Les tours mystiques d’Anselm Kiefer

L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 344 mots

Anselm Kiefer a toujours été fasciné par l’architecture monumentale, comme témoignage d’une civilisation mais aussi comme porteuse d’utopie, de mythes, d’une mystique, voire d’une cosmogonie. Pourtant les architectures de Kiefer, bien loin d’exalter la puissance et la gloire, le triomphe de la raison et de l’harmonie, ont toujours un caractère inachevé, factice, dérisoire, dont la démesure même trahit la fragilité. La fondation Pirelli en transformant un de ses hangars à Milan en lieu d’exposition accueillant des œuvres monumentales contemporaines a permis à Kiefer de passer de la représentation à la mise en espace et de l’illusion à l’allusion. Cette gigantesque installation comporte sept tours, chacune de treize à seize mètres de haut, construites en béton armé. Leur forme n’est pas fortuite. Depuis la tour de Babel jusqu’aux Twin Towers de New York, la tour dressée vers le ciel a toujours été symbole de puissance, de majesté, affirmation de la confiance en soi et en ses valeurs. Les tours de Kiefer s’élèvent en quelque sorte en abyme. D’aspect rudimentaire, brutes de décoffrage, montées à partir de pans de béton moulés dans des containers, puis empilés les uns sur les autres, elles exhibent sciemment leur caractère fruste et artisanal, aux antipodes d’une architecture lisse et glorieuse exaltant le triomphe de la technologie. Surtout ces « tours » ou plutôt ces sculptures architectoniques se réfèrent à la mystique juive commentée dans le Zohar et la Cabale, d’où leur appellation des Sept Palais célestes. La tour est une parabole des Sephorith ou « arbre de la vie », l’individu devant gravir l’échelle qui mène de la « Gloire » à la « Compassion » et de la « Compassion » à la « Sagesse ». L’élévation est donc spirituelle et non temporelle. Tandis que les gratte-ciel qui semblent immatériels reposent sur des fondements  matérialistes, les tours de Kiefer qui affichent leur matérialité ont une vocation spirituelle.
On retrouve ici le paradoxe, l’ambiguïté propre à Kiefer...

« Les Sept Palais célestes », MILAN (Italie), fondation Pirelli, Edificio 17 della Bicocca, tél. 02 290 00 101, 24 septembre-12 février 2005.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Les tours mystiques d’Anselm Kiefer

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