Art moderne

XXE SIÈCLE

Les monstres doux et contes cruels de Chauveau

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2020 - 842 mots

PARIS

Le Musée d’Orsay présentait avant sa fermeture une sélection d’œuvres de cet artiste singulier, marqué par la vie et presque totalement oublié.

Léopold Chauveau, Paysage monstrueux n°55, 1921, encre noire et aquarelle sur papier vélin épais Ingres Arches MBM, 18 x 26 cm, Paris, musée d’Orsay
Léopold Chauveau, (1870-1940), Paysage monstrueux n°55, 1921, encre noire et aquarelle sur papier vélin épais Ingres Arches MBM, 18 x 26 cm, Paris, musée d’Orsay

Paris. Léopold Chauveau (1870-1940) est un malchanceux. Cet artiste singulier, quasiment oublié pendant trois quarts de siècle, devait enfin rencontrer le public grâce à la présentation au Musée d’Orsay d’une partie des trois donations successives de Marc Chauveau, son petit-fils, comprenant 48 sculptures, près de 530 dessins et des archives. Et voilà que ce médecin malgré lui est revenu dans l’ombre à cause d’une épidémie, après seulement trois jours d’ouverture au public… Mais sa réhabilitation est en marche et telle la tortue de la fable (qu’il a d’ailleurs dessinée), c’est lui qui gagnera la course.

Fils d’un scientifique reconnu, vétérinaire et chercheur, Léopold Chauveau n’a pas le choix de sa vocation : il devient médecin, bien que souvent dégoûté par le contact avec ses patients. Il n’est heureux d’avoir embrassé la profession que pendant la Grande Guerre : il peut ainsi arracher quelques jeunes vies aux griffes de la camarde. Celle-ci lui prend pourtant son fils aîné en 1915 (pensionnaire loin de sa famille, l’adolescent, excellent nageur, est victime d’une hydrocution), son épouse qui finit par mourir de chagrin en 1918 et son troisième fils, un peu plus tard, dans des conditions horribles : il succombe à une septicémie après l’ablation de l’appendice réalisée en urgence par Léopold Chauveau lui-même.

Un imaginaire peuplé de monstres

Pour fuir cette vie éprouvante, le médecin choisit la compagnie de ses monstres. En 1904, il s’est installé avec son épouse à Versailles, non loin de chez Georges Lacombe dont il fait tout de suite la connaissance. Ils deviennent si proches qu’après la mort de Lacombe, en 1916, Chauveau écrit : « Il était l’âme de mon âme. » C’est sans doute la fréquentation de ce peintre et sculpteur nabi de deux ans son aîné qui libère sa créativité et lui permet de laisser libre cours à son imaginaire. Et celui-ci est peuplé de petits êtres difformes que Chauveau modèle et dessine. Ils ne sont en général pas terrifiants mais doux et pensifs (voir ill.). Il les considère comme ses amis et sont la résurgence, chez cet homme réservé, d’une enfance que des parents trop rigides ont cruellement matée. Ce qui ne les empêche pas d’emprunter, parfois, des expressions ou attitudes d’humains bien réels, voire de l’artiste lui-même.

Bien qu’un peu ignorée aujourd’hui, la production de figures chimériques constitue un courant de l’art symboliste, représenté notamment par Paul Gauguin et Jean Carriès, et empruntant lui-même à l’art japonais. Mais Chauveau n’a pas le succès de Carriès dans ce domaine et il renonce peu à peu à la sculpture pour se tourner vers les arts graphiques à partir de la fin de la Première Guerre mondiale. Ce tournant s’accompagne d’un autre : il abandonne l’exercice de la médecine et vit dès lors de l’illustration et de l’écriture, essentiellement de contes pour enfants. Là encore, il a des déconvenues. Ainsi, L’Enfant qui rêve est refusé dans les années 1920 par l’éditeur Payot, sous prétexte qu’il était trop proche de ce qu’écrivait Anatole France.

Les contes, inspirés par l’humanisme, le pacifisme mais aussi le pessimisme de l’auteur, sont souvent cruels et ne cherchent pas à protéger les enfants de la réalité. Ils s’inscrivent dans une tradition dont font également partie le Britannique Rudyard Kipling ou l’Américain Winsor McCay. Comme Kipling, Chauveau met en scène l’un de ses enfants morts (le jeune Renaud) mais, au contraire de l’auteur du Livre de la jungle, le Français combat le racisme dans ses écrits. Au moment de la montée du nazisme, il confronte ses personnages au totalitarisme. Lui à qui la Grande Guerre avait laissé de terribles souvenirs s’engage auprès des réfugiés fuyant l’avancée des Allemands. Il meurt d’épuisement à l’été 1940.

Tombé dans l’oubli dans la France de la reconstruction, Chauveau illustrateur est peu à peu redécouvert à partir des années 1990 et nul doute qu’une nouvelle génération d’enfants l’adoptera. C’est cependant l’artiste symboliste qui constitue une découverte, celui des petits monstres de plâtre ou de bronze, des aquarelles des Paysages monstrueux (voir ill.), à mi-chemin du japonisme et d’Odilon Redon, et des dessins de La Maison des monstres, souvent proches du surréalisme. Une œuvre profondément personnelle enrichissant significativement le fonds du Musée d’Orsay qui, à l’occasion de l’exposition, vient d’éditer les recueils des œuvres graphiques.

Des podcasts et vidéos pour patienter

Médiation. Les responsables du musée envisagent de reporter au 19 juillet le terme de cette exposition destinée aussi bien aux enfants qu’aux adultes. En attendant sa réouverture, on peut aller sur le site du Musée d’Orsay destiné aux enfants, Petitsmo.fr. Cinq histoires de sept à huit minutes imaginées par l’artiste Claude Ponti et enregistrées par des comédiens y sont en ligne. Par ailleurs, trente vidéos inspirées par l’artiste et réalisées par des étudiants des Gobelins sont présentées dans l’exposition. On peut les retrouver sur la chaîne YouTube du Musée d’Orsay (à l’onglet « Playlists créées ») ainsi que Histoires du petit père Renaud, dessins et textes de Chauveau (32 min.).

 

Élisabeth Santacreu

Au pays des monstres, Léopold Chauveau (1870-1940),
fermée pendant le confinement puis rouverte jusqu’au 28 juin, Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’honneur, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°544 du 24 avril 2020, avec le titre suivant : Les monstres doux et contes cruels de Chauveau

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