, soulignant le développement des routes commerciales et de zones intermédiaires entre ces grands bassins. Selon Juan Carlos Meléndez Mollinedo, il existe bien des nuances entre les cités royales, mais un même fond traverse toute la culture maya. On rêve d’une exposition rassemblant donc tous les musées mésoaméricains… Ce ne doit pas être impossible puisqu’un exposé sur la symbolique de l’eau chez les Mayas vient de parcourir les États-Unis en bénéficiant de prêts de plusieurs pays de l’isthme.

La statuette de nacre qui fait l’affiche de l’exposition parisienne, représentant un cadavre au ventre gonflé, montre combien ces représentations peuvent être saisissantes. On retrouve ce ventre ballonné sur une autre figurine. S’agit-il d’un simple signe de décomposition cadavérique ou pouvait-il prendre un autre sens ? L’autre chef-d’œuvre est un plat d’une sépulture royale du Petén au dessin extraordinairement compliqué d’un démon serpentesque, la langue sortant de la bouche. Les spécialistes reconnaissent dans ces entrelacs des signes du pouvoir et du souffle vital. Cette poterie est exceptionnelle parce qu’elle comporte sur les bords un texte de dix-sept hiéroglyphes. La culture maya est l’une des très rares à avoir créé sa propre langue dans l’histoire de l’humanité, de même qu’elle a développé des systèmes calendaires et des modèles mathématiques complexes. La reconnaissance des textes écrits est encore à l’œuvre, mais sera probablement d’un apport décisif pour mieux comprendre une iconographie qui, en grande partie, continue de nous échapper.

Repères

-1 000 à 300 Période dite préclassique.

300 av. J.-C. Apparition de l’écriture maya.

300-900 Période dite classique.

897-922 Certaines hypothèses mettent en avant une sécheresse importante pour expliquer la fin de l’apogée des Mayas.

900-1500 Période dite postclassique.

1524 La civilisation maya tombe sous les coups des Espagnols.

Autour de l’exposition

Informations pratiques. « Maya, de l’aube au crépuscule, collections nationales du Guatemala » jusqu’au 2 octobre 2011. Musée du quai Branly. Ouvert le mardi, mercredi et dimanche de 11 h à 19 h et le jeudi, vendredi, samedi de 11 h à 21 h. Tarifs : 8,5 et 6 €. www.quaibranly.fr

L’alphabet Maya. Parce que beaucoup de témoignages Mayas sont épigraphiques, la réédition de L’écriture maya, portrait d’une civilisation à travers ses signes (Flammarion, 24,90 €) a pour ambition de constituer un dictionnaire du système graphique utilisé par les Mésoaméricains. Classés par entrées, les cultes, le calendrier, l’astronomie… sont appréhendés à l’aune de cette écriture. Doté de cartes thématiques et d’une chronologie épurée, cet ouvrage concentre plusieurs décennies de recherches menées par l’archéologue italienne Maria Longhena.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°638 du 1 septembre 2011, avec le titre suivant : L’histoire perdue de la culture Maya

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