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Les Basquiat perdus d’Orlando : une exposition qui en fait trop

ORLANDO / ÉTATS-UNIS

Vingt-cinq peintures sorties d’un box de garde-meuble en 2012 sont exposées à l’Orlando Museum of Art comme d’authentiques Basquiat, oubliés pendant trente ans. Bien que les experts aient exprimé de forts doutes, le musée se targue d’une « extraordinaire découverte ».

Orlando (Floride). C’est une histoire digne d’un scénario hollywoodien. En 2012, deux amis chasseurs de trésors, William Force et Lee Mangin, achètent pour 15 000 dollars (11 400 euros) vingt-cinq peintures sur carton et contreplaqué auprès d’un commissaire-priseur de Los Angeles. Le lot provient d’un box de garde-meuble dont le propriétaire, Thaddeus Mumford (1951-2018), ancien scénariste et producteur de télévision ruiné, ne payait plus les factures. Dans un style proche du graffiti, ces peintures figurent quelques symboles récurrents : des couronnes, des crânes, des flèches, des figures chapeautées. Il n’en faut pas plus pour que le duo se convainque d’avoir mis la main sur un ensemble, jamais vu jusqu’alors, d’œuvres authentiques de Jean-Michel Basquiat (1960-1988) : et si l’artiste les avait vendues à Mumford en 1982, à l’époque où il vivait et travaillait dans un atelier aménagé sous la maison du galeriste Larry Gagosian, à Venice (Californie) ?

Les deux amis cherchent aussitôt à les revendre sans y parvenir, tant la provenance des œuvres emporte les doutes des marchands et des experts. En échange d’une substantielle commission sur les ventes futures, le très médiatique avocat Pierce O’Donnell accepte de se mettre en quête de preuves pour étayer leur fable. Son dossier comprend un rapport graphologique, les résultats d’analyse d’une historienne de l’art et de Diego Cortez, grand spécialiste de Basquiat, ainsi qu’un poème tapé à la machine et signé à la main « JMB » qui évoque la rencontre entre l’artiste et le scénariste. Le marché reste pourtant décidément très frileux et le trio commence à nourrir une certaine frustration tandis que les peintures de Basquiat continuent de battre des records en salles de vente.

C’est alors qu’en 2021 Pierce O’Donnell entre en contact avec Aaron De Groft, fraîchement nommé à la tête du musée d’art d’Orlando (Floride). L’avocat comprend vite que le nouveau directeur cherche une exposition « blockbuster » pour inscrire son musée sur la carte et il voit là une occasion d’enrober sa suspicieuse collection de la légitimité institutionnelle qui lui manquait encore : il lui propose de montrer au monde, pour la première fois, vingt-cinq peintures de Basquiat perdues pendant plus de trente ans, dont il dit pouvoir fournir tous les gages d’authenticité. Emballé, Aaron De Groft monte l’exposition « Heroes & Monsters : Jean-Michel Basquiat, The Thaddeus Mumford Jr. Venice Collection » en quelques mois seulement.

Une histoire « hautement improbable »

Au grand dam d’Aaron De Groft, l’exposition n’a pas suscité, chez les experts et chercheurs travaillant sur Basquiat, l’enthousiasme escompté. Gagosian lui-même trouve l’histoire « hautement improbable » : comment ces œuvres auraient-elles pu être peintes dans sa cave sans qu’il le sache ? La famille de Thaddeus Mumford, qui n’a pas été associée à la préparation de l’exposition, dit ne jamais avoir entendu le scénariste mentionner l’existence des peintures.

Le visiteur s’en rend compte rapidement : dans cette exposition, quelque chose cloche. Les cartels, trop longs et verbeux pour être honnêtes, s’embourbent dans de lourdes citations de spécialistes, des comparaisons sans fin avec des œuvres canoniques de Basquiat ou des résultats d’analyses scientifiques peu probants. Tout se passe comme si le commissaire voulait nous convaincre à toute force de la véracité de son histoire. Non content de ne pas répondre aux questions, nombreuses, que soulève ce scénario abracadabrantesque, le musée établit arbitrairement la provenance des œuvres dès le texte d’introduction et vante sans ciller, dans le frêle catalogue, « une des plus extraordinaires découvertes de l’histoire de l’art ».

Parmi les questions qui restent en suspens : comment expliquer, si l’on en croit un expert consulté par The New York Times, qu’Untitled (Self-Portrait or Crown Face II) soit peinte au dos d’une boîte FedEx utilisant une typographie créée pour le transporteur en 1994 alors que Basquiat est décédé en 1988 ? Pas de quoi déstabiliser Aaron De Groft : « Notre travail n’est pas d’authentifier les œuvres », répond-il. Son nombre de visites a bondi de 500 % depuis l’ouverture de l’exposition, de quoi lui donner de l’assurance : « Vous savez le plus drôle ? Personne n’a dit que ces peintures n’étaient pas de Basquiat ! »

Heroes & Monsters : Jean-Michel Basquiat, The Thaddeus Mumford, Jr. Venice Collection,
jusqu’au 30 juin 2022, Orlando Museum of Art 2416 N. Mills Ave., Orlando, Floride.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Les Basquiat perdus d’Orlando : une exposition qui en fait trop

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