Art contemporain - Prix

Les artistes du prix Marcel Duchamp 2022, dans l’air du temps

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 16 novembre 2022 - 872 mots

PARIS

Au Centre Pompidou, l’exposition consacrée aux projets des quatre artistes nommé(e)s pour la 22e édition du prix met en lumière leur démarche, à commencer par celle de Mimosa Echard, la lauréate.

Paris. Comme chaque année depuis 2016, les œuvres des quatre artistes nommé(e)s pour le prix Marcel Duchamp, créé en soutien à la scène française, sont exposées au Centre Pompidou. Le nom de la lauréate 2022 a été révélé le 17 octobre : il s’agit de Mimosa Echard (née en 1986), représentée par les galeries Chantal Crousel (Paris) et Martina Simeti (Milan). L’artiste poursuit une réflexion mêlant l’univers de la consommation et des technologies numériques à des éléments issus de la nature, dans une sorte de syncrétisme créatif. Pour le prix Marcel Duchamp, elle a imaginé un dispositif liquide sous la forme d’un mur d’eau ruisselant, à travers le voile duquel se devinent les objets et images qui y sont insérés (Escape More, [voir ill.]). Comme dans son exposition précédente (« Sporal », 2022, Palais de Tokyo), des sources hétérogènes ont fourni les composants de ce patchwork visuel. Si ce n’est qu’ici toute tentative de distinguer un détail ou de relier entre eux les indices est noyée dans le flux. Le spectateur est invité à s’asseoir sur un banc, dans une contemplation passive qui lave le regard et distille le léger ennui qu’engendre la vue d’un paysage sous la pluie derrière une vitre dépolie. Faut-il voir dans cette métaphore aquatique une forme d’aquoibonisme ? Du moins une absence de manichéisme, selon Xavier Rey, le directeur du Musée national d’art moderne, membre du jury du prix, selon lequel l’œuvre de Mimosa Echard « repousse les limites expressives des différents médiums pour offrir une puissante expérience esthétique intégrant nombre des préoccupations du public, comme le pouvoir de l’image, du visible et du caché, le contrôle des corps, l’égalité ou les rapports entre l’espace et la société ». La plasticienne réalise un parcours bien balisé : diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris en 2010, finaliste du prix Meurice pour l’art contemporain en 2015, elle a effectué une résidence à la Villa Kujoyama au Japon (2019) et a bénéficié de plusieurs expositions personnelles dans des institutions et fondations, dont le Plateau-Frac Île-de-France (2015) ou la Collection Lambert à Avignon (2021). Ses œuvres figurent notamment dans les collections du Fnac, du Musée d’art moderne de Paris, de la Fondation Louis Vuitton… L’ondinisme, la cyber-résistance, l’écoféminisme, reviennent parmi les termes très actuels associés à son travail.

Fausse innocence, anticipation et réminiscences architecturales

Ce sont les peintures et les sculptures de Giulia Andreani (née en 1985) qui accueillent le visiteur venu découvrir ce millésime 2022. La couleur est absente des tableaux de l’artiste (représentée par la Galerie Max Hetzler), qui dépeint un monde gris, nourri de ses recherches iconographiques. Son installation met en lumière des figures féminines oubliées par l’histoire – ou assignées à un rôle maternel – en regard du portrait d’un dictateur enfant, symbole d’une innocence sur le point d’être corrompue. De confortables boudins de velours rose évoquant des tronçons de ruines ont été installés dans la salle contiguë, au milieu du triptyque vidéo [voir ill.] d’Iván Argote (né en 1983), représenté par les galeries Perrotin, Vermelho (São Paulo) et Albarrán Bourdais (Madrid). L’artiste embarque son public dans un « film d’anticipation » tourné à Paris, Rome et Madrid, simulant l’escamotage de monuments historiques. L’essentiel de l’action consiste en un ballet de camions et d’engins de chantier, entrecoupé de vues urbaines en surplomb et d’écrans monochromes rouges. Des sous-titres bilingues assurent à la narration sa progression en même temps que la bonne compréhension du sens de l’œuvre – de la relativité des récits historiques et de la nécessité de les remettre à plat. Comme souvent chez Iván Argote, le ton est assez badin, comme si tout cela ne relevait au fond que d’une vaste plaisanterie.

Enfin, la proposition de Philippe Decrauzat (né en 1974) se déploie dans deux espaces mitoyens. De l’artiste suisse (galeries Francesca Pia [Zürich], Mehdi Chouakri [Berlin], et Nara Roesler (São Paulo), on connaît les films expérimentaux et les peintures géométriques témoignant de son intérêt pour l’histoire des formes modernes et leur perception. Le phénomène visuel (rétinien) est au cœur de ce travail rigoureux et séduisant. En préambule de son installation, une série de peintures-sculptures noir et blanc (Feedback Loop, ) évoque des labyrinthes hypnotiques, comme des pièges pour le regard.

Dans la salle attenante est présenté le film Replica, réalisé à partir de photos des marbres de la réplique du Pavillon Mies van der Rohe (conçu pour l’Exposition internationale de Barcelone en 1929). À la façon d’un lent diaporama, le film enchaîne les plans fixes des surfaces marbrées, qui évoquent la médiatisation des images du lieu – à partir desquelles ce pavillon fut reproduit – sans laisser voir le bâtiment, de fait réduit à un fantôme. Cette succession de plans est enchâssée dans un dispositif de miroirs en biais qui en accentue le caractère obsessionnel et invite à lire des formes dans les marbrures, à la façon d’un test de Rorschach, la notion d’architecture renvoyant alors autant aux réminiscences qu’aux constructions mentales. Comme le tableau liquide de Mimosa Echard, l’œuvre de Decrauzat touche ainsi, et peut-être avec plus d’acuité, à nos mécanismes les plus intimes.

Prix Marcel Duchamp 2022,
jusqu’au 2 janvier 2023, Centre Pompidou, galerie 4, niveau 1, place Georges- Pompidou, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°599 du 18 novembre 2022, avec le titre suivant : Les artistes du prix Marcel Duchamp 2022, dans l’air du temps

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