Art ancien

Dessin

Les (at)traits de Michel-Ange

L’Albertina de Vienne a réussi un tour de force : réunir une centaine de dessins de Michel-Ange pour retracer le cheminement esthétique du maître de la Renaissance

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2010 - 678 mots

VIENNE - Parvenir à convaincre une trentaine d’institutions prestigieuses de se séparer pendant trois mois de leurs précieux dessins de Michel-Ange était une gageure pour l’Albertina de Vienne (Autriche).

Pour la première fois, le Musée du Louvre, le Metropolitan Museum of Art (New York), la Casa Buonarrotti (Florence), le British Museum (Londres) ou encore le Teylers Museum d’Haarlem (Pays-Bas), ont répondu favorablement à un projet d’exposition pharaonique, couvrant l’intégralité de l’œuvre graphique du maître, soit sept décennies. 

Sur les six cents feuilles reconnues par la plupart des spécialistes, parmi lesquelles de très nombreux dessins architecturaux, une centaine est réunie à Vienne pour un cheminement étourdissant. Conservateur pour l’art italien à l’Albertina, le commissaire de l’exposition Achim Gnann a pris pour point de départ la somme d’études critiques sur les œuvres contestées sur le plan tant de la datation, de l’attribution que de la destination. Au fil d’une analyse stylistique poussée de l’ensemble de l’œuvre graphique figuratif, il a parfois revu la chronologie et réattribué des œuvres à Michel-Ange. Comme le démontre l’accrochage « chrono-thématique », le long duquel les groupes d’études pour les projets de la Bataille de Cascina, de la voûte de la chapelle Sixtine, ou de la fresque du Jugement dernier constituent autant de jalons, la clé de l’œuvre de Michel-Ange n’est autre que le corps humain.

Corps monumental
Si l’artiste fait un choix technique conscient pour profiter au mieux des atouts de son médium (la sécheresse de la plume, la douceur de la craie noire ou la précision de la sanguine), la manière dont il inscrit les corps dans l’espace traduit plus encore ses aspirations esthétiques du moment. « Vers la fin de sa carrière, les mouvements des corps sont très complexes et diffèrent des attitudes dramatiques et expressives des périodes précédentes. J’ai trouvé qu’il était plus facile de dater un dessin en regardant le corps qu’en se bornant à regarder le sujet », souligne Achim Gnann. Ainsi les débuts à la plume, caractérisés par un système complexe de traits hachurés, révèlent un tempérament de sculpteur – les volumes sont modelés et les corps transparaissent sous les effets de drapés. En 1504-1506, grâce à la souplesse de la craie noire, le projet pour la Bataille de Cascina marque un tournant : composant un festival de raccourcis et de torsions, les corps entremêlés des soldats florentins surpris par l’ennemi sont saisis en plein élan et dégagent une énergie inédite. Gondolés par la musculature, leurs corps vibrent. Dès lors, Michel-Ange, manifestement passionné par la chair, s’efforce d’en exprimer la tension intérieure. La sanguine, enfin, permet un traitement plus rapide du sujet ; le trait se libère et les volumes sont mieux définis. 

Au fil des ans, à mesure que le trait se raffine, le corps devient si massif et monumental qu’il menace d’exploser. Toutes les subtilités de l’évolution du style de Michel-Ange sont relatées en détail par Achim Gnann dans le catalogue de l’exposition. Notons seulement que les plus belles feuilles sont celles où la composition générale est esquissée tandis que seule une partie est élaborée. Devant la divine Vierge à l’Enfant (v. 1522-1525), où le bambin au corps rebondi et velouté tète une Madone fantomatique, on ne peut s’empêcher d’admirer le talent d’un artiste qui révèle les personnages cachés dans la trame du papier comme il libère ceux emprisonnés dans le marbre.

Outre la qualité exceptionnelle des œuvres présentées dans une scénographie soignée, cette exposition pointue parvient à rester accessible au grand public, ce grâce à des animations vidéo resituant par exemple les dessins préparatoires dans la version finale de la voûte de la chapelle Sixtine. Le catalogue est lui particulièrement studieux et offre, pour chaque feuille, une notice complète analysant son style et sa composition. Cette rétrospective viennoise est d’autant plus incontournable qu’à la fin du mois de janvier, l’ensemble des œuvres seront assignées à résidence pour plusieurs années. 

MICHELANGE. LES DESSINS D’UN GÉNIE

Jusqu’au 9 janvier 2011, Albertina, Albertinaplatz 1, Vienne, Autriche, tél. 43 1 534 830, www.albertina.at, tlj 10h-19h, 10h-21h le mercredi. Catalogue, Hatje Cantz (Ostfildern), 416 p., 29 euros, 978-3-9502734-6-5 (version anglaise).

MICHELANGE

-Commissaires : Achim Gnann, conservateur pour l’art italien à l’Albertina ; Gisela Fischer, assistante de conservation à l’Albertina

-Nombre d’œuvres : 125, dont une poignée de tableaux et une centaine de dessins de la main du maître (60 d’entre eux sont recto verso)

-Mécénat : Uniqa

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Les (at)traits de Michel-Ange

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