La peintre allemande, qui se distingue de ses contemporains par un style peu acerbe, a été influencée par Jawlensky. Elle est exposée au Musée d’art moderne de Paris.

Paris. La rétrospective consacrée par le Musée d’art moderne à Gabriele Münter (1877-1962) met en lumière l’œuvre d’une artiste longtemps reléguée – sauf en Allemagne, son pays natal – au simple rôle de compagne de Vassily Kandinsky. Après Paula Modersohn-Becker (1876-1907), le musée invite le public à découvrir une autre figure féminine essentielle de l’expressionnisme, au sens large du terme.
Le parcours, organisé de manière chronologique, s’ouvre sur une surprise : bien que connue comme peintre, Münter commence par appréhender le monde à travers l’objectif de son appareil photo. Équipée d’un Kodak Bull’s-Eye, elle multiplie les clichés lors d’un long séjour aux États-Unis. Ces photographies révèlent non seulement son sens du cadrage, mais aussi sa curiosité pour toutes les strates de la société américaine, y compris la communauté noire. D’autres photos, pris en 1905 lors d’un voyage en Tunisie, appartiennent à une partie encore méconnue de son œuvre, étudiée en détail dans le catalogue par Katharina Sykora et Dominique Jarrassé. Plusieurs petits tableaux réalisés peu après, comme Rue de la Verdure à Bab el-Khadra, Tunis (1905), s’en inspirent directement.
Gabriele Münter travaille à Munich, ville où cohabitent tradition artistique et avant-garde. Après deux années passées dans une académie – rare institution acceptant les femmes à l’époque –, elle rejoint l’école Phalanx, orientée vers la modernité et dirigée par Kandinsky. Elle devient alors la compagne de l’artiste russe, relation qui durera jusqu’à la Première Guerre mondiale. À ses débuts, Münter explore la gravure sur bois et peint dans un style influencé par l’impressionnisme, notamment durant le séjour du couple à Sèvres (Portail de jardin à Sèvres, 1906). Elle commence alors à être reconnue en tant qu’artiste : ses peintures sont acceptées au Salon des indépendants, ses gravures au Salon d’automne.
Mais c’est à Murnau, un village situé en Haute-Bavière au sud de Munich où elle acquiert une maison avec Kandinsky, que son style s’affirme. Une nouvelle période s’ouvre : chaque été, le couple est rejoint par Alexej von Jawlensky et sa compagne Marianne von Werefkin, également peintre. Sans former un groupe au sens strict, leur travail commun se révèle déterminant.
Fait intéressant : c’est davantage l’influence de Jawlensky que celle de Kandinsky qui marque l’œuvre de Münter. Tous deux partagent une fascination pour la figure humaine. « J’aimais particulièrement soumettre mes travaux à Jawlensky […], il m’expliquait beaucoup de choses ; il me faisait profiter de ce qu’il avait vécu et acquis, et parlait de “synthèse” », écrit Münter. Étonnamment, les noms de Jawlensky et de Werefkin sont à peine mentionnés dans l’exposition. Tout porte à croire que, dans un souci de contrebalancer l’ombre de Kandinsky, les commissaires Isabelle Jansen et Hélène Leroy ont choisi de minimiser d’autres influences.
Progressivement, Münter abandonne la touche impressionniste pour des compositions plus synthétiques. Les formes, simplifiées et aux contours noirs épais hérités du cloisonnisme, exaltent une couleur parfois vive, mais le plus souvent sourde et finement nuancée, comme dans Mme Mathilde au châle bleu (1908-1909). Le séjour à Murnau lui offre une nouvelle source d’inspiration, liée aux arts populaires : la peinture sous verre. Le village était l’un des foyers de cette technique. Münter s’y adonne régulièrement, et cette pratique influence clairement son style : à l’image du vitrail, elle simplifie les formes et les figures – souvent des représentations saintes – qu’elle présente de face, ainsi dans À l’écoute (portrait de Jawlensky), 1909.
À ce stade, on peut se demander si Münter s’inscrit dans le courant expressionniste. Sans doute, si l’on considère qu’elle fut l’une des cofondatrices de Der Blaue Reiter (le Cavalier bleu), ce groupe emblématique formé à Munich en 1911. Comme ses membres, elle partage un goût prononcé pour les dessins d’enfants, les arts populaires et le primitivisme. Toutefois, elle développe une forme d’expressionnisme distincte de celle, plus véhémente et contestataire, des artistes de Die Brücke. En simplifiant, on pourrait dire que Der Blaue Reiter incarne une version moins violente et plus hétérogène de l’expressionnisme.
Cette position singulière explique sans doute l’évolution de son style, en particulier à partir des années 1920. Son séjour à Berlin et sa rencontre avec la Nouvelle Objectivité donnent naissance à des œuvres plus sobres – souvent des dessins – que l’exposition regroupe dans une section intitulée « Nouvelle figuration » (Femme assise à la cigarette, 1925-1930). Le parcours s’achève sur les paysages paisibles de Murnau, où Münter, cette artiste nomade, s’installe définitivement à partir de 1931.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : L’expressionnisme doux de Gabriele Münter





