Ancienne Corée

Les trésors du royaume de Silla

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 970 mots

À travers une centaine de pièces exceptionnellement prêtées par la Corée du Sud, le Metropolitan Museum à New York dévoile les richesses éblouissantes de l’antique royaume de Silla.

NEW YORK (ETATS-UNIS) - Elle porte le numéro 191 sur la liste des « trésors nationaux » qui ne quittent que très rarement le sol de la Corée du Sud et constitue, à ce titre, l’une des attractions principales de l’extraordinaire exposition que le Metropolitan Museum of Art consacre au royaume de Silla (57 av. J.-C.-935 apr. J.-C.). Or comment la qualifier ? Est-ce une couronne, une tiare, une coiffe aux accents chamaniques ? Car il souffle bel et bien le souvenir de l’art des steppes sur cet objet fascinant qui happe d’emblée le regard des visiteurs dès qu’ils ont franchi le seuil de la très belle exposition new-yorkaise. Réalisée à l’aide de minces feuilles de métal martelé selon une technique propre aux peuples nomades d’Asie centrale, surmontée d’une ramure en forme d’arbre de vie ou de montagne stylisée, constellée de pendeloques en dents de tigre taillées dans le jade et de chaînettes imitant la forme de nattes, cette coiffure en or tintinnabulante ressemble, à s’y méprendre, aux célèbres tiares découvertes, en 1978, dans la nécropole afghane de Tillia-Tepe. Pour Pierre Cambon, qui dirige le département de la Corée et de l’Afghanistan du Musée Guimet, à Paris, ces affinités stylistiques ne doivent rien au hasard. « Il faut imaginer, à l’aube de notre ère, un monde très fluide, nourri d’échanges à longues distances. Royaume enclavé, la Corée était parallèlement en étroite connexion avec d’autres cultures. C’était une sorte d’entre-deux : à la fois le point extrême de l’Eurasie, aux confluences de la route des steppes, de la route de la soie, et des voies maritimes et, dans un même temps, une passerelle jetée avec les mondes chinois et japonais. C’est par l’intermédiaire de la Corée que le bouddhisme arrivera ainsi au Japon », résume avec passion le conservateur du Musée Guimet.

C’est donc débarrassé de toute œillère et de tout préjugé qu’il faut admirer ces trésors d’orfèvrerie dont la virtuosité technique et l’esthétique « baroque » laissent pantois. Par quels miracles les secrets de la granulation sont-ils ainsi parvenus dans les ateliers des orfèvres coréens du Ve siècle de notre ère ? Et comment expliquer la présence, dans les tombes, de céramiques chinoises, de verreries romaines et de bagues aux incrustations de pierres dures dignes de leurs homologues du Kazakhstan, si ce n’est par cette circulation intense d’hommes, d’objets et de techniques le long de ces voies spirituelles et commerciales dessinées par les peuples nomades d’Eurasie ?

Une civilisation prospère
« Créé en 57 avant notre ère dans le sud de la péninsule, le royaume de Silla est passionnant à bien des égards, car il est longtemps demeuré à l’écart des influences chinoises », souligne Pierre Cambon pour expliquer la profonde originalité des pièces exhumées dans les années 1970 par les archéologues coréens. Au cœur de Kyôngshu, sa capitale, il faut ainsi imaginer une vaste aire de tumulus en terre damée abritant plus d’une centaine de sépultures dont la richesse allait s’avérer vertigineuse. Classé depuis 2000 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, le « parc des tumulus » de Kyôngshu a, selon Pierre Cambon, des allures de « mer figée » avec ses collines douces et apaisantes, au milieu desquelles le public se promène librement. Car en terre coréenne, les défunts se doivent de reposer sereinement dans leur tombe. Seules les pioches des archéologues s’octroient le droit, à la faveur des travaux d’urbanisme, de remuer les entrailles de la terre et de mettre au jour les trésors d’orfèvrerie déposés par leurs ancêtres. En l’absence de sources écrites, l’interprétation de ces pièces demeure, hélas, le plus souvent hasardeuse. Une tentative de lecture se dessine cependant : si les couronnes en or étaient vraisemblablement portées par les reines, les princes ou les rois « se contentaient » d’objets en bronze (armes, fibules, épées…). Quant aux autres parures d’un luxe inouï (pendants d’oreilles, colliers, ceintures, et même chaussures en métal précieux !), leur esthétique semble plus proche d’un contexte sibérien que de la mouvance chinoise. Les ornements en forme d’arbre et de corne relèvent ainsi de deux archétypes très anciens de l’Eurasie. Les pendeloques en forme de dents de tigre en jade renvoient, quant à elles, à des croyances chamaniques baptisées magatama par les Japonais…

Mais avec l’adoption du bouddhisme comme religion officielle dans la seconde moitié du VIe siècle de notre ère, la Corée bascule dans un autre monde, adopte d’autres lois, épouse d’autres esthétiques. Sous « protection » chinoise, fleurissent bientôt des pagodes de bois, remplacées peu à peu par des constructions en pierre. La doctrine du Bienheureux trouve parallèlement son « incarnation » dans des effigies de bodhisattvas (êtres de compassion retardant leur Éveil) de toute beauté, telle cette statuette de bronze aux traits délicats distillant une suave mélancolie. Figurant elle aussi sur la liste des « trésors nationaux » quittant exceptionnellement le pays, ce chef-d’œuvre de l’art bouddhique illustre, à lui seul, la place si particulière du langage coréen au sein des arts asiatiques. Un entre-deux, là encore, hésitant entre les grâces éthérées de la statuaire gandharienne d’Afghanistan et la retenue pudique des futurs bouddhas nippons…

À la vue de ces petits miracles d’élégance et de dépouillement, caressons le rêve que ces trésors prennent un jour prochain le chemin du Musée Guimet, le temps d’une exposition. 2015 ne verra-t-elle pas la célébration de l’année croisée de la France et de la Corée ?

Silla, Korea’s Golden Kingdom

Jusqu’au 23 février, Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York, États-Unis. Ouvert tlj, vendredi et samedi 10h-21h, dimanche-jeudi 10h-17h30, www.metmuseum.org, catalogue sous la direction de Soyoung Lee et Denise Patry Leidy, Éditions du Metropolitan Museum of Art, 220 pages, 65 $ (47 €).

Légende photo

Ceinture ornementée, royaume de Silla, seconde moitié du Ve siècle, or, 120 cm, découverte dans la tombe Hwangnam Daechong, Gyeongju National Museum. © Photo : National Museum of Korea

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Les trésors du royaume de Silla

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