Art contemporain

L’écriture et le dessin comme ligne de vie

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 17 février 2022 - 539 mots

METZ

À Metz, l’exposition « Écrire, c’est dessiner », d’après une idée d’Etel Adnan, place l’œuvre de l’artiste et poétesse disparue en 2021 au centre d’une constellation de signes.

Metz (Moselle). Etel Adnan aura eu la joie, avant de s’éteindre en novembre dernier, de feuilleter le très beau catalogue de l’exposition « Écrire, c’est dessiner », dont elle mûrissait l’idée depuis des années. Il revient en effet au Centre Pompidou-Metz d’avoir accompagné et donné corps à son projet : des manuscrits originaux présentés sur des cimaises, telles des œuvres à part entière. « Etel Adnan rêvait que l’on admire une simple écriture, quelles que soient sa langue et sa graphie, “comme un tableau dans un musée” », explique Jean-Marie Gallais, commissaire de cette exposition dont le principe originel pourrait donner lieu à d’innombrables versions. Celle-ci, pensée en étroite collaboration avec l’artiste et poétesse, dévoile un grand nombre de ses superbes leporellos au centre d’une scénographie qui réunit plus de 200 œuvres de près de cinquante artistes et écrivains, ainsi que des lettres et des ouvrages anciens (parmi lesquels quelques trésors), illustrant cette évidente parenté entre le dessin et l’écriture. Les visions d’Azur (2002), de Nancy Spero, ceinturent par une frise géante ce parcours embrassant quatre mille ans d’histoire, d’une tablette d’un apprenti scribe sumérien à la vitalité du street art, mais où trois cabinets graphiques offrent également une échelle plus intime.

Etel Adnan raconte dans la préface du catalogue de l’exposition comment, au début des années 1960, la réflexion d’une universitaire, sur le campus du college américain où elle enseigne alors la philosophie de l’art, lui « libéra les mains ». Du jour au lendemain, elle se mit à peindre. L’écriture dessinée fut aussi le moyen pour cette artiste cosmopolite née en 1925 au Liban d’un père syrien et d’une mère grecque, émigrée en Californie avant de s’installer en France, de s’approprier en la recopiant une langue arabe dont elle connaissait l’alphabet sans en maîtriser la syntaxe ni le sens. Les mots, de toute façon, viennent toujours à manquer : dans L’Apocalypse arabe (1980) rédigée en réaction à la guerre du Liban, les signes qu’elle invente caviardent un texte-fleuve qui ne peut, littéralement, dire l’indicible. Mais savoir écrire, c’est savoir dessiner, affirme-t-elle. On songe à Victor Hugo : certains de ses croquis exécutés à la volée sont là en effet. On découvre Roland Barthes en dessinateur amateur, désireux par son geste d’échapper au « piège du langage ». On retrouve les Eigenschriften (ou « écritures réflexives ») d’Irma Blank, les calligraphies de Brion Gysin. Parmi les surprises enthousiasmantes de cette sélection foisonnante, le mural Une nation en exil (1981-1987), réalisé par l’artiste Rachid Koraïchi en collaboration avec le poète Mahmoud Darwich, procure un choc visuel.

Une rêverie déployée dans l’espace

Cette exposition, promenade sensible et cultivée dans une forêt de signes, s’offre comme une rêverie déployée dans l’espace, à l’instar de ces merveilleux livres pliés en accordéon qu’Etel Adnan confectionna tout au long de sa vie après y avoir été initiée par un génial marginal opiomane. « Quand on commence une œuvre qui peut, déployée, atteindre cinq ou dix mètres […], on sait […] que c’est un parcours, un voyage, une aventure, écrit-elle, quelque chose qui éveille dans la profondeur de l’être humain des images ancrées dans la mémoire. » Encrées dans le cœur.

Écrire, c’est dessiner,
jusqu’au 21 février, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°581 du 21 janvier 2022, avec le titre suivant : L’écriture et le dessin comme ligne de vie

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