Art ancien

Les peintres femmes reprennent leurs droits

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 26 mai 2021 - 560 mots

PARIS

Elles se nomment Vigée Le Brun, Labille-Guiart et Benoist, pour les « plus » connues, Caron, Chaudet, Delaval, Romanée, Pinson ou Vestier, pour les autres. Le Musée du Luxembourg les rappelle à notre bon souvenir…

L’auteur à ses occupations. De prime abord, le titre du tableau de Marie-Nicole Vestier fleure bon le conventionnel. On imagine volontiers un artiste absorbé dans l’exécution de sa peinture, campé au milieu de ses chevalets et de ses pinceaux. La réalité que brosse ce portrait de format modeste est tout autre, et pour le moins inattendue. La citoyenne Vestier, vêtue à la dernière mode, tient de la main gauche sa palette chargée de couleurs, tandis que de la main droite, elle relève le voile couvrant le berceau de son bébé. Le poupon, fesses à l’air, attend manifestement que sa mère change ses langes. Cette image malicieuse présentée au Salon de 1793 est un pied de nez plein d’esprit et de talent aux débats qui animent le cénacle révolutionnaire sur la place des femmes dans le monde de l’art.

Double peine

Face à l’essor des vocations artistiques féminines et à leurs revendications à l’égalité de formation, les institutions et certains artistes de premier plan s’inquiètent de voir ces dames aspirer à de véritables carrières et plus seulement à pratiquer les arts en dilettantes. Si elles s’impliquent dans leur carrière, qui va s’occuper des enfants et de la maison ? Pour éviter pareil dilemme, la réponse semble évidente : les femmes devraient se concentrer sur leurs occupations familiales et domestiques. « Nous pouvons concilier les deux », leur rétorque en substance le tableau de Vestier. Et elles furent d’ailleurs nombreuses à le faire, même si, à de rares exceptions près comme Élisabeth Vigée Le Brun, on les a depuis oubliées.

Contrairement à une idée reçue qui a la vie dure, les artistes femmes n’ont en effet pas été inexistantes sur la scène publique. La légende misérabiliste qui veut qu’elles aient été exclues de la formation et des expositions est fausse, comme le démontre la revigorante exposition du Musée du Luxembourg. Dès la fin du XVIIIe siècle, elles ont ainsi pu intégrer l’Académie et fréquenter les ateliers des maîtres les plus en vue, tels Suvée, David ou encore Regnault. Contrairement à ce que l’on lit encore ici et là, à tort, elles avaient même le droit d’étudier le nu. En outre, elles ont également régulièrement présenté leur travail au Salon où elles ont souvent été récompensées. Sans parler des autres lieux d’exposition, à l’image du Salon de la jeunesse ou celui de la correspondance, où leur participation étaient largement commentée.

Les sources sur ce sujet abondent, y compris sur les querelles suscitées par cette féminisation croissante des arts. Car, si une partie de la sphère artistique et des commentateurs étaient acquis à la cause, d’autres étaient de farouches opposants, voyant dans cette évolution une menace pour la pudeur et la qualité de la production artistique. Comment expliquer que ce phénomène massif ait été passé sous silence si longtemps ? En réalité, c’est l’écriture de l’histoire de l’art qui les a progressivement écartées du récit dominant. Il a donc fallu éplucher et faire parler de nombreuses sources pour retrouver cette réalité plurielle. Un travail de recherche, presque d’archéologie, mené avec brio par l’historienne de l’art Martine Lacas et qui se déploie sur les cimaises du musée et dans un catalogue qui fera date.

Martine Lacas (dir.), Peintres femmes,
éditions de la RMN-Grand Palais, 208 p., 40 €.
« Peintres femmes, 1780-1830, Naissance d’un combat »,
Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris-6e. Tarifs de 9 à 13 €. Commissaire : Martine Lacas. musee du luxembourg.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Les peintres femmes reprennent leurs droits

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